Le parc éolien de Rougemont-Baume dans le Doubs, construit en 2016-2017, devait être quasiment invisible depuis le domaine de Bournel situé à 4 km de l’éolienne la plus proche. Pourtant, si elles ne sont pas visibles depuis le château vieux, depuis le château néo-gothique de Bournel, la réalité est tout autre.
Un intérêt à agir décorrélé de la distance des monuments
Aussi, par sa décision de reconnaître l’intérêt à agir des associations et des propriétaires, le Conseil d’État a implicitement reconnu les qualités majeures de ce site exceptionnel.
Saisie par les propriétaires du domaine, Sites & Monuments et le CRECEP (association régionale de défense de l’environnement), la Cour d’appel de Nancy avait refusé le droit à agir des requérants qui demandaient l’abaissement des éoliennes qui devaient être à peine visibles du domaine. Le Conseil d’État, dans l’extrait suivant de son jugement du 17 février 2023, donne tort à la Cour d’appel qui devra, cette fois-ci, se prononcer sur le fond :
Après avoir relevé que les quatre éoliennes faisant l’objet de la décision attaquée par les requérants étaient distantes de 4 kilomètres du château de Bournel, protégé au titre des monuments historiques, et qu’il ne résultait pas de l’instruction que la situation de covisibilité très réduite de ces éoliennes aurait un impact significatif sur les vues disponibles depuis le château, le domaine et le practice de golf, la Cour administrative d’appel a estimé que, dès lors qu’ils ne se prévalaient d’aucun autre inconvénient ou danger susceptible d’être provoqué par le fonctionnement des éoliennes litigieuses, les requérants ne justifiaient pas d’un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Doubs avait refusé de prescrire l’abaissement de ces quatre aérogénérateurs. En statuant ainsi, alors que les associations requérantes faisaient valoir que leur objet social leur conférait un intérêt de nature à leur donner qualité pour agir contre la décision litigieuse, et alors qu’au surplus, dans leur second mémoire en réplique produit devant la Cour, les associations avaient invoqué l’atteinte portée par les éoliennes litigieuses à plusieurs autres monuments protégés et à des éléments caractéristiques du paysage situés à proximité du parc éolien, la Cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’insuffisance de motivation.
Sur l’intérêt pour agir de M. et Mme de Moustier :
En se fondant sur la seule distance entre le domaine de Bournel et les éoliennes litigieuses et la covisibilité réduite pour dénier à M. et Mme de Moustier un intérêt suffisamment direct pour contester la décision litigieuse, alors qu’il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment d’une lettre, produite par M. et Mme de Moustier, du directeur de l’hôtel-restaurant et du golf exploités sur le domaine de Bournel, faisant état du mécontentement de clients à l’égard des éoliennes visibles depuis le château et, en particulier, de la gêne occasionnée à la nuit tombée par les lumières émises par ces appareils visibles depuis leurs chambres, que la visibilité de ces éoliennes était de nature à porter atteinte aux conditions d’exploitation de l’hôtel-restaurant et du golf installés sur le domaine, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique.
Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.
Cet arrêt est fondamental car il ouvre une perspective favorable à la protection du patrimoine menacé par des parcs éoliens décorrélée de leur distance des monuments. Le rejet de la requête au Conseil d’État aurait eu de tristes conséquences.
Quelques éléments pour mieux connaître le domaine de Bournel
Propriété de la famille de Moustier depuis cinq siècles, ses composantes forment un ensemble particulièrement exceptionnel en Franche-Comté.
Une situation remarquable
Le regard se porte au Nord-Est vers un paysage vierge ouvert sans élément d’artificialisation avec vue directe sur les Vosges à 30 km, et au-delà de 5 km vers le Sud où se trouvent les éoliennes.
Le site de Bournel est un « site inscrit » avec son château, le village de Cubry et leurs abords (arrêté du 17 février 1995) couvrant plus de 400 hectares.
Un jardin "remarquable"
La création du jardin paysager a été confié aux frères Bulher, célèbres paysagistes. La grotte du potager (MH), le monoptère (MH), le parc paysager à l’anglaise (IMH), le jardin à la française (IMH) et le potager (IMH) sont protégés au titre des Monuments historiques par un arrêté du 28 août 1989.
Le jardin et le parc bénéficient du label Jardin remarquable, seul label de ce type attribué dans le département du Doubs et l’ensemble du domaine prend place au sein du site inscrit « Château de Bournel, village de Cubry et leurs abords ». L’ensemble fait l’objet d’un entretien soigné.
Une architecture spectaculaire
Le vieux château en tuiles vernissées avec sa ferme imbriquée est construit à partir de 1730, il est agrandi entre 1890 et 1910.
L’architecte Clément Parent (élève d’Eugène Viollet-le-Duc) construit un château moderne, dit "château neuf", dans un style néogothique à partir de 1860. Le 6ème marquis Pierre-René de Moustier en termine la décoration Intérieure et fait construire la chapelle inspirée de celle du château d’Amboise. Le château néogothique et sa chapelle, tous les deux en totalité, ont, à l’instar de la grotte du potager et du monoptère dans le bois de Châtey, été classés monuments historiques par un arrêté du 28 août 1989, alors que les communs, les écuries, la ferme, la tour d’Orival, le jardin à la française et le potager ont été inscrits sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques par un second arrêté du même jour.
L’ensemble de la composition architecture-nature et la qualité de la restauration et des matériaux employés offrent un tableau d’une grande élégance.
Un lieu touristique apprécié
Le golf en contrebas et l’ancienne ferme constituent un cadre luxueux pour les touristes en recherche de chambres prestigieuses, d’un service de grande qualité et d’une restauration haut-de-gamme, contribuant au rayonnement culturel français.
Michel de Broissia, délégué régional Sites & Monuments de Bourgogne-Franche-Comté.
Voir le jugement de première instance en 2018
Voir l’arrêt du Conseil d’État du 17 février 2023