Recours gracieux contre la délimitation du domaine national de Malmaison : pour un "Grand Malmaison"

Les domaines nationaux n’existaient que par un abus de langage : il s’agissait de simples biens soumis au régime ordinaire de la domanialité publique. C’est l’un des grands mérites de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine que d’avoir créé un régime réellement protecteur de ces domaines fondateurs de notre mémoire nationale, en instaurant, pour leurs dépendances appartenant à l’Etat, une véritable inaliénabilité (y compris par voie d’échange) et une inconstructibilité de principe, tout en prévoyant un droit de préemption de leurs parties échues à une collectivité locale ou à un particulier.

Autre singularité, la loi prévoit que ces domaines ont pour seule vocation d’être "conservés et restaurés par l’Etat dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique", hybridation originale transcendant les frontières administratives.

Leur délimitation montre la difficulté de certains ministères - ils sont nombreux à être affectataires de fractions de ces domaines - à se placer dans une perspective d’intérêt général en acceptant de vertueuses servitudes : nos domaines nationaux ne sont plus des réserves foncières publiques.

D’où un certain nombre de recours gracieux de la part de Sites & Monuments et d’autres associations insatisfaites du manque d’ambition publique dans leurs délimitation.

JL

"Grand Malmaison" prolongeant la délimitation du domaine national (en rouge).

Paris, le 21 août 2022

Lettre remise en main propre contre récépissé

Objet : demande de retrait du décret n° 2022-906 du 17 juin 2022 complétant la liste de l’article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre de domaines nationaux – Domaine national de Malmaison

Madame la Première Ministre,

J’ai l’honneur de former un recours gracieux contre votre décret n° 2022-906 du 17 juin 2022 en ce qu’il délimite le périmètre du domaine national de Malmaison (décret paru au Journal Officiel du 19 juin 2022, texte 35).

En préambule, nous notons que les associations n’ont pu se faire entendre dans le cadre du processus de délimitation - confié à une société privée - alors, qu’en application de l’article L. 621-35 du code du patrimoine, « Les propositions du ministre chargé de la culture […] sont rendues publiques » à cette fin.

Sur le fond, le périmètre retenu est insuffisant au regard de l’article L. 621-34 du code du patrimoine prévoyant que les domaines nationaux « ont vocation à être conservés et restaurés par l’Etat dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique. »

Le domaine de Malmaison était précisément associé à un parc romantique, prolongé notamment par le bois de Saint-Cucufa, réuni à ce domaine et aujourd’hui confié à l’ONF sous le nom de forêt domaniale de La Malmaison.

La Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (2e section) du 12 septembre 2019 a d’ailleurs émis « le vœu qu’une étude soit engagée en vue de la protection au titre des monuments historiques des éléments du domaine historique de Joséphine situés dans le bois de Saint-Cucufa, ainsi que de la rivière anglaise et ses fabriques actuellement en mains privées. » Des parcelles privées et une forêt domaniale sont concernées par ce vœu de protection complémentaire, prolongeant le classement au titre des domaines nationaux.

En rouge : complément de délimitation proposé incorporant, plus au sud, le parc naturel des Gallicourts et la forêt domaniale de La Malmaison.

Les parties dissociées de la rivière anglaise, agrémentée de rochers de Fontainebleau - principal ornement du domaine créé en 1805 par Louis-Marie Berthault (1770-1823) - dépendent aujourd’hui d’un petit nombre de propriétés privées situées dans le prolongement du jardin actuel et constituant le chaînon manquant entre celui-ci et le vallon des Gallicourts (propriété du département des Hauts-de-Seine), lui-même communiquant avec la forêt domaniale de La Malmaison (voir délimitation complétée ci-dessus).

L’acquisition de cette dizaine de parcelles privées, particulièrement stratégiques, pourrait être réalisée par préemption conformément à l’article L. 621-39 du code du Patrimoine ou par extension ou interprétation des dispositions relatives aux dations en paiement.

L’article 1716 bis du code général des impôts prévoit en effet aujourd’hui que « Les droits de mutation à titre gratuit, l’impôt sur la fortune immobilière et le droit de partage peuvent être acquittés par la remise d’œuvres d’art […] de haute valeur artistique ou historique, ou d’immeubles situés dans les zones d’intervention du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres définies à l’article L. 322-1 du code de l’environnement dont la situation ainsi que l’intérêt écologique ou paysager justifient la conservation à l’état naturel ou d’immeubles en nature de bois, forêts ou espaces naturels pouvant être incorporés au domaine forestier de l’Etat. »

Jean-Marie Morel (1728 - 1810), vacherie, laiterie et maison de pâtre sur les rives de l’étang de Saint-Cucufa transformées en maisons forestières vers 1900.

