Exproprier pour détruire le Site patrimonial remarquable (SPR) de Perpignan - Notre participation à l’enquête publique

Olivier Poisson, administrateur de Sites & Monuments, a contribué à l’enquête publique sur la déclaration d’utilité publique du projet de "renouvellement urbain" du quartier Saint-Jacques de Perpignan, qu’il connait intimement. Il s’agit, encore et toujours, de démolir pour revitaliser et "aérer" la vieille ville, autant de mutilations détruisant son histoire et son pittoresque.

Sites & Monuments avait contesté, devant la CNPA, puis devant les tribunaux, la révision du Site patrimonial remarquable (SPR) qui rend possible une partie de ce massacre.

Notons que Louis Aliot, maire de Perpignan depuis juillet 2020 et vice-président du Rassemblement National (parti dont le discours patrimonial est le plus développé), a chaussé les bottes de son prédécesseur Les Républicains pour détruire sa ville, aidé en cela par l’État (convention signée en janvier 2020 avec l’Agence Nationale de la Rénovation Urbaine).

JL

Ilot 15 PA - Perpignan, îlot situé entre la rue de la Savonnerie et la rue des Carmes voué à la démolition au profit d’un espace "à dominante végétale". Illustration Sites & Monuments.

Observations soumises à M. le Commissaire-Enquêteur, demande de déclaration d’utilité publique du projet de renouvellement urbain sur le quartier Saint-Jacques de Perpignan, par Olivier Poisson.

Présentation "ludique" par la municipalité de Perpignan du projet de déclaration d’utilité publique (DUP) préalable à l’expropriation et au "renouvellement urbain".

Le projet de déclaration d’utilité publique soumis à l’enquête concerne une partie du quartier Saint-Jacques de Perpignan, la DUP devant conduire à l’expropriation d’un vaste secteur urbain, comprenant, entre autres, la rue Llucià, la rue des Carmes, la rue du Moulin-Parès, la rue des Potiers et quelques autres. La finalité de cette appropriation est de permettre d’une part la démolition pure et simple d’une partie du tissu urbain, la démolition-reconstruction de certains îlots et, enfin la réhabilitation supposée de certains autres.

Principaux îlots concernés par l’opération de renouvellement urbain.

Ce projet est dans la droite ligne des projets menés sur cette partie du centre-ville par les municipalités successives, depuis environ dix ans, qui sont largement critiquables.

En effet, bien que la ville soit dotée d’un Secteur sauvegardé (loi du 4 août 1962, dite « loi Malraux », aujourd’hui « Site patrimonial remarquable », SPR), aucun de ces projets ou leurs motivations, ou les méthodes qui leur sont associées pour leur mise en œuvre ne tiennent compte du caractère historique de la ville, de la qualité intrinsèque de ses bâtiments, de ses tissus ni de son paysage. On se contente, en matière de patrimoine, de faire une lecture « monumentale » attribuant une plus ou moins grande valeur à des édifices singuliers, sans reconnaître la valeur d’ensemble des quartiers vernaculaires dont la trame historique remontant au XIIIe siècle et dont l’évolution jusqu’au XXe siècle constitue (ou constituait, jusqu’au nombreuses démolitions des dix dernières années), un patrimoine et un paysage urbain des plus remarquables. Pour ces quartiers, on se borne, sans imagination et sans compétence effective, à postuler un « mauvais état », faire un constat de dégradation, sans jamais en évoquer les causes de manière précise ou argumentée. On peut lire par exemple, dans le dossier mis à l’enquête que la ville souffre, comme d’autres villes méditerranéennes paraît-il, du « vent, du soleil, du sel » (sic, p.5). Une déclaration d’une telle puérilité est consternante, comme d’ailleurs son rapport éloigné à la réalité. On cherche en vain dans ce dossier le moindre recul sur l’évolution du centre ville, on cherche en vain le moindre aperçu sur les causes de la dégradation (et les phénomènes qui les amènent), comme par exemple l’extension de l’étalement urbain, le déplacement des fonctions commerciales, l’évolution sociale du centre ville par le déplacement des zones d’habitat selon les catégories socio-professionnelles, la formation de véritable ghettos ethniques ou culturels, etc. Le constat d’une difficulté, présumée telle qu’elle doive entraîner un remaniement urbain extrêmement important, avec la disparition d’îlots entiers, l’effacement complet de rues, mériterait d’être appuyé sur des analyses précises, alors que le dossier se contente de notions extrêmement vagues comme (p. 15) des « difficultés urbaines, sociales et économiques ». On se demande d’ailleurs, dans le cas précis, si l’expression « difficultés urbaines » est une expression qui possède la moindre signification…

