Refusons la banalisation de l’hôpital La Rochefoucauld pour renouer avec son histoire

Nous reproduisons l’article d’Antoine Boulant, secrétaire de rédaction de Sites & Monuments, paru sur le site de l’association Paris historique, que nous remercions, en y indiquant la position de notre association.
JL

Au n° 15 avenue du Général-Leclerc (14ème arrondissement) s’élève, au centre d’une parcelle de près de deux hectares, un ensemble néoclassique d’exception : l’ancienne maison royale de santé La Rochefoucauld, édifiée entre 1781 et 1783 par l’architecte Jacques-Denis Antoine, auteur du prestigieux hôtel de la Monnaie et auquel succéda Charles-François Viel.

Devenu ensuite hospice La Rochefoucauld, le bâtiment présente une architecture et une ornementation caractéristique du style Louis XVI – portail dorique, baies en plein cintre, corniche à modillons, festons, refends – et bénéficie depuis 1928 d’une inscription au titre des monuments historiques pour ses façades. C’est aussi le cas de son annexe datant de 1823, dont les toitures sont également inscrites. Les intérieurs de l’ancien hospice ne conservent que de rares éléments de décor, notamment quelques moulures et des colonnes en fonte.

Façade principale du côté de l’avenue du Général-Leclerc. Photo Lise Grenier.
Façade arrière et les deux ailes en retour du côté de l’avenue René-Coty. Photo Wikicommons

Constituant un vaste îlot de verdure, dont 8 400 m² sont protégés par le plan local d’urbanisme et comptent plus d’une centaine d’arbres, le magnifique parc intègre le regard de Saux de l’ancien aqueduc Médicis, également inscrit au titre des monuments historiques. Tout au long des XIXe et XXe siècles, il ne cessa d’être amputé de sa surface par la construction de divers bâtiments – notamment un bureau de poste et un foyer pour infirmières, édifié sur sept étages en 1970 et aujourd’hui en grande partie désaffecté –, le percement de la voie de chemin de fer puis celle de l’avenue René-Coty.

Vue d’une partie du parc. Photo "Sauvons La Rochefoucauld"

Propriété de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et abritant un service de gérontologie, le site fut d’abord menacé au début des années 1990 par un projet de construction d’un immeuble de quatre étages, finalement refusé par la mairie de Paris après avis défavorable de la commission supérieure des monuments historiques. Le service de gérontologie ayant fermé en 2019, et l’AP-HP ayant décidé de mettre le site en vente, le conseil de Paris vota un vœu pour que le site soit « protégé de la spéculation foncière et réponde à des objectifs d’intérêt général, dont 50 % de logements sociaux et une protection architecturale et paysagère », et qu’il soit acheté par la Ville de Paris afin de lui garantir un « développement maîtrisé ».

Après avoir hébergé des femmes isolées, puis des malades de la Covid-19, l’ancien hospice fut loué en 2020 au commissariat de police du 14ème arrondissement, dont le bâtiment était alors en cours de rénovation.

Maison de la loge édifiée au début du XIXe siècle et qui sera conservée. Photo Paris historique

Face au risque de vente et de dénaturation du site fut fondée l’association Sauvons La Rochefoucauld, qui décida dès sa fermeture de mobiliser les élus et l’opinion publique pour tenter de préserver son intégrité. Après avoir interpellé les différents candidats aux élections municipales de 2020, elle lança une pétition réunissant plus de 5 000 signatures, adressée à l’AP-HP et à la mairie de Paris avec le soutien de plusieurs associations, notamment Paris historique. Elle obtint également l’ouverture du site à l’occasion des Journées européennes du patrimoine de 2023, accueillant ainsi près de six cents visiteurs.

Vue aériene du site. En rouge les zones susceptibles d’être construites ; en vert les bâtiments susceptibles d’être surelevés. (Droits réservés)

Le commissariat ayant quitté La Rochefoucauld en mars 2023, et l’AP-HP ayant toujours pour objectif de le vendre, un premier appel d’offres a été lancé, soulignant le « potentiel de valorisation financière » du site et ouvrant ainsi la voie à une opération immobilière d’ampleur susceptible de porter atteinte à son intégrité.

Le 11 mars 2024, après une première visite du site par des promoteurs, l’AP-HP a lancé un appel à projets assorti d’un règlement de consultation pour la cession du bâtiment. Les orientations données par la Ville de Paris et l’AP-HP prévoient la construction de deux immeubles sur des zones déjà artificialisées : l’un le long du mur nord, comprenant un étage et un attique, l’autre sur 50 % de la surface de l’ancien parking, dans le prolongement de l’ancien foyer pour infirmières, comprenant deux étages s’élevant à la hauteur de la corniche de l’ancien hospice, et destiné à accueillir des logements.

Sites & Monuments juge ce projet dommageable pour l’intérêt commun et demande que l’emprise du parking soit désartificialisée pour être réintégrée au jardin et protégée au titre du PLU. Nous devons, en effet, gagner de nouveaux espaces en pleine terre à Paris (ce qu’admet l’actuelle municipalité), pas rendre cette artificialisation irréversible par des constructions, y compris à vocation sociale. Il existe assez du bureaux inoccupés dans le Grand Paris pour ne pas construire au sein des derniers jardins de la capitale (voir également le cas du monastère de la Visitation). Construire en ce lieu aurait d’ailleurs pour effet de couper la partie du jardin se déployant le long de l’avenue du Général Leclerc de celle débouchant, au revers du bâtiment, sur l’avenue René Coty.

Par ailleurs, le bureau de poste situé avenue du Général-Leclerc et l’ancien foyer pour infirmières sont susceptibles d’être surélevés, tandis que l’ancienne maison du directeur et celle de la loge, situées à l’entrée du site, seront conservées.

Le parc sera ouvert au public, offrant ainsi aux habitants du quartier un magnifique espace de détente : rappelons que le projet de plan local d’urbanisme bioclimatique, qui doit être soumis au vote du conseil de Paris en fin d’année 2024, ambitionne de réserver 10 m² d’espaces verts par habitant en « préservant la nature et la biodiversité » et en « augmentant les lieux de respiration et de fraîcheur ».

Ancien parking, dont 50 % de la surface sera recouverte par un bâtiment de deux étages, les 50 % restants étant végétalisés. La seule perspective subsistant vers la partie du jardin tournée vers l’avenue René Coty se refermerait. Photo Paris historique.

Enfin, le règlement de consultation prescrit la réhabilitation des bâtiments existants pour assurer leur « reconversion complète et maîtrisée » et recommande que le rez-de-chaussée de l’ancien hospice accueille des activités liées au service public, à la restauration, à l’artisanat ou au commerce de détail. L’installation de ce type d’activité est également souhaitée dans les autres bâtiments, en particulier la maison du directeur et la maison de la loge, ce qui suggère notamment l’aménagement de restaurants et de terrasses.

Musée aujourd’hui virtuel de l’APHP.

Sites & Monuments considère ce programme comme peu compatible avec la fonction de l’ancien hôpital et déplore la mise en caisse - depuis maintenant des années - du musée de l’APHP (fort de 13 000 œuvres) après la vente en 2012 de l’hôtel de Miramion (également pour des raisons de valorisation financière), qui l’abritait depuis 1934. L’ancienne maison royale de santé de La Rochefoucauld serait un écrin idéal pour accueillir ces collections et ainsi valoriser les métiers de la santé à la hauteur de leur utilité sociale. Le modèle du musée Rodin, dissociant l’accès au jardin de celui du musée, semble ici tout indiqué.

Il convient en effet de renforcer la singularité du bâtiment de l’ancien hôpital, comme le calme de son jardin, sans banaliser cet ensemble original par des installations commerciales et festives dont Paris regorge par ailleurs.

L’architecture des futures constructions demeure à ce jour inconnue, mais celles-ci devant être édifiées aux abords immédiats d’un bâtiment dont les façades sont inscrites au titre des monuments historiques, il appartiendra à l’architecte des bâtiments de France de délivrer un avis conforme, assorti d’éventuelles prescriptions.

Ce même régime sera applicable à la surélévation de l’ancien foyer pour infirmières, immeuble des années 70 déjà beaucoup trop massif et dont le PLU devrait, à l’inverse de ses dispositions actuelles et futures, prohiber strictement le rehaussement (voir la position de Sites & Monuments sur la révision du PLU).

Une seconde visite de promoteurs s’est déroulée le 28 mars. La date limite de dépôt des candidatures est fixée au 17 mai 2024 et la commission chargée d’étudier les offres devra désigner un lauréat en mars 2025. Il faudra donc encore patienter avant de connaître la destination précise des bâtiments, tout comme la volumétrie et l’architecture des futurs immeubles. Il est cependant à craindre que ceux-ci ne portent une atteinte irrémédiable à l’un des plus beaux sites parisiens du XVIIIe siècle.

Antoine Boulant, secrétaire de rédaction de Sites & Monuments
Julien Lacaze (pour la position de Sites & Monuments)

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