« Est-il rien de plus enchanteur que le vallon de Salut ? »
Peu de villes peuvent s’enorgueillir d’être intimement liées aux agréments d’un site classé. C’est le cas de Bagnères-de-Bigorre, ville thermale dont la qualité des eaux est célébrée depuis l’Antiquité, qui jouxte un ensemble paysager exceptionnel auquel on accède à quelques minutes de marche du centre urbain. Bois de feuillus, prés en pente douce, ruisseau de l’Aygo tebio (« eau tiède »), grottes naturelles, fontaine des fées, allées plantées, biodiversité remarquable : l’ensemble du vallon de Salut et du Bédat a fait l’objet d’un classement — le plus haut niveau de reconnaissance patrimoniale des paysages — par décret en Conseil d’Etat le 20 décembre 2007. Un argument intéressant a guidé ce choix : la mise en exergue de l’identité agro-pastorale du site, qui le singularise vis-à-vis d’autres grands parcs thermaux et fait de lui un espace champêtre particulièrement « enchanteur », comme s’est si bien exclamé Jean-Baptiste Joudou dans son Guide des Voyageurs à Bagnères-de-Bigorre dès… 1818.
Ce site classé inclut la longue Allée Maintenon — déjà site inscrit depuis le 11 mai 1942 — dont le nom fait référence à la gouvernante des enfants de Louis XIV qui l’empruntait pour se rendre aux grottes de Médous. C’est l’une des promenades favorites des Bagnérais, des curistes et des visiteurs de passage et la plaquette de l’Office de tourisme s’y référant n’hésite pas à qualifier cet ensemble historique et pittoresque de « paysage théâtralisé », transition entre ville et montagne.
Un pylône métallique de 25 m au 1er plan du site classé : effet décoratif garanti
C’est au pied du versant Est de ce paysage remarquable, juste à la limite du périmètre protégé, qu’est pourtant prévue, sur une parcelle privée, l’installation d’une antenne-relais Orange de 25 m de haut (27 m jusqu’au bout de l’antenne). La parcelle est située dans le Plan Local d’Urbanisme en secteur N « à vocation naturelle et forestière » et la limitation en hauteur des constructions est en principe de 7 m à l’égout du toit, 12 m au faîtage.
La loi ELAN facilitant, entre autres, les démarches visant au maillage du territoire dans le domaine de la téléphonie mobile, l’emplacement d’une antenne-relais à cet endroit semble légalement envisageable. Dans ce cas précis, le projet soulève toutefois des questions esthétiques d’intérêt général et l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme pourrait être utilisé à son encontre : « Le projet peut être refusé […] si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions, ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales. »
La réaction citoyenne que ce projet a déclenchée, suite à la déclaration de travaux affichée en mairie le 15 octobre 2019, est donc parfaitement légitime, au regard de l’incongruité évidente de l’emplacement choisi pour ce pylône. Suite à l’alerte lancée par Arthur Cansot, une pétition voit le jour, en ligne et sur papier, qui a déjà atteint près de 3000 signatures. Les commentaires y vont bon train et soulignent pertinemment ces éléments : « Dénaturer un tel site visible de partout » ; « Pour notre bien-être et contre la pollution visuelle » ; « Contre le fait de défigurer nos paysages » ; « Impact négatif sur un Site classé de Bagnères très fréquenté » etc. La mobilisation a été relayée par plusieurs associations de défense de l’environnement — FNE 65, la Voie Verte des quartiers et Robin des toits 65 — et a fait l’objet de plusieurs articles dans la Dépêche du midi, La Nouvelle République des Pyrénées et La Montagne des Hautes-Pyrénées. C’est le bain d’ondes de trop ? Sans doute, car au pays des bénéfiques bains d’eau thermale, la nécessité de cette nouvelle antenne questionne : la carte du réseau de téléphonie mobile indique en effet pour l’agglomération de Bagnères et des villages alentour une couverture 3G de 99,9% et 4G de 95,1%.
L’avis des experts : un choix d’emplacement particulièrement malvenu
Dans un article très instructif sur la politique de classement des Sites dans les Pyrénées, Johan Milian (2007, voir ici) souligne des différences frappantes de superficies, qui amènent nécessairement à des gestions diversifiées. Bien qu’assimilés à des « Monuments naturels », les sites ne bénéficient au titre de la loi de 1930 d’aucun "abord" (fameux 500 m), ni de critères de covisibilité comme les monuments historiques. En principe plus vastes, l’idée est qu’ils peuvent inclure dans leurs délimitations les marges des paysages protégés. Mais quid lorsque ce n’est pas le cas, l’allée Maintenon, bien qu’essentielle ayant été laissée à la limite du site sans marge de précaution... Dans le cas qui nous occupe le choix de l’emplacement semble ainsi presque caricatural, le pylône prévu devenant le point de mire d’un panorama jusqu’alors resté intact.
La réaction des experts est de ce fait très significative. Bien que leur avis ne soit pas officiellement nécessaire, l’Architecte des Bâtiments de France comme l’Inspectrice des Sites, qui ont eu connaissance du dossier, ont souligné que l’installation de cette antenne, par sa situation, accolée au site classé, comme par sa composition, un « assemblage métallique de hauteur très importante en opposition au paysage environnant » « serait de nature à nuire au paysage et à l’environnement et ne peut être validée favorablement » (Courrier de Mme Colonel, ABF).
L’Inspectrice des Sites souligne de son côté les particularités d’une allée plantée en hauteur, à flanc de colline, qui forme un véritable balcon naturel dans le paysage. L’Allée Maintenon « offre à ce titre une silhouette particulièrement prégnante dans le site depuis des perceptions extérieures, dont Asté et Gerde ; inversement la promenade dessert à travers ses alignements des points de vue sur la campagne agropastorale environnante dont la qualité est soulignée par les premiers plans ouverts des parcelles de prairie limitrophes » (Courrier de Mme Sasia, Inspectrice des Sites).
Rappelons aussi que le PADD (Projet d’Aménagement et de Développement Durable) de Bagnères de Bigorre, approuvé le 30 mars 2010 et joint au PLU, insiste bien, dans ses orientations générales, sur la nécessité de « préserver les perspectives paysagères » (p. 3) et de « préserver et valoriser le patrimoine rural » et « les zones de prairies et de bois » (p. 4).
En aménagement aussi mieux vaut… prévenir que guérir
Comme le rappelle la Circulaire du 16 octobre 2001 relative à l’implantation des antennes relais de radiotéléphonie mobile (voir ici), une charte nationale de recommandations entre l’Etat et les opérateurs a été établie le 12 juillet 1999, suivie d’un « Guide méthodologique » pour une meilleure insertion des équipements dans le paysage. Suite à cela, l’AFOM, l’Association Française des Opérateurs Mobiles, qui regroupe Bouygues Telecom, Orange et SFR a édité en 2004 un guide de bonne conduite des installations des antennes-relais, « en harmonie avec leur environnement ». Le principe n°8 précise bien que les « opérateurs ne construisent un nouveau pylône qu’en dernier recours ». La question paysagère y est constamment soulevée, à l’appui de schémas montrant les options à éviter. Au regard de ces recommandations, le cas de Bagnères semble donc particulièrement dissonant et justifie pleinement de rouvrir le dialogue. Car dans le domaine de la santé comme dans celui de l’aménagement rien ne vaut le sage adage : mieux vaut prévenir que guérir.
Sophie Descat, déléguée de Sites & Monuments pour les Hautes-Pyrénées