Lettre ouverte du G7 Patrimoine à M. le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Mme la ministre de la Transition énergétique
Objet : le nouveau DPE et la loi climat & résilience, une mise en danger inacceptable du bâti ancien d’avant 1948
Monsieur le Ministre, Madame la Ministre,
Le Salon International du Patrimoine Culturel qui s’est tenu fin octobre a été, pour tous les acteurs du secteur dont nous sommes, l’occasion d’une mise en valeur du rôle de cet héritage culturel et des savoir-faire qui y sont attachés en parfaite adéquation avec les enjeux sociétaux actuels et l’objectif d’un développement durable.
Les conférences et tables rondes qui s’y sont succédé ont toutes mis au centre des débats les notions de performance énergétique, pénuries de matières premières, enjeux des ressources locales, formation et transmission des savoir-faire : une chose est certaine, le développement durable est au cœur de nos missions respectives et nous sommes convaincus que le patrimoine est un modèle et un support de ce développement.
Étonnamment, la loi climat & résilience ne mentionne pas le bâti ancien (d’avant 1948) qui ne peut pourtant pas être confondu avec celui d’avant 1975 - dit des “30 glorieuses” - ni rangé dans la catégorie des “passoires thermiques”.
Ce bâti ancien, qui constitue l’un des atouts de l’esthétique et de l’attractivité de nos villes et de nos campagnes, appelle certes des travaux pour améliorer sa performance énergétique, mais dans le respect de ses matériaux et de l’écosystème qu’il constitue.
Si ces travaux ne respectent pas ce qu’il est - un bâti bioclimatique par nature - et le confondent avec ce qu’il n’est pas - une passoire thermique - loin de l’inscrire dans la durée, ils vont le condamner irrémédiablement.
Nous n’imaginons pas un seul instant qu’il s’agisse d’un choix volontaire. C’est donc une omission de la part des rédacteurs de la loi, qu’il est urgent et vital de corriger.
Il convient de rappeler les conclusions de l’étude BATAN (1) de 2011 commandée par l’ADEME et menée par les CEREMA (Ouest et Est) en partenariat avec Maisons Paysannes de France. Cette étude a permis la constitution d’une typologie du patrimoine ancien sur la base de l’implantation, des propriétés hygrothermiques des matériaux utilisés et des qualités inertielles de ces bâtiments, et a démontré que leur comportement thermique n’était pas apprécié à sa juste valeur.
Pourquoi aujourd’hui ne tire-t-on pas profit de l’avancée de nos connaissances sur le bâti ancien qu’a permis ce programme de recherche ?
Cette catégorie de logements représente le tiers du parc habitable concerné par la loi. C’est donc une “part de marché” lucrative pour tous les intervenants de la rénovation qui, profitant de la pression qui pèse sur les intéressés, abordent ce patrimoine “de façon industrielle”, en méconnaissance de sa nature et de sa valeur.
Ce serait une erreur irrémédiable de laisser ainsi faire les acteurs du marché : le bâti ancien doit par nature faire l’objet d’un traitement spécifique. La disparition programmée de nos menuiseries anciennes, des croisées et des portes - illustrations des savoir-faire du menuisier, du sculpteur, du serrurier ou du verrier - au profit de modèles standardisés, généralement en PVC, n’est pas acceptable. L’âme centenaire de nos maisons ne doit pas être effacée par des productions de l’industrie qui n’ont rien de durable.
L’isolation par l’extérieur qui détruit toute ornementation en saillie des façades pour y arrimer des dalles souvent en polystyrène, ramène l’architecture à un simple gabarit et la met en péril.
Que penser d’une isolation par l’intérieur substituant au second œuvre ancien et à ses décors, des boîtes en placoplâtre ?
Nous nous opposons à cette extinction patrimoniale de masse, à cette négation de l’architecture offerte à tous, annihilant les diversités régionales, les statuts, les époques ou les styles de ces bâtiments. Ce nivellement industriel, consistant souvent à plastifier nos logements, loin de sauver la planète, nous déshumanise et prive les Français de leur héritage artisanal et artistique le plus immédiat.
Pour tous les acteurs, il est urgent de mettre en œuvre une politique cohérente de formation technique et patrimoniale qui, comme le confirment certains médias (2), fait visiblement défaut aujourd’hui.
Nos associations sont contactées par de nombreux propriétaires désemparés à la lecture des résultats du nouveau DPE, devenu opposable et qui débouche dans la plupart des cas sur une préconisation d’isolation par l’extérieur, avec des matériaux et des techniques qui font fi de la valeur patrimoniale des façades et des logiques de fonctionnement de
leurs matériaux, tous sensibles à l’humidité et perspirants.
Devant la catastrophe annoncée, nous attirons votre attention sur ces carences d’une loi qui, appliquée dans l’urgence, risque d’avoir des conséquences néfastes sur le bâti ancien.
Comme nous l’avons exprimé dans le Manifeste du G7(3) - réunion des 7 associations nationales de défense du patrimoine reconnues d’Utilité Publique - lors de la campagne des présidentielles, les signataires souhaitent une meilleure cohérence entre les politiques publiques pour y remédier.
Nos structures sont à disposition des ministères que vous conduisez ainsi que des responsables du secteur concerné - ministère de la Culture, ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse - pour contribuer à la réflexion collective, à la concertation et à la pédagogie, nécessaires à l’acceptation par le corps social de mesures adaptées au bâti ancien, dans le respect de ses modes de fonctionnement.
Les conclusions du rapport BATAN doivent inciter à revoir au plus vite les modes de calcul et les logiciels fondant les DPE applicables au bâti d’avant 1948, qui doit être traité au cas par cas. Les catégories de matériaux, retenues par le décret n°2017-919 du 9 mai 2017 sur “les travaux embarqués”, devraient être une source d’inspiration (4).
C’est en connaissance de cause que pour le bâti ancien, nous disons “non à l’industrie du prêt à isoler !” Nous en appelons à votre responsabilité pour que vous y mettiez fin.
Restant à votre disposition pour mettre en place les mesures qui s’imposent, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, Madame la Ministre, en l’expression de nos sentiments respectueux.
Les signataires :
Gilles ALGLAVE, Président de Maisons Paysannes de France
Alain de LA BRETESCHE, Président de Patrimoine-Environnement
Julien LACAZE, Président de Sites & Monuments
Christian LAPORTE, Président de l’Association des Architectes du Patrimoine
Olivier de LORGERIL, Président de la Demeure Historique
Marie-George PAGEL-BROUSSE, Présidente de REMPART
Olivier de ROHAN CHABOT, Président de la Sauvegarde de l’Art Français
Philippe TOUSSAINT, Président de Vieilles Maisons Françaises
Paris, le 18 novembre 2022
(1) https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/espace-documentaire/batan-modelisation-du-comportement-thermique-du-batiment-ancien-1948
(2) Voir Que Choisir n° 617, « Diagnostic énergétique Quel Scandale ! Aucun ne dit la même chose » ; voir l’enquête de 60 millions de consommateurs de mai 2022, « Nouveau DPE, des erreurs en pagaille ! »
(3) https://www.rempart.com/sauvegarde-restauration-patrimoine/uploads/2022/03/Le-manifeste-du-G7-pour-la-protection-du-patrimoine.pdf
(4) Sur le décret “travaux embarqués” : https://www.sitesetmonuments.org/nouveau-decret-isolation-par-l-exterieur-bilan-de-notre-lobbying et son guide : https://www.sitesetmonuments.org/guide-de-l-isolation-par-l-exterieur-epilogue-d-un-combat