Bourges, désignée capitale européenne de la Culture, fait table rase de ses deux cités-jardins Art Déco

Bourges, Ville et Pays d’art et d’histoire (1992), a été désignée en décembre 2023 comme capitale européenne de la Culture pour 2028, malgré un comportement pour le moins étrange. Après avoir fermé ses quatre musées, détruit le monastère du Bon-Pasteur et racheté l’îlot Cujas-Coursarlon afin "d’ouvrir une perspective" sur sa cathédrale, la municipalité de Bourges projette en effet de détruire les cités-jardins Art Déco de l’Aéroport et du Moulon, joyaux de l’habitat social du XXe siècle, la première étant d’ailleurs labellisée architecture contemporaine remarquable.
Ces constats nous amènent à poser deux questions. Le patrimoine fait-il toujours partie de la culture en Europe ? Que fait notre ministère de la Culture ?
JL

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Nungesser et Coli). Tranches 2 (1935-1937).

Après de nombreuses alertes, un article de France Bleu du 8 avril 2024 nous apprend, qu’« À Bourges, dans le quartier Aéroport, 302 logements doivent être démolis, et la liste ne cesse de s’allonger ». Il ne s’agit pourtant pas de n’importe quel ensemble urbain.

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Latham). Tranche 2 (1935-1937).

Comment, cette cité-jardin, édifiée entre 1931 à 1954 et labellisée en 2016 « Architecture Contemporaine Remarquable », faisant l’objet d’une brochure éditée par les Villes et Pays d’Art et d’Histoire, peut-elle être perçue, aujourd’hui, comme bonne à détruire par le bailleur social départemental et certains responsables politiques locaux ? A quoi bon la faire connaître, aussi, par cet excellent reportage ?

Cité-jardin de l’Aéroport à Bourges - Brochure éditée par la municipalité et les Villes et Pays d’art et d’histoire avant les projets de démolition.

Les cités-jardins et l’urbanité

Dès la fin du XVIIIe siècle, les utopistes européens, sensibles aux transformations sociales, élaborent des projets de ville idéale. En Angleterre, Ebenezer Howard (1850-1928) développe l’idée des cités-jardins. Théoricien et praticien, il enrichit la réflexion sur l’urbain et la nature. Les cités-jardins s’installent dans les campagnes, se réapproprient la nature qui devient l’espace de socialisation par excellence.

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges en construction en 1937. Carte postale, archives départementales du Cher.

En France en 1915, la naissance de l’office public d’habitations à bon marché de la Seine est due à l’initiative d’Henri Sellier (1883-1943) - natif de Bourges - militant coopérateur et maire de Suresnes. Le département de la Seine acquiert des terrains tout autour de Paris avec l’ambition d’y construire des cités-jardins. Une vingtaine de cités et quartiers jardins vont de la sorte être édifiés en région parisienne. L’une des plus fameuses étant celle de la Butte Rouge à Chatenay-Malabry, également menacée et défendue par Sites & Monuments.

Aérogare Art Déco de Bourges détruit par l’armée allemande en 1941 pour faciliter l’approche des bombardiers de retour de missions en Angleterre. Il n’en subsiste que le vaste rond-point d’accès Guynemer.

Circonstance de la création de la cité-jardin de l’Aéroport

Le déclencheur de sa réalisation est la création à Bourges des usines d’aviation Hanriot en 1928. L’Etat incitait en effet, en raison des dommages considérables que la Première Guerre mondiale causa aux outils de production situés dans les zones de combat frontalières, les entreprises stratégiques à se replier au sud de la Loire. Face à l’afflux des ouvriers, le conseil municipal décide de la création d’un nouveau quartier dans la zone non aedificandi aux abords nord de l’aéroport.

Tranches de construction de la cité-jardin de l’Aéroport à Bourges.

Le plan d’aménagement d’embellissement et d’extension, premier document d’urbanisme consécutif à la loi Joseph Cornudet de 1919 (alors président de la SPPEF), prévoit des secteurs pour l’édification d’ensembles de logements sociaux. L’équipe de l’architecte Maurice Payret-Dortail (1874-1929), proche du berruyer Henri Sellier (dont il construit la maison à Suresnes) et ami d’Henri Laudier, maire de Bourges, élabore alors un projet mêlant logements collectifs et individuels. Cette réalisation novatrice est aussi le reflet d’amitiés nouées par des compatriotes.

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Joseph Le Brix). Tranche 1 (1934-1936).

Suivant la conception du projet, en 1929, une première tranche de 128 logements est édifiée entre 1934 et 1936. Une deuxième est réalisée entre 1935 et 1937 et une troisième tranche entre 1937 et 1940. Le programme est poursuivi après guerre, entre 1951 et 1954, ce qui a entraîné des destructions. En 1953, on compte 398 logements dont 108 pavillons individuels.

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Mesmin). Tranche 2 (1935-1937).