Dispositions du Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du Site patrimonial remarquable (SPR) de Perpignan après révision.

Depuis la prescription d’une révision du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), en 2014, la ville a systématiquement cherché à contourner ou dévaloriser la notion même de sauvegarde du tissu urbain historique, obtenant par la révision le déclassement de plus de 130 parcelles dans le quartier Saint-Jacques, afin de procéder facilement au plus de démolitions possibles.
Ces démolitions sont toujours justifiées par un mauvais état des constructions, mais celui-ci n’est jamais justifié par des expertises véritablement compétentes en matière de bâti ancien. Il s’agit pourtant d’un bâti sans complexité, fait de murs parallèles en maçonnerie et de planchers en bois qui les relient, avec des portées réduites et dont on peut — pour la plupart, en général —, avec des moyens simples, assurer la consolidation en cas de dégradation des supports. L’immeuble de la place Fontaine-Neuve dont la photo figure p. 24, en particulier, ne peut justifier, compte tenu de la réalité des structures d’un tel immeuble, l’extraordinaire batterie d’étais métalliques posés prétendument pour prévenir sa ruine (et d’ailleurs à grands frais). Il s’agit plutôt d’une mise en scène urbaine destinée à faciliter les projets en impressionnant les habitants pour les convaincre des dangers et de la nécessité pour eux de partir. L’immeuble détruit par arrêté de police de 2023, au coin de la rue des Bohémiens et de la rue des Potiers a été jugé irrécupérable d’après le seul examen superficiel de quelques menues fissures sur sa façade, alors qu’aucune visite n’a été réalisée à l’intérieur. Ce défaut de culture technique à propos de la ville ancienne nourrit depuis des années les préjugés des services de la ville de Perpignan et conduit à des actions qui ont profondément déstructuré le tissu historique et le paysage urbain du quartier Saint-Jacques, dont le projet qui est ici présenté est la continuation (plus de 80 démolitions au fil des années).

À propos de la concertation sur le projet (en fait une série de réunions où très peu de participants ont accepté de se rendre, vu le peu d’informations communiqué sur les intentions de la ville — et le refus de celle-ci de répondre aux questions), l’ASPAHR est citée dans le rapport et il semble être fait état de sa position avec la mention de « l’arrêt des démolitions » (p. %).

L’ASPAHR, à vrai dire, s’est exprimée depuis longtemps (et en vain) sur tous ces sujets et ces projets, et ses demandes ne concernent pas seulement « l’arrêt des démolitions ». Pour la bonne information du Commissaire-enquêteur, car je doute que ce document lui sera transmis, je reproduis ci-dessous le « Manifeste pour Saint-Jacques », rédigé et publié par cette association le 18 décembre 2021 :

L’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine artistique et historique roussillonnais, ASPAHR, fondée en 1963 à Perpignan, devant les destructions massives poursuivies dans le quartier Saint-Jacques à Perpignan :

