Nous le savons, le fait de construire est polluant. Toutes les étapes de la construction génèrent en effet des gaz à effet de serre : la phase de construction d’un bâtiment neuf représente autour de 60% de son empreinte carbone. Sans compter les nuisances liées à la mise en œuvre.
Mais la phase d’usage du secteur du bâtiment est également très importante : elle représente selon l’ADEME 26% des émissions françaises, et 45% de la consommation énergétique nationale, ce qui en fait le premier consommateur d’énergie du pays.
Le fait de démolir est tout aussi polluant : sur l’ensemble des déchets produits chaque année en France, 70% proviennent du secteur de la construction.
Si des filières de recyclage et de réemploi des matériaux de chantier se mettent petit à petit en place, une quantité très importante de ces déchets part encore en stockage sans valorisation.
La ville doit ainsi apprendre à se recycler sur elle-même. C’est pourquoi de plus en plus de métropoles demandent la réalisation de bâtiments capables d’évoluer avec les besoins des usagers.
Le Groupement d’Études Architecturales pour l’Industrialisation du Bâtiment (G.E.A.I), fondé par les architectes Marcel Lods, Paul Depondt et Henri Beauclair en 1966, était précurseur dans la réflexion sur ces problématiques.
Le G.E.A.I travaillait des systèmes de construction, qui permettaient la réalisation rapide de bâtiments en ossature, intégralement préfabriqués, avec une masse et un impact carbone largement inférieurs à ceux de leurs contemporains. Et ces bâtiments étaient aussi capables d’évoluer avec le temps !
L’une de leurs réalisations, l’Ensemble de la Grand’Mare à Rouen (1968), d’une élégante modernité, est inscrite au titre des Monument Historique. La Maison des Sciences de l’Homme à Paris (1968) est, quant à elle, protégée au titre du PLU de Paris, et pourrait l’être au titre des Monuments Historiques. L’immeuble La Perralière, à Villeurbanne (1970), est, quant à lui, labélisé Patrimoine du XXe siècle.
Toutes ces réalisations ont été à l’avant-garde de la production architecturale moderne des Trente Glorieuses, à l’origine de nombreux brevets qui firent de cette approche constructive une spécificité française.
Henri Beauclair, son principal architecte, est le dernier associé du G.E.A.I encore vivant (il a 88 ans).
Un exemple de cette production existe à Marseille, dans le 9ème arrondissement, 343 Boulevard Romain Rolland.
L’immeuble Buropolis, qui date de 1971, est la dernière mise en œuvre du procédé du G.E.A.I, et une des plus abouties. D’aspect extérieur épuré, sobre, rigoureux, il cache une véritable prouesse constructive.
Ses 10 étages sont construits en ossature de poteaux et poutres en acier de qualité supérieure, entièrement préfabriquées.
Le bâtiment est fait de vide : il pèse environ un quart de la masse d’un bâtiment traditionnel de même dimension. Ses planchers en treillis composé d’unités interchangeables et son cloisonnement libre en font un bâtiment entièrement évolutif.
Aujourd’hui, ce très bel immeuble marseillais, qui n’est pas très connu, est en très bon état. Il est pourtant menacé de démolition pour faire place à une opération de promotion immobilière neuve. Or, c’est un bâtiment qui n’a que 50 ans et est prévu pour évoluer : sa démolition est donc une aberration.
Aujourd’hui, l’immeuble est occupé temporairement par des artistes, via le collectif YesWeCamp, ce qui prouve qu’il peut trouver de nombreux usages.
Lacaton & Vassal, architectes lauréats du Prix Pritzker 2021, qui est la plus haute distinction architecturale, se sont illustrés en donnant une nouvelle vie à la Tour Bois le Prêtre à Paris ou du Grand Parc à Bordeaux, des bâtiments comparables, preuve qu’un recyclage non destructif est possible.
Pieter Uyttenhove, professeur de théorie et d’histoire de l’urbanisme à l’université de Gand et de Berkeley, considère que Buropolis "est un très pur produit du procédé, sans aucune concession, et architecturalement d’un aspect moderne et rationnel qui a résisté au temps. Une reconversion en bureaux (ou vers un autre programme) pourrait prouver l’adaptabilité, et en même temps la contemporanéité, du procédé. Il semble, du point de vue du patrimoine architectural, d’un intérêt supérieur à la cité Gaston Roulaud à Drancy, par exemple, récemment menacée."
L’adjointe au maire de Marseille chargée de l’urbanisme déclarait, le 29 janvier 2021 sur twitter : "En visite aujourd’hui à #Buropolis avec les représentants de l’Etat : un patrimoine du 20e siècle en voie de labellisation par la DRAC sur le devenir duquel @marseille sera très vigilante". Pourquoi abandonner aujourd’hui cette idée ?
La disparition de Buropolis serait finalement une grande perte pour le patrimoine construit marseillais et français, puisqu’il illustre une approche d’avant-garde, qui n’a peut-être autant résonné qu’actuellement. Sans parler de la pénurie croissante de ressources naturelles et du carbone qui sera émis à la fois pour démolir le bâtiment ancien et reconstruire un bâtiment neuf.
Nous avons la possibilité de préserver cet immeuble, et le faire évoluer pour lui donner une seconde vie : sauvons le Buropolis, vive le G.E.A.I !
Sandrine Rolengo