Le projet de la nouvelle gare maritime du Naye, Saint-Malo, initié par la région Bretagne dans le cadre d’un programme de travaux portuaires, constitue une menace immédiate sur le patrimoine malouin en faisant écran à la vue sur les remparts et le château de Saint-Malo, image emblématique de la Ville, ignorant ainsi son histoire et celle de sa reconstruction.
L’Association pour la Protection et la Préservation du Patrimoine Matériel et Immatériel de Saint-Malo (APPSAM), et l’association reconnue d’utilité publique Sites & Monuments ont décidé d’unir leurs efforts pour contester le projet en l’état.
Si moderniser et développer le terminal ferries du Naye est indispensable, si une nouvelle gare maritime est sans doute nécessaire, les répercussions visuelles et le surdimensionnement du projet actuel porteraient une atteinte inacceptable à une magnifique perspective sur la Cité Corsaire, mondialement connue.
Ce projet d’une gare à deux niveaux sur 200 m de long, prolongé, à terme, par une passerelle de même hauteur sur 117 m, aura un impact visuel inacceptable sur un patrimoine prestigieux situé à moins de 500 mètres. Il occulterait en effet une grande partie de la vue sur la façade sud de Saint-Malo et du Château, depuis la digue-promenade des Bas Sablons, qui fait partie des sentiers de randonnée de Bretagne (GR 34), empruntée par plus de 100 000 promeneurs par an.
Ceci est attesté sans ambiguïté par les modélisations visuelles publiées par la région elle-même en juillet 2023, ci-après.
Les remparts disparaîtraient en grande partie. Seul le dernier étage des bâtiments classés du XVIIIe siècle, voire leur toit, resteraient visibles. Et du château, on n’apercevrait plus que la toiture du donjon.
Ce projet vient en totale contradiction avec les choix d’urbanisme de Saint-Malo, notamment lors de sa reconstruction après la seconde guerre mondiale, où la ville s’est attachée à protéger et à valoriser son patrimoine, source essentielle de son attractivité. Rappelons que Saint-Malo est considérée comme l’une des plus belles villes de France et d’Europe.
Cette captation de vue d’un patrimoine exceptionnel n’est pas due aux contraintes d’exploitation et d’accueil mais à une volonté exprimée dans le cahier des charges du projet « d’imposer une image forte » et d’être un « élément marquant du paysage urbain malouin », un « belvédère sur la ville », sans prise en considération de l’impact visuel sur les remparts et de la préservation d’un patrimoine historique. Il en résulte un gigantesque projet à deux niveaux, de 8 à 10 m de hauteur, d’une superficie de 7 225 m² contre 4 000 m² pour la gare actuelle, bien supérieure à celle des gares ferries de trafic similaire. À titre de comparaison, l’aéroport de Rennes, avec 700 000 passagers, soit le double de passagers piétons devant transiter par la gare maritime de Saint-Malo, ne comporte pas deux niveaux, encore moins de passerelle.
Ce surdimensionnement profiterait à un duty-free (alors qu’il existe à bord des bateaux) et à un « restaurant panoramique » (déjà plus de 140 restaurants intra-muros) qui n’attireraient aucun passager supplémentaire : personne ne vient ou ne revient à Saint-Malo pour du duty-free ou un restaurant de gare maritime.
Le développement du trafic du port de Saint-Malo ne dépend que de la réhabilitation des ouvrages portuaires et du creusement du chenal qui constituent le cœur du programme de la région. Ces travaux peuvent être engagés dès à présent. Ils ne dépendent pas de la construction hâtive d’une gare maritime monumentale sur deux niveaux, sans effet sur le trafic des voyageurs, dispendieuse en argent public, destructrice de perspectives patrimoniales d’intérêt national, et réalisée sans prendre en compte l’étude sur la submersibilité du secteur avec la montée du niveau de la mer.
Un débat réel sur le sujet de l’impact visuel du projet n’a pas pu avoir lieu avec la région Bretagne, maître d’ouvrage, malgré une pétition de 18 000 signataires opposés au projet. La région, bien qu’ayant fini par accepter de fournir en mai 2023 des perspectives à hauteur d’homme des bâtiments, démontrant l’impact visuel inacceptable de son projet, a coupé court au dialogue en annulant unilatéralement la réunion de concertation prévue le 13 septembre 2023 et a déposé auprès de la mairie, fin septembre 2023, une demande de permis de construire.
Il y a urgence à réouvrir le débat et à obtenir un projet alternatif, respectueux du patrimoine, tout en proposant une gare maritime à la fois accueillante et performante. C’est tout à fait possible !
Préserver la vue emblématique sur Saint-Malo, bien patrimonial commun, est un enjeu local, mais aussi national et international. Avec Sites & Monuments, l’APPSAM veut être un interlocuteur responsable et constructif afin que le patrimoine mondialement connu de Saint-Malo soit respecté et valorisé.
Gérard Collin, président de l’APPSAM, association adhérente de Sites & Monuments