 ne pouvant accepter la disparition d’un pan supplémentaire de patrimoine historique dans le département et dans la ville de Perpignan, comme ce fut le cas il y a un siècle avec la démolition des remparts, puis des pertes notoires comme celle du couvent de La Merci, de la caserne Saint-Martin (construite par Vauban) et d’autres nombreux édifices à Perpignan (presbytère de la cathédrale, en particulier), ou ailleurs dans les Pyrénées-Orientales, sous des prétextes divers ;
 voulant affirmer les valeurs fondamentalement positives du patrimoine architectural et urbain pour la qualité de la vie et de la culture en général, spécialement dans le contexte de la crise énergétique et climatique auquel notre planète est désormais confrontée, qui impose l’économie d’énergie, la réutilisation des structures et des matériaux existants comme démarche de base ;
 rappelant qu’il n’est pas de vie en société possible sans un cadre de vie harmonieux et porteur de sens, dont les valeurs immatérielles partagées, liées à l’histoire, à l’esthétique, ou à la cohérence avec le milieu, sont tout aussi importantes que les valeurs matérielles ;
Exprime ci-dessous les orientations nécessaires qui devraient être prises par les autorités, tant municipales que départementales ou nationales en ce qu’elles ont compétence, directe ou indirecte, sur la conservation du tissu urbain historique de Perpignan (Perpinyà), en particulier dans le quartier Saint-Jacques (Barri de Sant Jaume) :

1. Arrêter les démolitions.
2. Réaliser en urgence des travaux conservatoires (protection des toitures, ouvrants, sécurisation…) pour stopper les dégradations sur les immeubles vacants (en particulier ceux propriété de la ville).
3. Améliorer l’expertise sur l’état des immeubles : ne faire appel qu’à des architectes / ingénieurs ayant l’expérience réelle du bâti ancien. Réaliser des expertises contradictoires avec les représentants des habitants et des associations.
4. Réaliser un inventaire du bâti traditionnel que la révision du Site patrimonial remarquable n’a pas fait. Les caractères vernaculaires du bâti sont patrimoniaux.
5. Rouvrir la rue des Farines et la rue des Bohémiens à la circulation publique. Remplacer les étaiements extérieurs de constructions du quartier par les renforcements appropriés (tirants, étais et autres) intérieurs, sans empiéter sur la voie publique.
6. Réaliser des opérations test ou expérimentales en petites unités à partir de parcelles appartenant à la ville ou vacantes (déjà démolies, « dents creuses »).
7. Investir dans les études pour faire évoluer les logements en conservant les structures principales du bâti. Mettre en œuvre le cas échéant des jumelages de parcelles (côte à côte ou dos à dos). Missionner des architectes imaginatifs et motivés sur ce type de programmes par le biais d’appels d’offres spécialement rédigés.
8. Etablir une véritable concertation au long cours, incluant des aspects expérimentaux et pédagogiques, permettant aux habitants du quartier de participer à la démarche et de s’en approprier les résultats.
9. Etablir un guide de rénovation à l’attention des maîtres d’ouvrage publics et privés. Consacrer la primauté de la conservation des façades et des structures principales du bâti ainsi que l’emploi de matériaux durables. Modifier le Plan de Sauvegarde et de mise en valeur de Perpignan avec des règles d’ensemble pour la protection des quartiers Saint-Jacques et Saint-Matthieu.
10. Mettre en place des financements en rapport avec l’enjeu urbain. Accepter de payer plus cher des logements rénovés, sans référence aux prix de revient des logements sociaux. Le bénéfice qualitatif, culturel et environnemental pour la ville est à ce prix.

Il est inutile de dire que ce manifeste n’a jamais été pris en compte, ni suivi, ni fait l’objet d’une concertation quelconque avec les services de la ville. La concertation, pour la ville de Perpignan, est éventuellement d’entendre les habitants, mais jamais de leur exposer ses projets, ni, bien sûr, d’en discuter le contenu avec eux ou avec des interlocuteurs qualifiés.

Dispositions, par îlot, du plan de renouvellement urbain.

Indépendamment des points d’ordre général évoqués ci-dessus, différents aspects du projet présenté (§6, p. 54-55) à l’enquête publique appellent de ma part les commentaires suivants.

Îlot 2bis Ouest

Ilot 2 bis O - Perpignan, rue du musée, îlot destiné à être démoli en face de l’hôtel de Mailly classé au titre des monuments historiques (musée Hyacinthe Rigaud). Illustration Sites & Monuments.
Ilot 2 bis O - Perpignan, place Fontaine Neuve, îlot destiné à être démoli. La déstructuration architecturale du quartier sera ainsi achevée. Illustration Sites & Monuments.