Spécificités de la cité-jardin de l’Aéroport

Les îlots d’habitation collectifs sont animés par des impasses, des squares et des places. Le style est résolument moderniste, proche des formules utilisées par le même architecte au Plessis Robinson : toit-terrasse, scansion horizontale grâce aux loggias, balcons, corniches, jardinières et autres décrochés horizontaux. Les courbes des immeubles collectifs suivent celles des ronds-points. Irrigués par de petits chemins, des espaces verts et squares avec jeux d’enfants côtoient des jardins familiaux destinés aux locataires.

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Nungesser et Coli). Tranches 1 (1934-1936) et 2 (1935-1937).

Sur des parcelles d’environ 300 m2, les pavillons individuels comprennent une salle familiale avec cuisine / laverie séparée, des toilettes et trois chambres. Chaque pavillon dispose de son jardin privatif ouvrant sur les espaces collectifs des cœurs d’îlots. À partir d’un même module de base, les architectes ont créé cinq types de logements, combinés de huit manières différentes : à étage ou en rez-de-chaussée, jumelés ou en bande…

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Latham). Tranche 2 (1935-1937).

Enfin, le traitement des façades est différent suivant leur implantation : ceux situés le long des rues sont enduits d’un crépi, tandis que ceux construits aux angles des rues ont un parement de pierre.

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (avenue des Frères Voisin). Tranche 2 (1935-1937).

Une première réhabilitation réalisée

En 2006, des travaux de réhabilitation sont programmés : « Restauration totale de l’enveloppe des maisons. Priorité aux économies d’énergies. Homogénéisation du confort ». Ils sont achevés en 2012. En outre, l’Office Public du Cher annonce, dès 2018, après des réclamations de locataires se plaignant des factures élevées de chauffage, la « réalisation de l’isolation thermique des logements ».

Cité-jardin de l’aéroport à Bourges (rue Nungesser et Coli). Tranches 2 (1935-1937).

Aujourd’hui, les expertises confirment un manque d’isolation des logements. Mais les diagnostics établis par deux sociétés différentes (SOCOTEC et CSTB) se sont étendus à la structure même des bâtiments. Certains d’entre eux présenteraient « de graves problèmes structurels [auxquels] il n’est pas possible de remédier ».

Les rapports sont pourtant parfois contradictoires et nous sommes surpris de la hâte avec laquelle le gestionnaire Val de Berry a décidé de vouer à la démolition une grande partie de la cité. En s’appuyant sur des expertises précises, tout doit être fait pour sauver ce patrimoine précieux qu’est la cité-jardin de l’Aéroport.

Plan de rénovation de la cité-jardin de l’Aéroport à Bourges (avril 2023). Seuls les bâtiments en noir seraient conservés. Source France Bleu.

Concluons en citant l’exposé des motifs de la labellisation "Patrimoine du XXe siècle" de la cité-jardin de Bourges par le ministère de la Culture en 2016 :

"La cité-jardin de l’Aéroport constitue un ensemble original d’aménagement communautaire paysager dans la France de l’entre-deux-guerres. En outre, la bonne conservation de cet ensemble urbain, la préservation de l’hétérogénéité typologique de son habitat social et la récente revalorisation de ses espaces verts en renforcent l’intérêt patrimonial. Par ailleurs, la cité-jardin de l’Aéroport, qui eut les honneurs d’une visite du président de la République Albert Lebrun en 1938, témoigne du rôle fondamental joué par l’industrie dans le développement des centres urbains du Berry et de la longue histoire commune de ce territoire avec l’industrie aéronautique française."

La cité-jardin du Moulon également menacée à Bourges

Comme si cela n’était pas suffisant, la ville de Bourges souhaite détruire en 2024 son autre cité-jardin, celle du Moulon (1932-1933), dans les quartiers Nord. Imaginée par la même équipe que la cité de l’Aéroport, elle est composée d’un îlot d’immeubles disposés en “U” comptant quatre-vingt-dix appartements et quatre boutiques et complétée par trois petits immeubles de dix logements chacun. Elle a également été célébrée dans une brochure éditée par la municipalité et les Villes et Pays d’Art et d’Histoire et étudiée en 2003-2004, avec la cité-jardin de l’Aéroport, dans un mémoire de maîtrise soutenu par M. Roussel à l’Université François Rabelais de Tours intitulé Les cités-jardins de Bourges 1927-1940.

Tranches de construction de la cité-jardin du Moulon à Bourges (1932-1933).
Cité-jardin du Moulon à Bourges (1932-1933).

Une capitale européenne de la Culture peut-elle détruire son patrimoine ?

La ville de Bourges, Ville et Pays d’art et d’histoire, désignée comme capitale européenne de la Culture pour 2028, ne peut abandonner ses joyaux architecturaux de l’habitat social du XXe siècle. Pas plus qu’elle n’aurait dû détruire le monastère du Bon-Pasteur ou ne devrait envisager la destruction de l’îlot Cujas-Coursarlon.

François Béchade et Julien Lacaze, sur la base d’un article de François Perrot, architecte honoraire.

Pour signer la pétition de l’amicale des locataires : "Sauvez la Cité-Jardin du quartier Aéroport à Bourges"

Reportage de France 3 Régions