La démolition de l’immeuble de l’architecte Roger Poyé (1885-1958), situé au 139 rue des Soupirants à Calais est maintenant imminente.
Roger Poyé a, parmi une œuvre très riche à Calais (voir ci-dessous), commencée en 1919 dans le contexte de la reconstruction, édifié cet immeuble en 1929. Il est situé dans la partie de la ville protégée par un Site Patrimonial Remarquable (SPR). La municipalité de Calais a, par ailleurs, mentionné cette bâtisse dans son dossier de candidature au "label Ville d’Art et d’Histoire" (label obtenu en septembre 2019).
Dans la période de l’entre-deux-guerres, Roger Poyé, devenu architecte conseil de la ville en 1928, a créé des habitations confortables et belles destinées ouvriers tullistes, nombreux dans ce quartier de Calais, en évitant l’"effet coron". Les façades de l’immeuble, avec des décors en faux-colombages, sans emploi de la brique, reflètent ici un style néo-rural inspiré de la pureté géométrique de l’Art Déco.
Roger Poyé a également conçu à Calais la Bourse du travail, le siège de l’automobile Club du Nord de la France - bâtiments aujourd’hui inscrits au titre des monuments historiques (voir ici et ici) - la Maternité, l’école du P’tit Quiquin, l’école Professionnelle Supérieure de garçons, deux autres HBM de style différents, deux églises (Notre-Dame des Armées et Saint-Joseph), plusieurs résidences pour particuliers, plusieurs commerces...
Le bâtiment de la rue des soupirants, en bon état extérieurement, est la propriété de Terre d’Opale Habitat (ex OPHLM) depuis 1977. Il est en revanche très dégradé intérieurement car mal entretenu.
Sa déconstruction, couteuse, a nécessité un prêt, dont la municipalité se porte garante. Quel paradoxe quand on connait l’apport l’architecte à la physionomie de cette commune ! Cette démolition n’est en outre, à notre connaissance, destinée à mette en œuvre aucun projet, si ce n’est un espace vert. Pourtant, cet immeuble pourrait être reconverti en appartements avec, pourquoi pas, au rez-de-chaussée, un Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP), dont toute Ville d’Art et d’Histoire devrait être dotée.
La préservation de ce bâtiment permettrait, outre d’y maintenir des logements, de respecter l’intégrité d’un ensemble patrimonial remarquable, riche de son unité stylistique comme de sa diversité en termes de formes et d’usages. Il serait pleinement justifié de l’inclure dans un circuit touristique autour de la figure majeure de Roger Poyé, décryptant son apport à la ville grâce à une exposition permanente abritée par le CIAP.
Plutôt que de le détruire, il faut réhabiliter et mettre en valeur l’habitat ouvrier de qualité dans ce quartier fortement marqué par l’univers de la dentelle mécanique (proximité de l’usine historique Noyon-Darquer aujourd’hui très décrépite), contribuant ainsi à enraciner la ville dans son histoire industrielle.
Anne de Cherisey, déléguée régionale Hauts-de-France