La démolition des immeubles est justifiée par un état de dégradation, constaté depuis plus de 10 ans pour l’un d’entre eux (2013) et auquel il n’a jamais été remédié. Il est clair que l’on laisse depuis toutes ces années « pourrir la situation », alors que des mesures simples auraient permis, certainement en moins d’une décennie (!) de consolider ces immeubles et de les remettre en état d’habitabilité. Il n’y a, avec les moyens actuels, aucun obstacle technique à de telles consolidations, en raison de la simplicité des structures existantes, qui peuvent être renforcées, renouvelées, doublées le cas échéant, élargies, etc, etc. La question est une question de point de vue : la ville historique mérite-t-elle d’être conservée, ou doit-on seulement la considérer comme un terrain à bâtir ?
En ce qui concerne la rue du Moulin-Parès, cette ruelle offre, par la perspective soudainement ouverte vers le bâtiment de l’université, un parcours particulièrement pittoresque que le projet urbain devrait avoir pour objectif de préserver.
Le projet prévoir de démolir entièrement cet îlot et de le reconstruire. On met en avant le péril d’un immeuble pour en détruire onze. C’est en outre un choix discutable pour des raisons de paysage urbain. La diversité des immeubles et des façades, l’intérêt de certaines d’entre elles, leurs techniques de construction telles qu’elles s’expriment dans leurs détails, même modestes, (ouvertures avec des encadrements en marbre, balcons en fer ou en fonte, corniches d’immeubles en terre cuite, etc) participent de l’image urbaine et de son historicité, qu’il est souhaitable de conserver. Cet aspect est d’autant plus important au voisinage du bâtiment de l’université construit au XVIIIe siècle (MH). La ville ancienne n’est pas seulement faite de « monuments » (comme certains le croient) mais de tout ce qui les entoure et les accompagne au fil du temps.

Ce qui est prévu pour remplacer, c’est un bloc de logements sociaux, construits de façon contemporaine (dans le cadre des prix au m2 applicables aux logement sociaux...) qui ne pourra en aucun cas remplacer l’image urbaine disparue. Il est à noter que ce projet vient percuter la réglementation du Secteur sauvegardé/ SPR : les immeubles qui composent cet îlot peuvent être, individuellement, « améliorés ou remplacés » (catégorie 6) : un projet d’ensemble de démolition pour substitution par un bloc homogène contemporain peut-il entrer dans cette définition réglementaire ? Personnellement, j’en doute.

Îlot 2 PA

Ilot 2 PA - Perpignan, rue du Paradis, îlot voué à une démolition partielle (étoile). Illustration Sites & Monuments.
Ilot 2 PA - Perpignan, rue du Sentier, îlot voué à une démolition partielle (étoile). Illustration Sites & Monuments.
Ilot 2 PA - Perpignan, rue Jean Bailly, îlot voué à une démolition partielle (étoile). Illustration Sites & Monuments.

Il est prévu de démolir cet îlot et de le reconstruire, bien que le plan (p. 53) soit en contradiction avec ce qui est écrit à propos du projet (p. 54).
On peut faire les mêmes remarques que précédemment. La diversité du bâti, son ancienneté, l’expression de ses différents caractères, de ses différents détails, même s’ils sont simples, ne sera jamais remplacée, en termes de qualité et d’attractivité de la ville historique par un bloc moderne de 11 logements sociaux.
En outre ce projet de démolition est en contradiction avec le PSMV qui tient lieu de document d’urbanisme : trois des quatre immeubles sur la rue Llucià sont en catégorie 5bis et doivent être conservés.

Îlot 11 PA

Ilot 11 PA - Perpignan - rue Fontaine Neuve, îlot voué à une démolition partielle (étoile). Illustration Sites & Monuments.
Ilot 11 PA - Perpignan, angle des rues François Llucia et des Cuirassiers, îlot voué à une démolition partielle (étoile). Illustration Sites & Monuments.
Ilot 11 PA - Perpignan, rue François Llucia, îlot d’immeubles au riche second œuvre voué à une démolition partielle. Illustration Sites & Monuments.

