1- Le chalet Lang au service d’une attraction ludique, la luge sur rails
Construction emblématique de Courchevel 1850, le chalet Lang a été démonté en 2013 après avoir été inscrit monument historique en janvier 2012 : arrêté préfectoral du 28 janvier pris à la suite de l’instance de classement du ministre de la Culture du 27 janvier 2011, suivie d’un avis favorable de la Commission nationale des monuments historiques pour son classement, en date du 9 janvier 2012.
Puis le chalet Lang est devenu la propriété de l’État le 29 mars 2018 après la défection du propriétaire qui en avait fait l’acquisition en 2010 pour le démolir [1]
La reconstruction du chalet Lang fait l’objet, aujourd’hui, d’un appel d’offre (publié le 21 mai 2025) en vue d’être rebâti sur le mont Revard (Savoie) en lien avec la construction d’une luge sur rails, objet d’un appel d’offre distinct (publié le 4 juin 2025). Le projet est porté par le Syndicat mixte des stations des Bauges.
Le socle du chalet, la partie en maçonnerie, serait destiné à l’embarquement des « lugeurs » (accueil, billetterie et local technique). La partie supérieure en charpente bois et métal serait destiné à l’accueil des visiteurs dans un espace ouvert à l’évocation de l’histoire des sports d’hiver.

Le plan de masse prévoit une articulation étroite entre les deux programmes, comme le montre l’enjambement des rails de la piste de luge par les « pattes » et le socle du chalet, ainsi que la pose d’un tapis roulant destiné à la remontée des « lugeurs » (80 mètres de dénivelée).



Le projet aurait été validé par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC Auvergne Rhône-Alpes, Commission régionale des monuments historiques) qui se serait engagée à délivrer les autorisations de construire et à apporter le soutien financier du ministère de la Culture. De même pour le Département de Savoie et la Communauté d’agglomération Grand Chambéry (aire urbaine de Chambéry et communes du massif des Bauges).
Le projet ne manque pas de surprendre quant à la compatibilité de reconstruire un chalet de villégiature édifice inscrit monument historique, en y accolant, à ses pieds, voire entre ses pieds et, à ses abords immédiats, l’édification d’un équipement mécanique de loisirs.
Apportons quelques précisions sur les données du projet.
Le chalet Lang, témoignage de l’architecture moderne en montagne.
Chalet familial de vacances, le chalet Lang est caractéristique des constructions édifiées au début de la station de Courchevel 1850, création décidée en 1945 par le conseil général de Savoie. Conçu en 1949 par l’architecte urbaniste Denys Pradelle (1913-1999), selon les règles du plan d’urbanisme élaboré en 1946 par l’architecte urbaniste Laurent Chappis (1915-2013), le projet de chalet repose sur la préservation du sol et du terrain, qui présente un dénivelé important (15 mètres entre le haut et le bas de la parcelle), et une exposition privilégiée au Sud avec vues sur les pentes enneigées du domaine skiable de la Saulire. Le chalet surplombe ainsi une partie du terrain, offrant une habitation totalement dégagée du sol.
Le procédé constructif est mixte : une structure porteuse en béton armé sur laquelle repose une superstructure en métal et bois associée à des panneaux en ossature bois, couverte par une toiture mono pente.
L’architecture du chalet Lang est caractérisée par la recherche d’une simplicité et d’une économie constructive, le respect de la nature et du paysage [2], témoignant d’une forme de rationalisme et de modernité [3].




