La caserne Gudin, désaffectée en 2008, a été achetée par l’agglomération Montargoise et Rives du Loing à l’État en 2018. Elle s’étend sur une surface de 5,6 ha et se situe entre les deux pôles d’activités de la ville, l’hypercentre enclavé et la zone commerciale d’Amilly. Le projet d’une résidence Senior à l’emplacement du bâtiment emblématique de l’horloge, fermant la composition architecturale, a été retenu et confié au promoteur Nexity.
Une caserne enfin inscrite au titre des monuments historiques
Ce bâtiment vient cependant d’être inscrit, avec les principaux composant la caserne, à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques par arrêté de la préfète de la région Centre du 16 février 2022, suivant l’avis rendu le 29 juin 2021 par la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) du Centre Val-de-Loire. Cette décision, prise techniquement par la secrétaire générale de la préfecture (la préfète de Région étant empêchée par un conflit d’intérêt avec ses précédentes fonctions chez le promoteur), était très attendue. Elle fait suite au placement, le 19 août 2021, de cette même caserne sous instance de classement par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, mesure permettant d’imposer les effets d’un classement pendant un an.
Le considérant de l’arrêté d’Inscription établit que "les bâtiments d’origine de la caserne Gudin présentent au point de vue de l’histoire et de l’art un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation, parce qu’ils constituent un élément structurant majeur du patrimoine montargois et qu’ils constituent également un élément historique parfaitement conservé et cohérent, représentatif du corpus des casernes édifiées après la défaite de 1870, selon un plan type dit de 1874" (voir l’arrêté d’inscription).
L’arrêté délimite le périmètre de la protection : "les trois bâtiments entourant la place d’arme, la place d’arme plantée de platanes, les deux pavillons d’entrée, le portail et la grille d’entrée ouvrant sur la rue Coquillet", énumération précisée par un plan annexé (voir ci-dessous).
Une Inscription inefficace en raison de la délivrance préalable d’un permis
Cette protection, touchant les principaux bâtiments de la caserne, est pourtant inefficace pour le principal d’entre eux, celui de l’horloge, situé dans l’axe de la composition. En effet, pour des raisons techniques déjà exposées, une inscription au titre des monuments historiques ne peut s’imposer à un permis déjà délivré. Seul un classement le pourrait.
Cette lacune de notre droit a été comblée durant 6 mois par une ordonnance du 27 avril 2017, prise sous François Hollande sur habilitation de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP). Celle-ci est cependant devenue caduque le 28 octobre 2017 faute pour le gouvernement d’Emmanuel Macron d’avoir déposé un projet de loi de ratification dans les 6 mois (voir ici).
Cette imperfection - volontairement maintenue dans notre droit - a déjà été invoquée pour renoncer à préserver la chapelle Saint-Joseph de Lille (voir ici). Justifiera-t-elle également la démolition du bâtiment principal de la caserne de Montargis ?
Si l’instance de classement au titre des monuments historiques protège la caserne jusqu’au 19 août 2022, seule la péremption par absence de mise en œuvre du permis de construire au bout de 3 ans serait de nature à rendre efficace son inscription au titre des monuments historiques. Une destruction du bâtiment de l’horloge au cours de l’été 2022 n’est donc pas à exclure, à moins évidemment qu’il ne soit classé d’ici là.
C’est cette solution qui sera probablement retenue puisque la CRPA du 31 mars 2022 vient de recommander au préfet de Région de transmettre le dossier à la CNPA pour un classement par la ministre de la Culture. Mais n’était-il pas plus simple de ratifier l’ordonnance du 27 avril 2017 afin de parvenir au même résultat : sauver la caserne Gudin ?
L’association Engagement Citoyen Montargois et le collectif Sauvons Gudin, soutenus par Sites & Monuments (déjà préoccupée par la destruction de la caserne Miribel de Verdun), se mobilisent pour obtenir l’abandon définitif du projet et sa conversion en une réhabilitation, au besoin défiscalisée. Des recours sont heureusement toujours engagés, soutenus par des journalistes engagés comme Didier Rykner et des personnalités comme Stéphane Bern qui, au nom de sa Mission, a rencontré la préfète de Région.
Les arguments en faveur de la protection de la caserne sont évidents : la valeur historique et patrimoniale de cet édifice militaire construit après la guerre de 1870, reconnue dans le projet avorté de ZPPAUP (Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) en 2008, englobant ce secteur ; l’intérêt de bâtiments existants mettant en œuvre des matériaux de qualité ; le patrimoine arboré du site, etc.
Mais les élus de l’agglomération montargoise ne cachent pas leur vif mécontentement contre cette Inscription et ne manquent pas de le faire savoir. Leur attitude critique vis-à-vis des membres de la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture est choquante. Il est bon de leur rappeler que nous vivons dans un État de droit auquel la commission, rendant des avis consultatifs, participe.
Nous estimons que cette inscription est une chance pour Montargis et peut être le point de départ d’une réflexion plus globale sur le site de la caserne (bien plus vaste que l’emprise protégée). Les exemples de réhabilitation d’anciennes casernes sont nombreux, à l’instar de celle du Mans, devenue centre administratif de celles de Grenoble et Brive, converties en éco-quartiers. La destruction de la superbe et symbolique caserne Miribel de Verdun, réalisée avec les subvention du programme national Action cœur de ville, étant le contre-exemple à ne pas suivre !
Une concertation constructive avec les Montargois serait souhaitable, car nul n’ignore l’important potentiel du site. Mais la mairie et la communauté d’agglomération ne l’entendent pas ainsi.
Martine Bonnin, déléguée régionale Centre-Val-de-Loire de Sites & Monuments
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Consulter l’arrêté d’inscription du 9 mars 2022 et son plan annexé
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