Cet îlot a déjà été en partie démoli sous un prétexte futile il y une dizaine d’années (une fuite d’eau…), entraînant la démolition de l’immeuble où se trouvait la maison et la pharmacie de Joseph Deloncle (1913-1990), dont la place porte le nom. C’est une chose étrange, dans une ville historique, que dans un endroit qui est un peu un lieu de mémoire, puisque qu’on l’a dédiée à une personnalité marquante, que de démolir la maison qui est la raison de tout cela pour un oui ou un non. Dans une ville historique, l’histoire ne compte-t-elle pas pour quelque chose ? La ville l’a bien oublié !
Le dossier affecte de parler de « recyclage » pour dire réhabilitation du bâti. Ce vocabulaire étrange est peut-être à la mode ? J’espère que cela ne veut pas dire que l’on considère le bâti ancien comme un déchet…

La réhabilitation est évidemment une direction souhaitable, mais l’objectif affiché de diminution de la densité et du nombre de logements me semble un drôle de critère, s’il est appliqué a priori. On doit partir du bâti existant, le connaître, en évaluer les qualités (et les défauts), immeuble par immeuble (c’est le principe même d’un Secteur Sauvegardé/SPR) et proposer les meilleures interventions conduisant à produire des logements de qualité, tout en ayant pour but de sauvegarder la diversité urbaine et sa morphologie historique. Cinq parcelles de cet îlot sont d’ailleurs à conserver au PSMV (catégorie 5bis) ce qui peut s’opposer aux intentions affichées de dé-densification.

Îlot 12 PA

Ilot 12 PA - Perpignan, rue François Llurcia, avec, au premier plan (étoile), un ensemble d’immeubles voué à une démolition partielle. Illustration Sites & Monuments.
Ilot 12 PA - Perpignan, croisement de la rue des Bohémiens et de la rue François Llurcia avec, au premier plan (étoile), un ensemble d’immeubles voués à une démolition partielle. Illustration Sites & Monuments.
Ilot 12 PA - Perpignan, rue des Potiers, avec, au premier plan (étoile), un ensemble de maisons voué à une démolition partielle et, au second plan, des maisons destinées à une démolition totale. Illustration Sites & Monuments.

On peut faire les mêmes remarques que précédemment. L’objectif de « dé-densification », qui suppose, d’après le projet des interventions lourdes (démolition partielle des immeubles pour les abaisser, ou pour créer des cours) qui seront coûteuses et complexes à mettre en œuvre. Pourquoi les prescrire a priori, indépendamment de la situation particulière et de l’analyse de chaque immeuble ? D’ailleurs, d’après la règle d’urbanisme (PSMV révisé), la quasi-totalité du front urbain sur la rue Llucià est composé d’immeubles à conserver (catégories 5 et 5bis) : il n’est donc pas envisageable, dans ces immeubles, de réaliser des démolitions partielles, que ce soit d’étages ou de parties du bâtiment à supprimer pour créer des cours, comme le projet en a l’intention. En outre, on peut se demander si la dé-densification d’un quartier existant et fonctionnel (en tout cas cet îlot, qui est occupé, avec de nombreux propriétaires-occupants qui seront donc expulsés) contribue réellement à la lutte contre l’étalement urbain...

Îlot 13 PA

Ilot 13 PA - Perpignan, rue des Potiers, avec îlot voué à la démolition. Illustration Sites & Monuments.
Ilot 13 PA - Perpignan, rue François Llucia, avec îlot voué à la démolition. Illustration Sites & Monuments.

La démolition catastrophique récente de l’extrémité de cet îlot en haut de la rue Llucià, dont on peut douter de la justification technique (procédures judiciaires en cours), devrait être suivie maintenant d’une reconstruction. Il est permis de penser que les frais de la démolition et de l’étaiement des immeubles restants (plus de 700 000 €), payés par les contribuables auraient assuré, appliqués à des travaux confortatifs, la conservation de ces immeubles...
Pour les immeubles restants, le projet paraît orienté non sur la conservation et l’aménagement des immeubles, mais sur une dé-densification du tissu urbain (le projet parle toujours de « recyclage », pour dire « réhabilitation »…) Il m’apparaît que, même si la densité de l’habitat est un paramètre à prendre en compte, il n’est pas un objectif en soi et que tout doit être apprécié au cas par cas. Dans la ville historique, il faut rappeler encore une fois que l’on part de l’existant, légué par l’histoire et qu’il est illusoire d’y appliquer des critères abstraits qui ne font que compliquer les situations, renchérir les coûts et appauvrir, finalement la qualité des espaces urbains.