La luge sur rails, une attraction mécanique dans les pattes du monument historique
La luge sur rails est une activité de descente destinée à provoquer aux visiteurs des sensations fortes, moyennant finance, sans nécessiter d’efforts physiques, comme cela se pratique dans les parcs d’attraction. La piste forme une boucle fermée composée de rails sur lesquels circulent des luges équipées de roues. Elle comprend deux parties : en haut l’embarquement des lugeurs, en bas la remontée des luges vides propulsées vers la montée par un système de motricité intégré. Les rails survolent le sol, portés par une forêt de supports métalliques. S’ajoutent à l’installation un garage couvert destiné à ranger et réparer les véhicules (les « bobs ») et un tapis roulant électrique permettant la remontée sur 80 mètres, sans effort, des lugeurs jusqu’au lieu de départ de la piste de descente, en vue d’une nouvelle descente…
Selon le cahier des charges de l’appel d’offre, l’embarquement des « lugeurs » est prévu dans la partie inférieure du chalet Lang par transformation du garage du chalet en « local technique pour les services et l’accueil ». Le garage des « bobs » est construit devant la façade Sud du monument historique, à 4,00 m du balcon (exposé au sud-ouest). Le hangar forme ainsi le premier plan depuis le chalet, s’imposant devant le très large panorama qui s’ouvre du massif du Mont-Blanc à la Chartreuse, avec des vues intermédiaires sur les massifs des Aravis, des Bauges et de Belledonne.
Le mont Revard, site historique de villégiature et de sports d’hiver
A 1562m d’altitude, le mont Revard est un des sommets de la falaise occidentale du massif des Bauges qui domine la ville d’Aix-les-Bains et le lac du Bourget. C’est un belvédère exceptionnel avec au Nord les monts du Jura, à l’Est les Aravis et le massif du Mont-Blanc, au Sud les sommets de Belledonne et la Chartreuse, à l’Ouest les montagnes de l’Épine et du Chat et au loin la plaine de Lyon.
C’est un sommet de montagne autrefois pastorale, devenue une des premières « station » d’altitude. D’abord station climatique en 1892 avec la création d’un chemin de fer à crémaillère depuis Aix-les-Bains, associé à la construction de deux chalets hôtels et d’un belvédère avec table d’orientation au sommet. Et ce, à la manière du Righi, sommet dominant le lac des Quatre-Cantons au cœur de la Suisse équipé d’un hôtel depuis 1854 et d’un train à crémaillère en 1871.

Le Revard devient « station de sports d’hiver » en 1909 avec l’ouverture de la première saison de ski. Plus tard en1935, un téléphérique supplée aux défaillances du chemin de fer. À partir de 1936, les remonte pentes transforment Le Revard en « station de skis ». La création d’une route, en 1939, facilite l’accès au site et au sommet. Après la Seconde guerre mondiale, le Revard devient lieu d’initiation au ski et à la promenade. À partir de 1975, le plateau du Revard est reconnu comme un des plus vastes domaines de ski nordique des Alpes, partagé avec la station voisine de la Féclaz.
Avec l’évolution climatique, la station devient site de loisirs toutes saisons où se pratiquent de multiples activités dites de « pleine nature » : cyclisme, vtt, parapente, randonnées pédestres, équitation, découverte de la nature, spéléologie, escalade, biathlon…. En 2013, le sommet est réaménagé : table d’orientation, création de trois passerelles bois s’avançant sur le rebord de la falaise et une plateforme en verre surplombant la vallée, proposant aux visiteurs de faire un « pas dans le vide ». Enfin en 2018, les pouvoirs publics envisagent un projet de luge sur rails.

