À l’entrée de la commune de Berrac, dans le département du Gers, un projet de centrale agrivoltaïque au sol est envisagé sur 25 hectares de terres agricoles. Ce projet a été élaboré dans le plus grand secret depuis le 25 janvier 2019 (date de la première délibération du conseil municipal l’autorisant), sans aucune consultation préalable des habitants, qui en ont découvert la réalité et l’ampleur, lors de l’affichage de l’enquête publique, en septembre 2022.
Le projet, s’étendant sur "une surface clôturée de 25 hectares" parcourue par une "route de crête bordée d’un grillage de 2 mètres", est composé de "33000 modules photovoltaïques (à définir) pour une production électrique d’environ 17MWc, soit environ 23700 MWh par an, équivalent au besoin de 8700 habitants". Cette indication n’a pourtant que peu de sens, l’électricité produite étant intermittente et, à coup sûr, inexistante la nuit. La durée d’exploitation du parc agrivoltaïque serait de 30 ans.
Concrètement, "des tables fixes d’environ 3 mètres de haut seront fixées sur des pieux battus ou longrines en bêton, espacées de 8,5 mètres afin de permettre trois rangées de cultures de Plantes à Parfum Aromatiques et Médicinales (PPAM). Sous les panneaux, dans une création de biodiversité fonctionnelle, seront cultivées des plantes de semi-ombre (orties, menthe, allaire, euphorbes …)", le tout en "conversion de l’exploitation en agriculture biologique".
Compte tenu du caractère particulièrement inadapté de ce projet, de très nombreux riverains, agriculteurs, retraités, jeunes familles récemment implantées, vivant à Berrac ou dans les communes avoisinantes s’y sont opposés et ont créé l’association "Sauvegarde de Berrac".
Le but de cette association n’est pas de s’opposer aux projets photovoltaïques qui peuvent être envisagés dans le département mais à celui, totalement inadéquat en raison de sa localisation, de son ampleur et de son manque d’intégration, touchant la commune de Berrac.
Parmi les multiples raisons justifiant l’opposition à ce projet, la sauvegarde du patrimoine est celui motivant le plus les habitants. L’emprise de ce parc photovoltaïque de 25 hectares se situerait en effet à quelques dizaines de mètres du village de Berrac dont « l’ensemble formé par l’Église, le cimetière et ses abords » fait partie des sites inscrits au titre de la loi de 1930 par un arrêté du 9 mars 1943.
Le rapport de 1943 motive l’inscription de Berrac en évoquant "l’aspect de son église, précédée de son vieux cimetière, qui est des plus puissants" et un "Coin attirant chaque année de nombreux peintres et dont il convient de sauvegarder le charme". Le rapport détaille :
"Vieille église de pierre grise sur laquelle le lierre a pris racine, un clocher mur rectangulaire la surmonte, deux ouvertures le percent, à l’intérieur duquel se trouvent placées de vieilles cloches dont la fonte remonterait aux environs de 1500 à 1600. De puissants contreforts la soutiennent et, séparé d’elle par un petit chemin plein d’herbe, se tient le vieux cimetière aux splendides cyprès, dont la teinte, en arrivant au village, se marie si bien avec celle de l’église. De grands arbres dans le fond complètent cet ensemble vraiment ravissant".
Il semblerait incroyable qu’un projet si brutal soit déployé à la lisière de ce charmant village gascon, et à moins de cinq kilomètres du village de La Romieu et de sa collégiale du XIVe siècle, classée au patrimoine mondial UNESCO et vers lesquels convergent chaque année plusieurs dizaines de milliers de pèlerins et marcheurs internationaux sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.
Le territoire du Gers dispose d’une identité rurale très forte et d’un cadre de vie attrayant reposant sur la qualité et la diversité de ses paysages et de son patrimoine. Gage d’attractivité résidentielle, économique et touristique, les grands paysages gersois et leurs patrimoines emblématiques (Lectoure étant à moins de 13 kilomètres) nécessitent d’être préservés et valorisés. Les paysages plus « ordinaires » et le petit patrimoine vernaculaire participent également à l’image du territoire et au cadre de vie de ses habitants.
L’enquête publique clôturée le 17 octobre 2022 a donné à l’association "Sauvegarde de Berrac" un premier motif de satisfaction. Son commissaire-enquêteur a remis, début décembre, un avis défavorable au projet. Il ne s’agit malheureusement que d’un avis consultatif. Il s’appuyait notamment sur un avis "largement" défavorable de la Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites (CNDPS), mais également de l’architecte des Bâtiments de France et de la chambre d’agriculture.
Le commissaire enquêteur, après l’abandon d’un projet de "culture de lavande ou de lavandin", semble douter de la réalité du volet agricole. Il explique que, "bien que le melon est présenté comme une seconde alternative solide, le risque d’abandon du projet agricole pourrait constituer une consommation d’espace agricole." L’enquête publique questionne ainsi le concept même d’"agrivoltaïsme".
Sur le plan paysager, le commissaire-enquêteur considère que le projet "ne présente pas des mesures d’intégration paysagère cohérentes".
L’avis déplore enfin "l’absence totale de communication et de concertation avec les habitants (maintes fois soulignée dans les observations) y compris auprès des associations Berracaise".
Ces différents points sont ainsi au cœur des questions des villageois formulées dans le cadre de l’enquête publique, sans que les réponses apportées par le promoteur et l’agriculteur ne parviennent à lever les appréhensions...
Contre toute attente, le préfet du Gers, Xavier Brunetière, a cependant accordé, par un arrêté du 25 janvier 2023, le permis de construire et, le 31 mars 2023, l’autorisation environnementale nécessaires au projet.
Dans l’intervalle, l’association "Sauvegarde de Berrac" a déposé une plainte pénale pour des faits supposés de prise illégale d’intérêts, certains élus étant aussi les promoteurs du projet voir Rapport de l’enquête publique, p. 74, ainsi que de détournement de fonds publics. Un premier recours a également été introduit contre la première décision du préfet et un second est en cours contre sa dernière décision.
L’association "Sauvegarde de Berrac" a obtenu le soutien de Sites & Monuments - à l’origine de la législation de protection des Sites en France - dans sa défense de celui de Berrac. Ses abords ne sont en effet nullement défendus par des abords ou zone tampon, contrairement au régime applicable aux monuments historiques.
Michel Wodon, pour l’association Sauvegarde de Berrac, adhérente de Sites & Monuments
Voir les conclusions du commissaire enquêteur concernant le permis de construire
Voir les conclusions du commissaire enquêteur concernant l’autorisation environnementale
Voir la requête introductive d’instance contre la décision préfectorale du 25 janvier 2023