Le Parc naturel des Gallicourts, actuellement vaste de 43 hectares et propriété du département des Hauts-de-Seine, avait été acquis par Joséphine. Elle y fit bâtir en 1805 une serre chaude (la plus grande de son temps), aujourd’hui nommée « Petite Malmaison » et dépendante d’une propriété privée incluse dans le domaine national par le présent décret. La forêt domaniale de Malmaison, vaste de 200 hectares, a été acquise en 1800 pour Joséphine. Elle abrite l’étang de Saint-Cucufa, à proximité duquel une vacherie, une laiterie et une maison de pâtre (transformées depuis en maisons forestières, voir ci-dessus), furent édifiées en 1804 sur les indications du peintre-jardinier Jean-Marie Morel (1728 - 1810) pour accueillir, à l’instar du hameau de Trianon au siècle précédent, des vaches et un pâtre suisses. Ainsi, « les trois maisons de la vacherie, au bord de l’étang de Saint-Cucufa [qui possédait une grande barque couverte], furent l’un des principaux buts de promenade avec la serre chaude » (Jean de Saint Blanquat, Malmaison, Joséphine en son Domaine). Ces deux ensembles naturels - aujourd’hui reliés par un sentier de grande randonnée et réunis par un statut de ZNIEFF de type 1 (voir carte ci-dessous) - pourraient être avantageusement inclus dans le domaine national.

En vert : carte de la ZNIEFF de type 1 unissant les coteaux de Gallicourts au bois de Saint-Cucufa. Traits bleus : limites occidentale et orientale du parc de Malmaison actuel.

Après la mort de Joséphine, le domaine fut démembré et partiellement déboisé. C’est son petit-fils, Napoléon III, qui sauva la forêt de Malmaison du morcellement grâce à des échanges. Il la racheta en 1856 et l’incorpora à sa liste civile.

Il semble évident que l’écrin naturel et forestier du château de Malmaison, faisant très largement l’objet d’une propriété publique, à l’exception de quelques parcelles peu construites, participe au caractère à la fois « historique, artistique, paysager et écologique » (article L. 621-34 du code du patrimoine) de ce domaine national, sa créatrice ayant été particulièrement sensible aux paysages, à la botanique, à l’agriculture et à l’élevage.

L’inclusion de forêts dépendantes de l’ONF est au demeurant prévue par le code du patrimoine, son article L. 621-40 disposant que « les parties des domaines nationaux gérées par l’Office national des forêts en application du 1° du I de l’article L. 211-1 du code forestier ne peuvent faire l’objet d’aucune aliénation, même sous forme d’échange ». Les domaines nationaux de Chambord ou de Saint-Cloud bénéficient d’ailleurs d’une délimitation bien plus large que celle proposée.

Le classement au titre des monuments historiques de la forêt domaniale, par son inclusion dans le domaine national de Malmaison, permettrait d’ailleurs d’infléchir sa gestion pour une meilleure prise en compte des questions écologiques et paysagères (article L. 621-34 du code du patrimoine), comme le réclament de nombreux usagers de cette forêt périurbaine (Coteaux de Seine Associations, association Garches est à Vous, Union des Amis de Vaucresson notamment).

Jacob frères, mobilier du pavillon du Butard pour Napoléon 1er, 1802. Musée national du château de la Malmaison et mobilier national. Photos M.-M. Roy.

Par ailleurs, le pavillon du Butard, édifié pour Louis XV par l’architecte du roi Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), avait été rattaché, avec sa forêt, au domaine de Malmaison sous l’Empire et remeublé pour lui. Marquant la limité occidentale du domaine de Joséphine, qui totalisait 726 hectares en 1814, ce pavillon de chasse, probablement le plus beau édifié en France, est aujourd’hui sans affectation. Situé au sein de la forêt domaniale de Fausses-Reposes, il pourrait être rattaché, avec ses communs et ses abords, au domaine national de Malmaison au titre de ses dépendances détachées. Une partie de son mobilier, commandé sous l’Empire auprès de Jacob frères, est d’ailleurs aujourd’hui exposé au Musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.

C’est ainsi à la suite d’une erreur manifeste d’appréciation que certains terrains ont été omis de la délimitation du domaine national de Malmaison retenue par votre décret n° 2022-906 du 17 juin 2022, décret que vous voudrez bien retirer afin de le compléter.

Restant à votre disposition, je vous prie d’agréer, Madame la Première Ministre, l’expression de ma haute considération.

Julien LACAZE
Président de la SPPEF - Sites & Monuments

Consultez le recours de Garches est à Vous
Consultez le recours de l’Union des Amis de Vaucresson
Consultez le recours de Coteaux de Seine Associations
Consultez notre recours gracieux au format pdf

Consultez la réponse du ministère de la Culture

P.-S.

Le recours gracieux de Sites & Monuments ayant été tacitement rejeté par Mme la Première Ministre, un recours contentieux a été formé par notre associations devant le Conseil d’Etat.
Pour consulter le recours contentieux