Notre visite au château de Dampierre, une semaine après la tenue des journées du patrimoine, a été édifiante. On y constate à nouveau une différence de traitement flagrante entre les très impressionnants travaux réalisés sur le gros œuvre, conduits après de méticuleuses études, et le sort du mobilier, totalement méprisé, dont nous avons déploré les ventes successives, y compris par le nouveau propriétaire (voir ici), sous l’œil indiffèrent du ministère de la Culture.
Son mobilier témoigne pourtant d’une longue et rare stratification, Dampierre ayant échappé aux dispersions révolutionnaires. Il convenait ainsi d’explorer les appartements et les greniers du château avec la prudence d’un archéologue.
Loin de cette idée, le mobilier du château a été immédiatement considéré comme encombrant, destiné à être bradé ou devenu objet d’amusements, sans égard pour sa valeur historique ou même pécuniaire... L’absence de réaction de la DRAC dans ce naufrage patrimonial mobilier est évidemment accablant.
La visite débute par la boutique du château où sont mis en vente, parmi les mugs et porte-clés du domaine, les publications savantes d’Honoré-Théodoric d’Albert (1802-1867), 8e duc de Luynes (1839), archéologue, académicien et collectionneur qui commanda à Ingres la fameuse peinture murale de l’Age d’or. Un cartel indique : "Publications du Duc de Luynes. Découvrez la collection exclusive des ouvrages du Duc de Luynes. Objets rares et en quantité limitée, ces publication ont été retrouvées dans les greniers du château". Malgré le caractère inepte de ce texte, il n’est cependant pas indéfendable de vendre aux visiteurs des doubles de ces impressions.
Mis en condition, le meilleur était cependant à venir. Dans le parc, devant le pavillon de l’île, édifié en 1743 par le 4e duc de Luynes (1695-1758), à la tête du canal, un cadre en bois doré a été transformé en "Photobooth" (cabine à photo). Le but est ici de réaliser des "selfies" encadrés pour diffusion sur les réseaux sociaux, notamment sous le hashtag #JEPDDY (Journées européenne du patrimoine domaine de Dampierre en Yvelines). Le personnel du château donne lui-même l’exemple dans un "post" sur sa page Facebook, "liké" par le directeur général du domaine, Pascal Thévard, ancien directeur des bâtiments et des jardins du Domaine national de Chambord.
Mauvais exemple, en réalité, puisque ce cadre, doré à la feuille, date des années 1700 et se trouve aujourd’hui exposé à la pluie pour une destruction certaine de sa reparure et de sa dorure d’origine, restées dans un très bel état. Cet objet appartenait certainement à l’ameublement de Charles-Honoré d’Albert (1646-1712), 3e duc de Luynes en 1699, qui fit reconstruire le château par Jules Hardouin-Mansart et créer ses jardins par André Le Nôtre. Le mobilier de cette auguste demeure n’a en effet jamais connu d’autres lieux. Le nouveau propriétaire du domaine, collectionneur passionné du Grand Siècle, devrait y être sensible.
Une importante vente de mobilier, prélevé dans les salons du château, fut cependant organisée le 9 juillet 2019 (voir ici). Celle-ci est aujourd’hui niée par le directeur général du domaine, qui était pourtant alors en fonction... À la question "Le château était-il meublé", il répond, dans un ouvrage sorti à l’occasion des Journées du patrimoine : "Non, le château était vide, les Luynes avaient emporté tout leur mobilier" !
Dans le pavillon lui-même, extrêmement dégradé et livré aux intempéries, une mise en scène façon Halloween utilise quelques spécimens (cranes, éléments de squelettes) des cabinets du 8e duc du Luynes et des épaves du mobilier sauvées des ventes récentes par leur aspect pittoresque...
Sans illusion, le traitement de ce cadre Louis XIV étant révélateur du désintérêt assumé pour l’ameublement du château, nous avons adressé le courrier suivant à son directeur général :
"Monsieur le directeur,
J’ai eu la grande surprise de découvrir, à l’occasion d’une visite à Dampierre, en ce dimanche pluvieux, un cadre d’époque Louis XIV doré à la feuille transformé en "Photobooth" et abandonné aux intempéries. J’ai naturellement signalé ce fait aux agents d’accueil en leur recommandant de protéger l’objet, sans connaître le résultat de ma démarche.
Il s’agit d’un acte de vandalisme - réalisé à l’occasion des Journées européennes du patrimoine - dont la page Facebook du domaine fait la promotion, publication "likée" par vous.
Nous nous permettons de vous rappeler que les meubles, précieux et modestes, présents à Dampierre ne s’y trouvent pas par hasard. Le château ayant eu la chance de n’avoir jamais été démeublé, ils s’y sont stratifiés, au fil des commandes des différents ducs de Luynes pour les lieux, ou ont été, très marginalement, rapportés d’autres résidences familiales. Ce cadre doré, datant des années 1700, appartient ainsi probablement à l’ameublement de Charles-Honoré d’Albert (1646-1712), 3e duc de Luynes en 1699, qui fit reconstruire le château par Jules Hardouin-Mansart et créer ses jardins par André Le Nôtre.
Dampierre n’était ainsi pas "vide" - et ne l’est toujours pas - comme vous l’affirmez dans l’ouvrage intitulé Les aventuriers du patrimoine. Ce patrimoine mobilier insigne a malheureusement été dispersé entre 2018 et 2020, sans aucune étude historique préalable, au cours de trois ventes aux enchères désastreuses pour l’intégrité patrimoniale du domaine, notamment sous votre mandature. Ce cadre Louis XIV, valant près de 800 euros, n’aura même pas cette chance... Inciter vos visiteurs à immortaliser sa dégradation progressive et à en diffuser les photos sur les réseaux sociaux n’est pas admissible.
Autant nous sommes admiratifs des restaurations considérables menées sur le gros œuvre du monument par son nouveau propriétaire, autant nous ne comprenons pas qu’un soin équivalent soit refusé à la conservation de son patrimoine mobilier.
Aucune collection - si importante soit elle - n’est susceptible de remplacer le mobilier historique du château. Elle peut, en revanche, le compéter avec bonheur. Ce n’est malheureusement pas le chemin que vous empruntez.
Restant à votre disposition, je vous prie d’agréer, Monsieur le directeur, l’expression de mes sentiments dévoués.
Julien Lacaze
Président de Sites & Monuments
Copie à la DRAC Île-de-France"
Réponse reçue du directeur général du château de Dampierre :