La ville de Dunkerque fut détruite à 80 % par les bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale. Le quartier de la gare fut toutefois miraculeusement épargné. « Les 20 % restants devraient nous interroger sur la préservation des constructions » remarque le journaliste dunkerquois Jérémy Allebée (voir ici). Or, deux îlots de maisons situés autour de la Place de la gare conservent encore l’aspect architectural de la cité portuaire au début du XXe siècle.
La municipalité envisage un plan de réhabilitation des bâtis anciens pour les quartiers de Soubise et de la Gare qui sera mené conjointement avec la Communauté Urbaine et le groupe Action Logement, dans le cadre d’un projet d’"Action cœur de ville". Divers immeubles seront ainsi restaurés. Il apparait pour le moins surprenant de constater que deux maisons emblématiques, entièrement préservées des ravages de la guerre, sont menacées de destruction dans le cadre des rénovations. Apposé sur la façade de l’une d’elles, un panonceau du bailleur social « Flandre Opale Habitat », qui prétend « s’engager en faveur de la revitalisation du centre ville de Dunkerque », indique : « Démolition et reconstruction de sept logements ».
Style architectural majeur du XXe siècle, l’Art Déco apparut il y a un siècle. Typique de l’entre-deux-guerres, il se reconnaît par ses formes géométriques stylisées et l’emploi de matériaux de qualité. La première des maisons menacées en présente des caractéristiques bien spécifiques : bow-window, imposte, motifs des ferronneries, maçonnerie sont imprégnées de rigueur classique. Derrière le filet de protection empêchant d’éventuelles chutes de pierres sur la voie publique, l’autre villa évoque la transition entre le mouvement Art Nouveau et le mouvement Art Déco. « Sa façade de brique et de pierre de taille donne à la construction une élégance notable notamment grâce à la sculpture d’un médaillon, apposé sur le fronton, représentant un navire » commente Jérémy Allebée. Ces demeures constituent de parfaits vestiges de la physionomie de la ville avant le second conflit mondial, d’autant que ce style Art Déco régionaliste est rare à Dunkerque !
Et l’Art Déco a aujourd’hui le vent en poupe. Dans les Hauts-de-France, Saint-Quentin, Béthune, Bruay-la-Buissière et Lens ont compris l’intérêt patrimonial et le potentiel économique et touristique qu’offre ce style des Années Folles en lançant des plans de sauvegarde et de valorisation. A quelques encablures, le quartier Excentric de Rosendaël conçu par l’entrepreneur François Reynaert eut l’honneur d’un reportage télévisé sur France 3.
Il est évidemment très préoccupant que le programme "Action cœur de Ville", sensé s’appuyer sur le patrimoine (voir ci-dessus), consiste en réalité à le démolir, comme cela a déjà été mis en évidence à Saint-Dizier (voir ici) et, dernièrement, à Prades (voir ici).
Espérons qu’un revirement salutaire permettra à la patrie de Jean Bart de préserver efficacement ces deux témoignages importants de son histoire.
Damien Top, délégué de Sites & Monuments pour le Nord