Une maîtrise d’ouvrage publique
L’État s’est engagé à céder le chalet Lang au Syndicat mixte des stations des Bauges, le maître d’ouvrage de sa reconstruction ainsi que de la construction de la luge sur rails.
L’État (ministère de la Culture) et le Département de Savoie se sont également engagés à financer la reconstruction du chalet Lang.
2- Interrogations autour d’un projet de mariage de la carpe et du lapin ?
Reconstruire à l’identique.
Chacun peut se réjouir de la perspective, enfin tant attendue, d’une reconstruction du chalet Lang. D’autant qu’elle devrait être menée sous la responsabilité des professionnels qui ont conduit son démontage en 2013, et examiné les possibilités de son remontage (voir dossier de l’appel d’offres : Étude de faisabilité Jacques Repiquet, atelier Briolle-Marro-Repiquet architectes décembre 2024 et Diagnostic technique, Euro-toiture charpentiers, décembre 2024). Ce qui apparaît comme un des gages de la qualité des travaux qui pourront être engagés.
Néanmoins, le projet tel que présenté dans les deux appels d’offre soulève de nombreuses interrogations quant au respect de la valeur patrimoniale du chalet.
Valoriser le monument historique.
Si les perspectives d’un projet de reconstruction et de valorisation patrimoniale du chalet, énoncées dès 2012 (voir « Les hommes, la neige et le ski », projet d’un « Centre d’interprétation de la montagne skis aux pieds » 11 septembre 2012, et protocole d’accord entre l’État, la commune de Saint-Bon-Tarentaise et le propriétaire du chalet inscrit monument historique, en date du 18 décembre 2012), sont restées sans suite, en raison d’obstacles rencontrés à Courchevel 1850, l’interrogation surgit de l’implantation du chalet Lang au contact même d’un important équipement mécanique. La destination du chalet d’habitation est scindée en deux. La partie inférieure devient local technique et gare d’embarquement d’un loisir qui s’étend sur le terrain d’assiette du chalet avec deux passages sous le chalet même ; la partie supérieure, espace d’exposition, est rendue accessible par une passerelle aérienne.
Cette disposition semble garantir un probable détournement de la valeur patrimoniale de l’édifice.
Respecter les règles sur les abords du monument historique.
Rappelons qu’un édifice inscrit monument historique génère un périmètre d’abord (en l’absence d’un périmètre adapté, c’est un cercle de 500 mètres de rayon dont le centre est l’édifice) à l’intérieur duquel s’exercent les missions du ministère de la Culture, soit garantir le respect de la cohérence de tout projet nouveau avec l’édifice protégé.
La construction d’une luge sur rails est non seulement soumise à examen par les services du ministère de l’environnement, mais également à autorisation d’utilisation des sols. Comment le ministère de la Culture pourrait valider la construction d’une luge sur rails associée à un édifice inscrit monument historique ?
Inscrire le projet dans une vue globale du site.
Le site du mont Revard est considéré par les acteurs touristiques comme le « terrain de jeux dans la nature, prisé par les familles et les sportifs ». À ce titre, il figure parmi les sites les plus visités du département de Savoie.
S’il est salutaire que les pouvoirs publics se préoccupent de la diversification des activités en montagne, il est habituel d’inscrire celles-ci dans une perspective de développement d’ensemble, y compris en recourant à la déclinaison de scénarios d’aménagement. Et le site du mont Revard ne manque pas de ressources, notamment sur le plan patrimonial en raison des nombreux témoignages liés aux activités touristiques, aux aménagements, très précoce, du sommet et aux paysages et points de vue à découvrir.
Or, le projet « luge sur rails & chalet Lang » est présenté sans aucune réflexion et/ou vision d’ensemble du site d’accueil, le mont Revard, alors même que de nombreux dysfonctionnements sont connus ; ce projet serait pourtant susceptible d’apporter des améliorations.
Par exemple, pourquoi ne pas dissocier les deux projets - luge sur rails & chalet Lang - en les implantant chacun dans un espace propre, mais prenant place dans le site du plateau, soit l’ensemble de la station ? Le chalet Lang serait alors reconstruit dans un espace de valorisation paysagère, patrimoniale et culturelle. Et la luge sur rails, activité ludique et bruyante, dans une pente adaptée et bien desservie.
Cette absence de vision d’ensemble ne manque pas de surprendre, car une telle approche est nécessaire à l’examen du projet de luges sur rails par le ministère de l’Environnement.
S’entourer des compétences qualifiées ou la nécessité d’un comité scientifique.
Afin de mener à bien les réflexions indispensables à l’élaboration d’un projet raisonné de reconstruction du chalet Lang, il paraitrait vivement souhaitable que le maître d’ouvrage avec les services de l’État (ministère de la Culture) s’entourent d’un conseil scientifique : réunissant des personnes qualifiées dans les domaines du développement territorial, culturel et des loisirs en montagne, des règles urbanistiques et juridiques, du paysage, de l’urbanisme, de l’architecture, ce conseil sera missionné pour contribuer à l’approfondissement du projet et à sa meilleure définition.
Jean-François Lyon-Caen, architecte dplg, délégué Sites & Monuments
Avec la collaboration de Jean-Jacques Lyon-Caen, architecte dplg urbaniste, expert près la Cour d’appel de Paris
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