Pour un classement du château de Plessis-lès-Tours au titre des "domaines nationaux"

Vue sud-ouest du château de Plessis-lès-Tours. Photo Guillaume70 / Wikimedia commons, octobre 2017 (tourelle d’escalier reconnaissable sur la première des illustrations ci-desous).

Le château du Plessis (autrefois connu sous le nom de Montils-lez-Tours), situé dans la commune de La Riche (Indre-et-Loire), fait l’objet de nombreuses discussions dont les médias locaux se sont fait l’écho récemment. Propriété de la Ville de Tours depuis 1932, acquis avec l’aide de la Demeure Historique pour la somme de 150 000 francs de l’époque, l’édifice aura connu plusieurs destinations.

Veüe du chasteau du Plessis lez Tours, dessiné du dedans de la court, Louis Boudan, 1699, aquarelle, 33,4 x 29 cm, BNF, département Estampes et photographie, collection Gaignières, 5294. Source gallica.bnf.fr / BnF
Veüe de l’entrée du chasteau du Plessis lez Tours, avec la chapelle St Jean, Louis Boudan, XVIIe siècle, aquarelle, 33 x 29 cm, BNF, département Estampes et photographie, collection Gaignières, 5293. Source gallica.bnf.fr / BnF

Bien avant de devenir une résidence royale, s’élevait sur une butte au XIe siècle une forteresse le long de la Loire, les Montils. Louis XI, ayant séjourné dans cette demeure pendant son enfance, se porte acquéreur de la seigneurie en 1463, avant de changer son nom en Plessis-du-Parc, puis en Plessis-lès-Tours. Les historiens, s’appuyant sur les comptes de l’hôtel des rois de France, s’accordent à penser que la campagne de transformations commandée par le roi se situe entre 1478 et 1480. Elle donne naissance à une demeure de plaisance de plan quadrangulaire en briques et pierre, entourée de nombreuses dépendances.

Veüe du Chasteau Royal du Plessis Lez Tours. Louis Boudan, 1699, aquarelle, 33 x 29 cm, BNF, département Estampes et photographie, collection Gaignières, 5292. Source gallica.bnf.fr / BnF (voir photo ci-dessous).
"Veüe du chasteau royal du Plessis lez Tours", XVIIe siècle, BNF, Destailleur Province, t. 6, 1513 (voir photo ci-dessous).
Château de Plessis-lès-Tours aujourd’hui. Photo Guillaume70 / Wikimedia commons (voir illustrations précédentes).

Le logis est de taille modeste pour une résidence royale. Néanmoins, le soin apporté aux décors sculptés donne une idée de l’importance du chantier et de son commanditaire, que ce soient les éléments de l’architecture extérieure comme les lucarnes à gâble, les encadrements des baies, ou les manteaux de cheminée intérieurs encore en place. Des artistes, tel le peintre tourangeau Jean Bourdichon pour les décors peints de la chapelle castrale, sont chargés des commandes royales.

"Cartes du Cours de la rivière d’Allier depuis Vichy jusqu’a la Loire. […], 1755", échelle 1000 Toises, extrait. Bibliothèque nationale de France, GEFF-17578 (RES). Source gallica.bnf.fr / BnF

Ne subsistent malheureusement aujourd’hui que le corps de logis oriental et son escalier en vis polygonale hors œuvre et des fragments de son enceinte. La qualité architecturale et la distribution des pièces dans le logis ont été particulièrement bien décrits dans les travaux d’Alain Salamagne, notamment dans le bulletin n°60 de la SAT (voir remarquable synthèse de l’université de Tours à qui nous empruntions l’essentiel des illustrations de cet article).

Première page de l’enregistrement de l’ordonnance de Montil-lès-Tours par le parlement de Paris. CHAN, section ancienne. Service photographique du CHAN.

Demeure de plaisance, le Plessis-lès-Tours est également le siège du pouvoir puisqu’il sert un temps de prison à Jacques Cœur en 1452 avant son procès, puis au Cardinal de la Balue en 1469. L’ordonnance de Montils-lès-Tours (Ordonnance pour la réformation de la coutume) est promulguée par le roi Charles VII (1422-1461) le 15 avril 1454. Elle impose la mise par écrit des coutumes, premier pas vers un droit moderne et unifié. Louis XI (1423-1483) y reçoit également les ambassadeurs et y meurt.

Tenue des États de Tours de 1484, musée Dobrée, conseil général de Loire-Atlantique, Nantes, Inv. Ms. XVIII, fol. 66 vo.
Le Romain (dit), Alaux Jean (1787-1864), Réunion des Etats-Généraux de Tours de 1484. Musée d’histoire du château de Versailles, Inv. LP3527.

Les États Généraux y sont alors convoqués en 1484 afin de statuer sur la Régence. Pour la première fois, ces États rassemblent des députés de tout le royaume mais aussi des représentants de tous les ordres, noblesse, clergé et tiers État (incluant des paysans). Tours est alors la capitale du royaume et le Plessis la demeure du roi. Charles VIII (1470-1498) et Anne de Bretagne y séjournent à de fréquentes reprises.