Îlot 15 PA

Ilot 15 PA - Perpignan, îlot situé entre la rue de la Savonnerie et la rue des Carmes voué à la démolition au profit d’un espace "à dominante végétale". Illustration Sites & Monuments.
Ilot 15 PA - Perpignan, îlot situé entre la rue de la Savonnerie et la rue des Carmes voué à la démolition au profit d’un espace "à dominante végétale". Illustration Sites & Monuments.

Le projet correspondant à la démolition de la totalité des immeubles sur l’îlot 15 PA est un projet poursuivi depuis plusieurs années par la ville de Perpignan, qui a obtenu dans la révision « sur mesure » du PSMV approuvée en 2014 le classement en catégorie 7 (immeubles dont la démolition peut être prescrite lors d’une opération d’aménagement) des immeubles qu’elle avait de toutes façons projeté de faire disparaître. Ce projet est une idée a priori, encore une fois, qui ne tient pas compte du paysage urbain historique existant. On peut certes imaginer comme positive la création d’un parc urbain. On pourrait répondre que les quartiers historique denses, d’origine médiévale, ne sont pas forcément les lieux qui se prêtent le plus facilement à de tels projets, même si, dans l’îlot considéré les démolitions ont déjà été telles que le vide y domine, en partie du moins. Les arguments proposés sont d’ailleurs assez spécieux : la question du « poumon vert » à Perpignan, ville qui n’est certes pas au milieu d’une agglomération si importante que la nature en soit absente, est largement à relativiser, d’autant plus qu’à proximité se trouvent de grands espaces verts (Square Bir-Hakeim, relié au quartier par la place Molière et, plus près encore, le Jardin de la Miranda, au flanc de l’église Saint-Jacques, bien qu’il soit le plus souvent ...fermé au public ! La « fraîcheur » supposée d’un tel lieu peut d’ailleurs être mise en doute sous notre climat (les rues ombreuses du quartier Saint-Jacques sont sûrement plus fraîches en été qu’un parc où les arbres à planter donneront de l’ombre dans une dizaine d’années environ, au mieux), tout comme la fonction de « rencontre » également mise en avant. On a à cet égard l’impression que les auteurs du projet ne viennent pas souvent dans le quartier, où la place du Puig, la rue Llucià, la place Cassanyes, sont des lieux ouverts des plus fréquentés où la « rencontre » est de tous les instants. Tout ceci ne fait que démonter la faiblesse de la réflexion qui a conduit à ce projet. Encore une fois, la réflexion sur l’aménagement de la ville historique doit partir de l’état existant, de ses qualités, de son apport à l’ensemble, et non d’idées préconçues et de préjugés.

Le plus dommageable de ce projet est l’effacement de la rue des Carmes et la démolition intégrale des édifices qui la bordent. Cet îlot, qui est d’ailleurs un îlot réhabilité sur fonds publics il y a une vingtaine d’années, et occupé, forme le fond de la perspective de la rue Fontaine-Neuve, au-delà de la place du même nom. Son extrémité ouest est ainsi un élément important du paysage urbain. Même pour la création d’un parc, si l’on a vraiment besoin de « vert », de « fraîcheur » et de « rencontre », la démolition de cet îlot et l’effacement de la rue ne s’imposent pas, le parc peut s’étendre derrière l’alignement. La rue des Carmes, d’ailleurs, comme son nom l’indique, longe et accompagne la plate-forme où est établie cette grande église du XIIIe siècle et est un important élément paysager du centre ville. Je ne vois aucune utilité publique à le faire disparaître.

Îlot 18 PA

Ilot 18 PA - Perpignan, rue des Carmes, maisons accolées à l’église classée monument historique des Carmes vouées à la démolition. Illustration Sites & Monuments.
Ilot 18 PA - Perpignan, rue des Carmes, îlot entourant l’église classée monument historique des Carmes vouées à la démolition. Illustration Sites & Monuments.

Cela fait maintenant bien des années que la ville de Perpignan cherche à obtenir la démolition des immeubles qui se sont logés, au fil du temps, entre les contreforts qui soutiennent la plate-forme où s’érige l’église des Carmes. Là où un pittoresque urbain évident serait considéré partout (en France et ailleurs) comme une petite richesse patrimoniale d’une ville, un paysage un peu singulier, on n’a comme projet que d’éliminer ces constructions pour dégager les murs nus des contreforts et du mur de soutènement, pour en faire des lieux inévitablement délaissés où s’accumuleront ordures et excréments. Il est tout aussi difficile de comprendre pourquoi il y aurait une nécessité à démolir les édifices qui sont au chevet de la grande église (et nettement en contrebas) pour aménager la liaison entre l’enclos du couvent (aujourd’hui Casa Musicale) et le « futur parc ». Un passage peut exister, c’est sans doute souhaitable si l’espace de l’ancien couvent doit être ouvert vers le quartier (malgré la dénivellation), mais il n’a pas besoin du vide urbain pour cela. De toutes façon, ce projet obstinément porté par la ville est incompatible avec le PSMV du secteur sauvegardé qui impose, si elles sont démolies, de reconstruire ces maisons (catégorie 6 / emprise de reconstruction imposée).

En conclusion

En ce qui me concerne, en tant qu’habitant proche du quartier et en tant qu’ancien professionnel du patrimoine, architecte et historien de l’art de formation, je ne peux donner un avis favorable à cette déclaration d’utilité publique, et ce pour plusieurs raisons :

1. d’une part, un nombre non négligeable de contradictions entre les projets annoncés et la réglementation applicable (plan et règlement du secteur sauvegardé / SPR) rendent le dossier peu crédible. A tout le moins, il paraît mal étudié et annonce des opérations qui ne sont pas susceptibles d’être autorisées.

2. d’autre part, même si elle pouvait l’être, je considère que la destruction projetée de nombreux immeubles, telle qu’annoncée (îlots 2bis ouest, ilôt 2A, îlots 15 PA et 18 PA) pour justifier la demande de DUP est de nature à altérer le tissu urbain historique. Ce n’est pas parce que seuls certains immeubles sont réglementairement protégés (catégories 5 et 5bis) que l’ensemble ne doit pas être considéré, avec ses qualités. La ville historique est un tout. En outre, ce bâti est sans doute dégradé par endroits, mais peut être conservé et réhabilité. On dispose sans effort des moyens techniques pour ce faire, à condition de faire appel aux compétences en rapport. Il est nécessaire de renverser la perspective, et plutôt que de « se débarrasser » des immeubles et du quartier il faut prendre appui sur le tissu existant en le réhabilitant pour créer de nouveaux logements et équipements utiles aux habitant et adaptés à leur mode de vie. J’ajoute que cette perspective est devenue aujourd’hui, avec la crise climatique, beaucoup plus importante : le bilan carbone de ces opérations destruction/construction est désastreux, avec à la sortie un moins grand nombre de logements, alors qu’on prétend lutter contre l’étalement urbain !

3. enfin, pour la partie du projet qui concerne la réhabilitation du bâti (le « recyclage », comme s’exprime la ville), je ne vois pas quelle est la nécessité d’expropriation et d’expulsion des habitants ou des propriétaires. La loi Malraux permet des mécanismes de restauration immobilière, avantageux fiscalement, dans lesquels les propriétaires peuvent garder la maîtrise des opérations tout en poursuivant des objectifs de réhabilitation, sans préjudice aucun d’un éventuel soutien complémentaire de la ville (ou d’autres partenaires). Cette nécessité de maîtrise foncière de la ville sur tout un quartier alors que ces mécanismes —éprouvés— existent n’a pas été justifiée dans le dossier qui a été soumis à l’enquête.

Perpignan, le 4 juillet 2024

Olivier Poisson, administrateur de Sites & Monuments

Architecte d.p.l.g.
Ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome (Villa Médicis)
Conservateur général du patrimoine (h), ancien inspecteur général des Monuments historiques