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Le 20 janvier 2025, un référé-suspension a été déposé devant le Tribunal administratif de Nancy par les associations Défense et avenir du patrimoine nancéien et Sites & Monuments afin de protéger l’environnement classé au titre des monuments historiques du Palais ducal. Les constatations faites sur place démontrent en effet l’urgence à suspendre les travaux de démolition afin de conserver son objet au recours au fond, déposé le 6 mai 2024 par les associations. L’audience de référé a été fixée au 11 février 2025.
La dépose de la grille de Luxeuil, prémices de la démolition de l’ancienne gendarmerie attenante (dénommée aussi ancienne école), datant du XIXe siècle, avait été préalablement constatée le 16 décembre 2024. Cet ouvrage de ferronnerie du XVIIIe siècle se développe sur treize mètres de long. Il provient de l’établissement thermal de Luxeuil-les-Bains. Classée au titre des monuments historiques par arrêté du 5 septembre 1942, la grille fut ultérieurement donnée au Musée lorrain en 1953 et installée avec bonheur rue Jacquot en limite du jardin du Palais ducal.
Les planches du permis de construire montrent (voir ci-dessous) que la porte piétonne attenante, surmontée d’un cartouche rocaille en pierre, inscrite puis classée au titre des monuments historiques en 1944 et 2005, disparaîtrait. Ces modifications d’un état homogène et satisfaisant du point de vue esthétique seraient totalement gratuites. Comme le serait la démolition intégrale du bâtiment de l’ancienne gendarmerie de 1855, qui pourrait être simplement remanié, notamment afin de retrouver sa hauteur primitive d’avant sa surélévation des années 30. De même, la jonction des bâtiments de l’ancienne gendarmerie et des petites écuries mériterait d’être revue.
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Précisons que l’ancien palais ducal a été classé au titre des monuments historiques avec les "façades et toitures de l’ancienne petite écurie" et celles "de l’ancien bâtiment scolaire" (aussi dénommé gendarmerie), bâtiments ayant été enrichis au milieu du XXe siècle de quatre portes des XVIIe et XVIIIe siècles (dont celle de l’ancien hôtel de ville), sauvées de la démolition dans le cœur de la ville. A cet ensemble s’ajoute un puits monumental (reconstruit entre les deux bâtiments), le cartouche rocaille et la grille de Luxeuil précédemment évoqués, soit au total sept éléments classés avec les bâtiments.
Le chartiste, historien de l’art et académicien Pierre Marot (1900-1992), conservateur du Musée lorrain entre 1934 et 1992, fut à l’origine de cet ensemble monumental recomposé. Ces vestiges servaient d’introduction à la visite du musée. L’arrêté de classement du 21 décembre 2005 précise d’ailleurs qu’il s’agit d’un "ensemble unique", jouant notamment un "rôle de témoin dans l’histoire de la restauration", ce que l’importance de l’action du conservateur pour le patrimoine nancéien justifiait. Les deux portes intégrées à la façade de la gendarmerie, le puits et le cartouche rocaille seraient déposés avant démolition - ce qui ne manquera pas de les dégrader - tout comme les deux portes intégrées à la petite écurie, pourtant destinée à subsister. Ne demeurerait en définitive, des sept éléments protégés, que la grille de Luxeuil.
Le creusement du sol - manie en matière d’extension de musées - serait ici mal venu, pour des raisons tenant à l’archéologie comme à la nature des sols. La zone retenue pour le creusement est en effet occupée par les vestiges de l’aile nord du palais Renaissance dont la façade principale est toujours conservée et probablement par les substructions du deuxième château fort de Nancy. Le sol, très humide (les caves du palais ducal voisin sont régulièrement inondées), nécessitera des travaux de cuvelage coûteux et fragiles. La déconstruction et la reconstruction des petites écuries et du mur de clôture de Baligand-Héré (XVIIIe siècle), qu’implique ce creusement, inquiète également. Pourtant, les bâtiments de la gendarmerie et de le petite écurie se prêteraient parfaitement à un accueil de plain-pied pour le musée, tandis que les salles d’exposition projetées en sous-sol pourraient être accueillies par le palais du Gouvernement voisin, qui ne demande qu’à être rattaché au musée (il est actuellement sans affectation pérenne).
Le projet d’extension, un temps chiffré à 31 millions d’euros HT, atteint aujourd’hui les 55,7 millions d’euros HT (!), dont un tiers à la charge de l’Etat et un tiers à la charge de la Région. Cette somme risque de croître, en raison des contraintes évoquées, alors que le projet de réaménagement des bâtiments existants serait moins coûteux, plus écologique et plus patrimonial.
Ce projet est situé au cœur de la ville historique de Nancy, à l’interface entre la vieille ville et la ville monumentale du XVIIIe siècle, à quelques centaines de mètres de la place Stanislas. Le Musée lorrain est abrité par les édifices emblématiques que sont le palais des ducs de Lorraine, l’église et le couvent des Cordeliers, tous classés au titre des monuments historiques et situés dans le secteur sauvegardé, devenu site patrimonial remarquable de Nancy.
L’urbanisme particulièrement réglé et harmonieux de la ville pose la question de la légitimité d’un bâtiment construit "en rupture" de l’existant, énième extension brutale d’un musée en France. Pourquoi ne pas considérer l’existant, le transformer en l’amendant, plutôt que de construire un bâtiment en verre sérigraphié, prétentieux et inutile ? La finesse architecturale est-elle interdite en matière d’extension de musées ?
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Le chantier, qui sera ouvert dans la cour, se dérobe aujourd’hui aux regards des passants en raison de la palissade opaque en bois installée à l’entrée de la rue Jacquot et des grilles "caddie" implantées à son autre extrémité.
Nous espérons être entendus par le juge des référés afin que notre recours au fond puisse être examiné en toute sérénité, pour un projet plus modeste et respectueux de l’urbanisme si particulier de Nancy, l’une des plus belles villes de France.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments