Supplique des associations aux ministres de la Culture et de l’Agriculture pour la sauvegarde du Potager du roi
Versailles - Domaine national
Les domaines nationaux, héritiers des anciens domaines de la Couronne, inaliénables et imprescriptibles depuis le XVIe siècle, transmis par l’entremise des différentes listes civiles du XIXe siècle, sont un patrimoine naturel et culturel majeur autant que l’un des attributs traditionnels de l’Etat et de la nation. Ces domaines, restés pour leur quasi intégralité propriété nationale – ce qui n’empêche pas leur affectation à différents ministères – sont aujourd’hui menacés par la conjonction de trois facteurs : l’absence de discernement dans la « valorisation » des biens de l’Etat ; la volonté de densifier l’Ile-de-France ; l’intérêt des promoteurs immobiliers pour les « sites d’exception ».
Les domaines nationaux sont aujourd’hui soumis au régime ordinaire des biens composant le domaine public de l’Etat, en principe imprescriptible et inaliénable. Ce caractère, affiché par la loi, est cependant très fragile - et d’ailleurs contesté en doctrine - puisqu’il suffit d’un acte formel de déclassement du domaine public par arrêté ministériel ou préfectoral (dont découle la désaffectation matérielle exigée par les textes) pour permettre l’aliénation du bien...
Ainsi, devraient être aliénés, au sein des murs du domaine de Versailles, les terrains de Pion (parcourus par l’Etoile Royale conçue par Le Nôtre ; Illustration 1), de Satory (patrimoine de l’Etat depuis leur acquisition par Louis XIV et lieu traditionnel de la « chasse du vol ») ou l’hôtel de la Surintendance des bâtiments (Illustrations 2 et 3), lieu emblématique de l’Ancien Régime (les collections royales de peintures y étaient notamment exposées ; Illustration 4). On déplore aussi que la transformation de l’hôtel du Grand Contrôle (fameux ministère de l’Ancien Régime dont le musée de Versailles conserve une partie du mobilier) en hôtel de luxe (Illustrations 5 et 6) se fasse sous la forme d’un bail trentenaire renouvelable, sans aucune garantie de réaffectation au domaine national ; sans parler du pavillon de Suisse du Val Joyeux, en parfait état au moment de son aliénation par l’Etat en 2002 et aujourd’hui en péril.
A Saint-Cloud, c’est l’élégante caserne des gardes du corps du roi (Illustration 7), pourtant l’un des très rares bâtiments rescapés de l’incendie de 1870, que l’on souhaite distraire du domaine et démolir en grande partie. A l’intérieur des murs du domaine de Marly, c’est une partie des terrains regrettablement offerts à la société Bull qu’il est question d’urbaniser tandis que, plus loin, on détruit le mur d’enceinte historique du domaine et l’on défriche sa célèbre forêt au profit du réaménagement d’une route départementale (Illustration 8).
La situation du domaine de Meudon, émietté par des affectations multiples, est d’une confusion extrême, s’opposant à de beaux et anciens projets de réhabilitation. La célèbre ménagerie du domaine de Rambouillet semble, elle aussi, menacée (implantation d’un IUT et d’infrastructures afférentes ?). Une partie du Grand Parc de Compiègne, d’abord loué à un hippodrome, a été aliéné dans les conditions et au prix que l’on sait (Illustrations 11). A Saint-Germain-en-Laye, c’est l’exceptionnel pavillon de la Muette, construit par Gabriel pour Louis XV au cœur de la forêt domaniale, qui a été vendu (Illustrations 9 et 10) malgré les demandes de la SPPEF. Aujourd’hui, c’est au tour du pavillon du Butard (Illustrations 12) d’être mise en vente, cession attaquée par la SPPEF…
Pire, sans même remettre en question domanialité publique et classement au titre des monuments historiques, des projets étonnants peuvent aujourd’hui être envisagés sur les domaines nationaux. Ainsi, en 2011, la municipalité et l’Etablissement public de Versailles souhaitaient construire sur un terrain classé, à quelques dizaines de mètres du Grand Canal, deux stades de 31 mètres de haut (équivalent d’un immeuble de 10 étages) par le biais d’une « autorisation d’occupation temporaire de 70 ans assortie de droits réels conférant une quasi-propriété ». Pour en savoir plus sur le projet Roland Garros à Versailles
Une formule voisine, celle du bail emphytéotique (99 ans renouvelables), devait aussi, un temps, être appliquée à l’Hôtel de la Marine (ancien Garde-Meuble royal) à Paris. Les domaines nationaux sont aujourd’hui parfois considérés comme des « gisements fonciers » (terme employé au sujet de terrains versaillais par la Société du Grand Paris). Cela est d’autant plus contradictoire que la densification planifiée de l’Ile-de-France implique de toute évidence un renforcement de ses poumons verts plutôt que leur mitage…
La SPPEF demande, par conséquent, qu’une série de mesures soit adoptée :
- Qu’un régime d’inaliénabilité véritable soit mis en place concernant les domaines nationaux,
- Que leur délimitation soit garantie par une commission indépendante de l’administration,
- Que leur finalité patrimoniale et écologique soit consacrée,
- Que les domaines nationaux soient remembrés administrativement, c’est-à-dire à terme confiés au ministère la culture et éventuellement fédérés au sein d’une structure commune,
- Que les espaces naturels ou ayant vocation le redevenir soient inconstructibles, sauf exceptions liées à la découverte des lieux par le public,
- S’agissant des bâtiments ayant un intérêt particulier, que les baux administratifs consentis le soient dans le but exclusif de financer un projet prédéfini d’ouverture au public (notamment après remeublement). Dans le cas de bâtiments dépourvus de tout intérêt pour la visite, que les baux consentis soient compatibles avec le caractère des lieux et n’induisent pas de nuisance,
- Qu’un dispositif de préemption permette de revenir sur les aliénations les plus regrettables.
Les domaines nationaux sont une chance pour la France et doivent - par leur exemplarité - contribuer à la reconquête esthétique des territoires.
Pour en savoir plus : consulter l’article de La Tribune de l’Art
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