Louis XII proclamé « Père du peuple » par les États généraux de Tours de 1506 au château de Plessis-lès-Tours. Plafond d’une salle de la galerie Campana au musée du Louvre.

Une assemblée de notables y sera par la suite réunie en mai 1506, proclamant le roi Louis XII (1462-1515) « Père du Peuple ». Annulant le traité de Blois (1504) à la demande du roi, elle sera décisive pour l’union de la Bretagne à la France.

Joyeuse entrée du duc d’Anjou à Anvers en janvier 1583, après signature du traité de traité de Montils-lès-Tours en 1580. Photo Rijksmuseum.

En septembre 1580, le traité de Montils-lès-Tours, par lequel duc d’Anjou, frère du roi Henri III (1551-1589), accepte de devenir souverain des Pays-Bas en remplacement du roi d’Espagne Philippe II, y est signé.

La souveraineté s’est ainsi pleinement exercée au château (fait célébré jusqu’au XIXe siècle dans des décors réalisés au Louvre comme à Versailles). Les monarques délaissèrent cependant par la suite de plus en plus le Plessis pour des résidences royales plus ostentatoires, mais il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que le déclin menace véritablement la demeure.

Devenue dépôt de mendicité en 1781, prison puis dépôt militaire, elle est vendue comme bien national en 1798. Elle devient alors successivement une fabrique de plombs de chasse, puis une entreprise de vidanges et enfin l’institut vaccinal du château du Plessis, fournisseur du vaccin de la variole, suite à l’achat des lieux par le Docteur Edmond Chaumier.

Plessis-lès-Tours, plan d’ensemble au temps de Louis XI avec l’aile ouest rétablie, plan extrait d’Alain Salamagne, « Le Plessis et les résidences royales en Touraine à l’avènement de Louis XI » dans Bulletin de la Société archéologique de Touraine, T. 60, 2014, p. 174. Crédits : A. Salamagne
Plessis-lès-Tours, plan du corps-de-logis Louis XI, plan extrait d’Alain Salamagne, « Le Plessis et les résidences royales en Touraine à l’avènement de Louis XI » dans Bulletin de la Société archéologique de Touraine, T. 60, 2014, p. 176. Crédits : A. Salamagne

Le Plessis est inscrit en totalité à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1927. Malgré cette mesure, son environnement s’est considérablement dégradé, y compris récemment.

Acquéreur en 1932, la municipalité de Tours y crée un musée historique, réservant une large part à l’industrie de la soie en Touraine. Depuis 1998, c’est une troupe de théâtre, la compagnie Cano Lopez, qui a investi les lieux.

Colonne torsadée du XVe siècle exposée au musée de Plessis-lès-Tours, André Arsicaud, Robert Arsicaud, 1954, Archives départementales d’Indre-et-Loire, collections de Touraine, 5Fi003571 (voir les colonnes en place sur la seconde illustration ci-dessus).

Pour mémoire, en 2016, la ville avait déjà tenté de s’en dessaisir, mais sans succès, tentative qui n’avait pas fait l’unanimité. Les nouvelles tractations avec la commune de La Riche devraient cette fois-ci aboutir, si les conseils municipaux des deux communes valident le transfert de propriété. Espérons que l’histoire de ce lieu incroyable pourra être enfin être valorisée.

Château de Plessis-lès-Tours et couvent des Grands Minimes, situation au XVIIe siècle. Crédits : Région Centre-Val de Loire, Inventaire général.
Tracé du mur d’enceinte du château du Plessis. Crédits : Région Centre-Val de Loire, Inventaire général / Partours - Université de Tours.

On peut cependant s’interroger sur l’application à ce patrimoine important historiquement et symboliquement du statut de domaine national créé par la loi LCAP de 2016 (régime applicable à des biens partiellement propriété de collectivités territoriales et même de particuliers). Le château de Plessis-lès-Tours n’entretient-il pas un "lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation", même s’il n’est plus, "au moins pour partie", propriété de l’État, comme l’exige l’article L. 621-34 du code du patrimoine ? L’analogie avec le château de Villiers-Cotterêts, autre domaine royal oublié, lui aussi cadre d’une fameuse ordonnance, puis transformé en dépôt de mendicité, est en tous les cas frappante.

L’ancien domaine royal de Montil-lès-Tours aujourd’hui. Les vestiges du château (propriété de la ville de Tours) et de ses communs (divisés entre quatre particuliers) sont encadrés en rouge.
Château de Montil-lès-Tours et ses communs sous l’Ancien Régime.
Pignons nord et sud des communs du château de Montil-lès-Tours aujourd’hui

Les avantages du statut de domaine national ne sont plus à démontrer. Il subsiste en effet une partie du château et de son parc, faisant l’objet d’une propriété publique, alors que le long bâtiment de communs du château est aujourd’hui en mains privées. Sa préemption pourrait être rendue possible, c’est l’une des vertus du classement comme domaine national (voir code du patrimoine), pour un projet de valorisation globale du domaine.

Sandra Berthélemot, déléguée-adjointe de Sites & Monuments pour l’Indre-et-Loire
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments