Dans la forêt domaniale de Fausses-Reposes, sur le territoire de la commune de La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), se dresse un élégant pavillon de chasse édifié pour Louis XV entre 1750 et 1754 par Ange-Jacques Gabriel, premier architecte du roi auquel on doit des œuvres aussi renommées que le Petit Trianon, le château de Compiègne et les hôtels de la place de la Concorde. Ses proportions harmonieuses et ses éléments décoratifs – triglyphes, chaînes d’angle en bossage, chambranles à crossettes, fronton triangulaire orné d’un haut-relief figurant une scène de chasse au sanglier, auxquels il faut ajouter les superbes boiseries ornant les intérieurs – présentent les belles caractéristiques de l’architecture néoclassique naissante, justifiant son classement le 29 août 1927. Non loin du pavillon, deux maisons forestières construites en 1752 et 1860 constituent les seuls vestiges de plusieurs dépendances aujourd’hui disparues.
L’histoire du pavillon du Butard est celle d’un bâtiment dont l’entretien s’avéra toujours fort chaotique. Fréquenté par Louis XVI, devenu bien national sous la Révolution, il fut acquis et remeublé (mobilier aujourd’hui notamment conservé au domaine de Malmaison) pour Joséphine de Beauharnais en 1802 avant de revenir à l’État et de servir à Charles X. Laissé à l’abandon pendant plusieurs années, il fut restauré sous le Second Empire par Charles-Auguste Questel, mais ses intérieurs furent dévastés par les Prussiens en 1870 et il tomba à nouveau dans l’oubli. Loué à des particuliers à partir de 1900, il connut un regain de prestige lorsque le couturier Paul Poiret y entreprit une nouvelle rénovation et y organisa fêtes et concerts. Mis à la disposition du président de la Chambre des députés après la Seconde Guerre mondiale, le pavillon servit de cadre à l’affaire des « ballets roses » en 1959, avant d’être une nouvelle fois abandonné.
Affecté dans les années 1960 à l’Office National des forêts (ONF) qui le louait pour des réceptions privées ou des expositions de peintures, ce dernier mit fin à l’exploitation du pavillon en 2015, l’État ayant décidé de le mettre en vente. S’étant toujours opposé à la cession par l’État de ses fleurons patrimoniaux – à l’image du pavillon de la Muette, autre magnifique réalisation de Gabriel vendue en 2014 –, Sites & Monuments forma devant le Conseil d’Etat un recours contre le décret de cession du pavillon du Butard.
Depuis la loi LCAP de 2016, les dépendances de l’office national des forêts (ONF) comprises dans un domaine national ne peuvent faire l’objet "d’aucune aliénation, même sous forme d’échange". Inquiet de ne pouvoir poursuivre son programme d’aliénation, l’ONF s’assurait par un amendement de la possibilité de poursuivre les "opération d’aliénation déjà engagées" (voir nota sous l’article L. 621-40), en invoquant principalement le cas du Butard (lire l’article). Le pavillon continua cependant heureusement, malgré l’échec du recours de Sites & Monuments et la dérogation législative, à être affecté à l’ONF.
Parallèlement fut créée, en 2016, une association des Amis du Butard, présidée par Antoine Hulot, se donnant pour objet d’ouvrir le bâtiment au public à travers des réceptions et des activités culturelles occasionnelles – sa modeste surface de 225 m2 ne permettant pas d’y installer un musée. L’association, d’abord favorable à l’aliénation du pavillon, parvint à sensibiliser un large public à travers de nombreuses activités, notamment des conférences, des concerts, une ouverture du pavillon lors des journées européennes du patrimoine de 2016 et une fête de la musique en 2017. Le soutien de plusieurs personnalités médiatiques et de nombreux articles parus dans la presse locale lui permirent également d’élargir son audience.
Suite à la sensibilisation des pouvoirs publics à l’intérêt patrimonial du pavillon, et avec l’appui de Philippe Bélaval, alors président du Centre des monuments nationaux (CMN), les services de l’État engagèrent en 2019 un processus de transfert de l’affectation du bâtiment au CMN. Depuis lors, les procédures administratives se poursuivent entre le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Culture afin de définir l’emprise des terrains qui relèvent de l’ONF et qui devront rejoindre le périmètre confié au CMN. Un décret en Conseil d’État devrait en outre être publié afin d’inclure le pavillon dans le périmètre du domaine national de Versailles, le faisant ainsi bénéficier du plus haut niveau de protection prévu par les articles L. 621-34 et suivants du code du patrimoine (auxquels Sites & Monuments à contribué).
Les deux maisons forestières ont malheureusement été vendues depuis aux enchères - réduisant l’ampleur du projet culturel pouvant être mené par le CMN - et ont été largement restaurées par des investisseurs privés, qui y ont aménagé des logements.
Quant au pavillon lui-même, tagué lors des émeutes de l’été 2023 et dont les abords ne sont plus entretenus, il attend toujours, sous l’égide du CMN, une destination à la hauteur de sa qualité architecturale et de sa valeur historique.
Sites & Monuments a, pour sa part, plaidé avec constance (devant les tribunaux et l’opinion publique) pour un maintien définitif de ce chef-d’œuvre d’Ange-Jacques Gabriel dans le domaine public, son inclusion dans un domaine national et son animation par le Centre des monuments nationaux. Ces vœux seront bientôt exaucés.
Antoine Boulant, secrétaire de rédaction de Sites & Monuments