Alors que la ville d’Aix-en-Provence s’apprête à fêter Cézanne en grande pompe, celle-ci valide la destruction d’un site cézannien majeur (et de la peinture en général, Auguste Renoir y ayant également posé son chevalet), au profit d’un mégaprojet d’urbanisation de terres agricoles, sujet sur lequel nous vous avions déjà alerté par un précédent article.
JL
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Nous sommes en périphérie immédiate du centre-ville d’Aix-en-Provence, à un kilomètre à peine au Sud de la Bastide du Jas de Bouffan, classée au titre des Monuments historiques ainsi que son parc en 2001. La restauration de cette bastide, qui a appartenu à la famille de Cézanne, devrait être inaugurée prochainement dans le cadre de l’année Cézanne 2025. Elle devrait abriter un centre culturel et artistique international majeur autour de l’œuvre du peintre.
Notre combat porte sur le site tout proche de Valcros – La Constance, comprenant de 80 hectares de terres agricoles, où la ville projette d’implanter 3 600 logements et plusieurs milliers de m² de bureaux, l’équivalent d’une ville comme Briançon. Ce programme immobilier serait enclavé entre deux autoroutes et une voie ferrée.
Il s’agit pourtant d’un site magnifique, faisant face à la montagne Sainte Victoire, où Paul Cézanne a peint ses premières "Saintes Victoires". C’est là que l’artiste révèle sa passion pour le paysage, réalisant, entre 1878 et 1906, pas moins de 50 œuvres, huiles, aquarelles et dessins confondus.
Il s’agit d’un site cézanien majeur, où le peintre allait retrouver sa sœur Rose, qui habitait en bordure du plateau, et par lequel il passait pour descendre vers la rivière de l’Arc. Ce paysage lui inspire parmi ses plus belles œuvres, qui témoignent certainement du sentiment organique de la peinture de Paul Cézanne : « Peindre d’après nature, ce n’est pas copier l’objectif, c’est réaliser des sensations » dira son ami Émile Bernard.
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C’est là que, loin de l’académisme, le peintre tente « de rendre visibles des forces qui ne le sont pas [...] : la force de plissement des montagnes » nous dira Gilles Deleuze.
Mais il serait impossible aujourd’hui à Paul Cézanne de se rendre sur son motif par le même chemin, le chemin de Valcros, découpé par les autoroutes et par la ville nouvelle, construite comme en miroir de la cité originelle.
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Si le flanc Sud du plateau de Valcros est irrémédiablement pollué par le vacarme de l’autoroute qui a remplacé le tramway vers Marseille, le plateau lui-même est encore miraculeusement épargné.
L’écrin qu’il constitue doit être sauvegardé. Car, avec l’œuvre de Paul Cézanne, il est entré dans le patrimoine de l’Humanité et est aujourd’hui contemplé, à travers les œuvres du peintre, dans les plus grands musées du monde. Les paysages immortalisés par Cezanne constituent les seuls éléments de son œuvre demeurant à Aix, qui n’a su conserver que quelques une de ses peintures mineures.
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Une petite association, Sauvegarde des Paysages de Cézanne, se bat depuis plus de dix ans pour sauver ce site, menacé par un projet urbain délirant. Soit le combat de David contre Goliath, dans l’une des villes les plus chères de France, avec des dizaines de millions d’euros d’emprises foncières en jeu… Sommes qui, comparées au prix d’une seule œuvre du peintre ou aux retombées touristiques de son souvenir, ne sont pas significatives.
Par son action – campagnes de presse, visites du site, interventions auprès des élus et des services de l’Etat, courriers aux musées du monde entier détenant les œuvres réalisées par Cézanne sur ce site –, l’association Sauvegarde des Paysages de Cézanne a réussi à en préserver une partie. Mais l’actuel projet fermerait définitivement plusieurs perspectives vers la montagne Sainte Victoire sans prévoir aucun accès digne de ce nom au site.
Le promoteur VINCI a acquis, pour 21 million d’euros, la propriété de Bellevue ayant appartenu à la sœur de Cezanne, représentée à plusieurs reprises (voir catalogue ci-dessous, pages 21 à 26) par le peintre et depuis laquelle a été peint le tableau récemment adjugé pour 137 million d’euros. Le pigeonnier de la maison de Bellevue a également été représenté par Renoir, lors d’une visite faite à Cezanne, tout comme le paysage du tableau vendu à New York (les deux amis devaient placer leurs chevalets non loin l’un de l’autre).
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Le promoteur a acquis la propriété dans sa délimitation historique, comprenant 14 hectares de terrain, domaine composé de la maison, de deux vergers d’oliviers et de bois. Cet ensemble comprend malheureusement 3 hectares constructibles (champ situé au nord de la maison), qui en font tout le prix. En outre, d’après Denis Coutagne, conservateur honoraire du Musée Granet d’Aix, c’est précisément le lieu où Cezanne avait posé son chevalet pour peindre notamment la vue vers Sainte-Victoire adjugée aux enchère à New-York en novembre 2022 (voir ci-dessous) ! Cette dégradation s’ajouterait à la construction, en contrebas du jardin de la bastide, d’un terrain de sport en gazon synthétique voulu par la municipalité d’Aix.
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Rappelons que le code de l’environnement prévoit, en vertu d’une loi de 1906 portée par la Société pour la Protection des Paysage de France (SPPF), la possibilité de classer des sites "dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général" (art. L. 341-1 du code de l’environnement).
Comme nous l’avions déjà dénoncé dans un article précédent, un stade tout en béton et gazon synthétique a même été construit, au cœur du site, là même où Cézanne posait son chevalet…
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L’enquête publique, préalable à l’ouverture du chantier de création d’une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) vient de se clôturer, en décembre, avec un avis favorable du Commissaire enquêteur, aussi inattendu qu’injustifié au regard des nombreuses observations déposées par les associations de défense du Patrimoine, de l’environnement, de l’urbanisme et des quartiers (FNE, LPO, Fédération des CIQ du Pays d’Aix, Arc Fleuve Vivant, DEVENIR et Sauvegarde des Paysages de Cézanne, Cercle Mirabeau), qui demandaient la réduction du projet, au regard de ses nuisances.
Sauvegarde des Paysages de Cézanne dénonce en particulier le fait que les prescriptions faites par Denis Coutagne, du Musée Granet d’Aix, pour mettre en valeur ce site cézannien et l’ouvrir vers l’extérieur, n’aient pas été prises en compte par le projet.
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Alors que la ville d’Aix-en-Provence vient de lancer une année "Cézanne 2025", avec un battage médiatique mondial, l’inauguration de la Bastide du Jas de Bouffan restaurée, où habitait Cézanne, et une exposition présentant 130 œuvres de Cézanne, au musée Granet, nous avons tous les ingrédients d’un nouveau scandale, après celui déjà dénoncé par Sites & Monuments à l’occasion de la destruction du Couvent des Chartreux.
Une preuve de plus que la ville d’Aix-en-Provence ne sait pas se protéger des promoteurs…
Gabriel Arène, pour l’association Sauvegarde des Paysages de Cézanne
Adresse Mail
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Consulter le catalogue des œuvres peintes par Cezanne sur le site de Valcros
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