Le paysage versaillais, façonné à très grande échelle par André Le Nôtre - le premier des paysagistes - est gravement menacé par des lacunes dans l’articulation des protections en vigueur. Ainsi, l’actuel domaine de Versailles est classé au titre des monuments historiques et la plaine de Versailles classée au titre des sites mais certains terrains, situés à l’interface de ces deux ensembles, échappent à ces servitudes d’utilité publique. La Commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP) a ainsi adressé un vœu de protection complémentaire de l’Ouest versaillais aux ministères chargés de l’Écologie et de la Culture.
L’urbanisation s’engouffre en effet dans les lacunes de la protection du domaine, malgré la position stratégique des terrains concernés, notamment assiette d’anciennes allées voulues par André Le Nôtre. Une gigantesque composition de cinq doubles allées d’arbres rayonnantes - communément désignées sous le nom de « main du roi » - structurait en effet le grand paysage de l’Ouest versaillais. Les allées de Saint-Cyr et de Fontenay pourraient, à l’instar de l’avenue de Villepreux, être replantées afin de relier ces communes au domaine de Versailles. Il y a urgence puisque l’établissement d’une nouvelle gare sur le chemin de fer de la Grande Ceinture pourrait susciter ou attiser l’urbanisation de ses abords.
Les terrains non protégés comportent, qui plus est, le mur d’origine du domaine, enceinte occidentale du Petit Parc établie en 1685 (comprenant aujourd’hui le Grand Canal). Une portion importante de ce mur (pourtant située hors de l’emprise des travaux ferroviaires de la Grande Ceinture), absolument nécessaire à la compréhension du domaine, vient malheureusement d’être détruite.
La pointe des terrains de Pion (distraits du parc du château en 1906 et récemment vendus par l’Armée) est particulièrement importante, puisqu’elle était parcourue par les anciennes allées de Saint-Cyr et de Fontenay et jouxte le Grand Axe versaillais. L’extrémité de ces terrains a été classée en zone "naturelle agricole" par le PLU de Versailles à la suite d’un contentieux mené par notre association et d’une négociation avec la municipalité. L’emprise de l’avenue de Saint-Cyr sur le terrain de Pion fait en outre l’objet d’une stricte inconstructibilité. Mais cette protection par le PLU est réversible et des poussées densificatrices existent.
En outre, le terrain de Santos-Dumont, enclave dans le site classé située précisément entre les anciennes avenues de Saint-Cyr et de Fontenay, est en cours de lotissement pour y établir un "village d’activités et de services". Ce "bouchon" urbain, en un lieu si mal choisi, n’est pas acceptable. Tous les moyens, y compris celui d’une expropriation pour cause d’utilité publique, doivent être mis en œuvre pour l’empêcher. A défaut, l’acquisition, pour le détruire, du très disgracieux moulin de Saint-Cyr, situé en vis-à-vis de ces mêmes terrains, deviendrait incompréhensible.
La présence, depuis plus de vingt ans, sur l’Axe Royal de l’avenue de Villepreux d’une zone privée de stationnement de caravanes, bloquant la formidable replantation, actuellement en cours, de cette double allée d’arbres, étonne. Une telle activité est en effet formellement interdite par le classement au titre des sites de la plaine de Versailles. Cet usage, tout comme l’abandon régulier de déchets (et même de produits chimiques) à proximité de la Grille Royale, justifierait l’application du statut de "Grand Site de France" comme instrument de réhabilitation de l’ouest versaillais.
Ces dégradations sont d’autant plus incompréhensibles que la partie occidentale du parc de Versailles doit accueillir les épreuves d’équitation des Jeux Olympiques de 2024, à toute proximité du pavillon de la Lanterne, résidence du Président de la République. Il faut d’ailleurs voir dans la venue des Jeux Olympiques une opportunité de réhabilitation de l’Ouest versaillais. Leur comité d’organisation proclame en effet son « ambition environnementale » et son intention de "mettre l’éphémère au service du durable".
La zone dégradée est d’ailleurs concernée par le classement de Versailles au titre du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le camping sauvage - accueillant des caravanes visibles à l’œil nu depuis la terrasse du château - est situé au sein même du bien classé (Axe Royal), tandis que les terrains de Pion en sont immédiatement mitoyens et ceux de Santos-Dumont très proches, au cœur de sa "zone tampon".
Afin de ne pas compromettre l’avenir de ce site emblématique de notre patrimoine paysager national, la Commission supérieure des sites perspectives et paysages (CSSPP) a rendu, le 20 janvier 2022, un avis incitant l’État à compléter sa protection. Adressé aux ministres de la Transition écologique et de la Culture, il est ainsi rédigé :
"La Commission appelle l’attention de la Ministre de la transition écologique et de la Ministre de la culture sur la nécessité de préserver la cohérence et l’unité du site exceptionnel de la Plaine de Versailles, site classé en 2000, en particulier l’ensemble des allées créées en 1680 par André Le Nôtre, dont l’Allée Royale de Villepreux qui est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. La Commission s’inquiète des différents projets en cours, notamment la ZAC Santos-Dumont sise sur la commune de Saint-Cyr-L’Ecole. Par conséquent, elle estime qu’il faut assurer une bonne articulation entre les différentes protections (site classé, monuments historiques et abords) et recommande d’explorer les outils possibles pour permettre une gestion d’ensemble sur ce site. La commission émet en outre le vœu qu’une extension de protection, y compris d’urgence, soit examinée (pointe des terrains de Pion et terrains de Santos-Dumont notamment) dans la perspective d’une requalification globale des abords de l’Etoile Royale de Versailles, le long de l’ancien mur de Louis XIV, avec une attention particulière à l’emprise des cinq allées rayonnantes, à leur contexte immédiat ainsi qu’aux vestiges de l’enceinte."
En application de cet avis, nous préconisons de classer la pointe des terrains de Pion au titre des monuments historiques - protection compatible avec sa vocation principalement agricole - avant de l’inclure dans le domaine national de Versailles (en cours de délimitation), pouvant comporter des enclaves privées. Les terrains de Santos-Dumont doivent être placés sous le régime de l’instance de classement au titre des monuments historiques afin de suspendre leur aménagement et de permettre leur expropriation pour cause d’utilité publique, situation prévue par le code du patrimoine.
L’avis de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP) a été transmis, avec nos préconisations, à mesdames les ministres de la Culture et de la Transition écologique, avec copie à monsieur le Président de la République, madame la directrice générale de l’UNESCO, madame la présidente de l’ICOMOS, monsieur le président du Comité d’organisation des Jeux olympiques et monsieur le président de la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc.
Il serait en effet paradoxal que l’État se désintéresse de la protection du domaine de Versailles, dont la partie occidentale, composition paysagère unique au monde, possède tous les atouts pour renaître.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Procès-verbal de la CSSPP du 20 janvier 2022
Lettres du 23 mai 2022 aux ministres de la Culture et de la Transition écologique
Copies au Président de la République, à l’UNESCO, à l’ICOMOS, au COJO et à Versailles Grand Parc