Baie d’Audierne : des espaces protégés en danger ?

Plage de Tréguénnec. Photo Frédéric Hérembert

Un espace d’exception

Considérée comme l’une des dernières grandes étendues littorales sauvages de Bretagne, la baie d’Audierne, l’un des complexes les plus importants de dunes et de zones humides arrière-dunaire de Bretagne, est un espace naturel encore exceptionnellement préservé. Elle correspond au littoral occidental du Pays Bigouden, de Penmarc’h au sud à Plozévet au nord.

La baie d’Audierne sur la carte topographique du Finistère et de la mer d’Iroise en France.
Photo. Own work Topographic map : NASA Shuttle Radar Topography Mission (SRTM3 v.2)

Elle comprend des milieux naturels très variés et des paysages remarquables. Le visiteur la découvre, émerveillé devant les plages à perte de vue, bordées par l’un des plus beaux cordons de galets d’Europe, l’Ero vili, ou par des dunes sauvages, devant les landes, les paluds et les étangs…

L’Ero vili sur la plage de Plovan, le cordon de galets de la baie d’Audierne à hauteur de Plovan ; l’eau douce en provenance d’un étang littoral suinte à travers le cordon de galets pour rejoindre la mer. Photo Henri Moreau/Wikipedia
Les roselières de l’étang de Trunvel à Tréogat, vu de la route du Vent solaire, entre Penhors et Kergoz.
Photo Daieuxetdailleurs/wikipédia

Le caractère lagunaire de ces étendues saumâtres où l’océan se mélange à l’eau douce permet à une flore et une faune caractéristiques de s’épanouir. Des oiseaux comme le guêpier d’Europe, le gravelot à collier interrompu, le phragmite aquatique, ou la sitelle torchepot y font une pause lors de leur migration vers l’Afrique, y passent l’hiver ou s’y reproduisent. La présence de civelles qui se reproduisent en mer, mais remontent les cours d’eau pour atteindre leur maturité en eau douce témoigne d’un milieu encore très largement préservé où le brassage aquatique se fait en harmonie. C’est aussi le lieu d’épanouissement d’un grand nombre d’espèces végétales caractéristiques, l’astragale de Bayonne, l’achillée maritime ou le panicaut y poussent de façon naturelle.

L’arrière des dunes recouvertes d’aulx à tête ronde, Tronoën, à Saint Jean-Trolimon. Wikipedia

Un espace vulnérable

Cet espace fragile, qui repose sur un équilibre délicat, entre terre et mer, doit garder son ambivalence pour subsister : à la fois mer et eau douce, terre et sable, solide et aquatique.

Etang de Trunvel, vu de la plage de Tréogat. Photo Henri Moreau/Wikipedia

Or ces zones sont en danger : l’utilisation de plantes exotiques et envahissantes dans les jardins, comme les herbes de la pampa, les a fragilisés. Leur position, proche de l’océan et de la campagne, les rend encore plus vulnérables à cause de l’exploitation humaine et de la surfréquentation. La plage et les dunes sont un cadre rêvé pour diverses activités de loisir comme le surf, le char à voile, la baignade, les randonnées équestres… ce qui entraîne la présence de trop de gens et surtout trop de voitures. Il faudrait réguler la fréquence de ces activités et éloigner les parkings existants. L’activité agricole, et en particulier la culture des bulbes, s’accompagne de nombreux traitements phytosanitaires pouvant porter atteinte à la biodiversité, et de pompages effectués dans la nappe, pouvant affecter les équilibres hydrodynamiques de la dune. La pêche, en particulier à la telline, pousse parfois des exploitants indélicats à franchir les dunes avec des véhicules trop lourds…

Kitesurf sur la plage de Pors-Carn près de la Pointe de La Torche. Photo Jeanne Menjoulet/Wikipedia

Il est d’autant plus urgent de trouver un équilibre entre les usages et la protection des patrimoines naturels et culturels pour préserver ce site pour l’avenir.

Des dispositifs de sanctuarisation incomplets

Cette zone remarquable fait l’objet depuis plusieurs décennies déjà, de nombreuses mesures de protection. Déjà en 1982, le Conservatoire du littoral a acquis près de 650 hectares de dunes et de paluds, ce qui a permis de reconstituer des dunes, et de protéger le littoral de l’érosion de la mer, mais aussi d’encourager une agriculture respectueuse de l’environnement, de protéger des espèces menacées comme l’abeille noire et de collecter les déchets que la mer abandonne malheureusement sur les plages [1]. Depuis 1988, l’association Bretagne Vivante gère une station de baguage des oiseaux au cœur des roselières de Trunvel pour observer de façon scientifique la migration des oiseaux, connaître leur parcours et leur cycle de vie et mieux protéger les espèces menacées comme le Phragmite aquatique, le passereau le plus menacé d’Europe [2]

Moutons paissant sur le site protégé par le Conservatoire du littoral, à côté de la maison de la Baie d’Audierne.
Photo Sophie Grosjean-Agnes
Site « Baie d’Audierne » protégé par le label Natura 2000, INPN, base de référence juillet 2024.
Photo inpn.mnhn.fr/site/natura2000/FR5300021

Depuis 2007, la baie d’Audierne a rejoint le classement Natura 2000, et fait désormais partie ce réseau de sites écologiques dans lesquels l’Union européenne s’est engagée à stopper la disparition de la biodiversité lors du sommet de Rio en 1992 [3]. En 2021, la zone obtient le label Ramsar qui reconnaît l’importance des zones humides du territoire au niveau international et les efforts engagés pour les préserver [4]. En 2020, les Communautés de communes du Haut Pays bigouden et du Pays bigouden sud, en association avec l’association Bretagne vivante et le Conservatoire du littoral, ont présenté au Conseil régional de Bretagne un dossier de candidature pour la création d’une nouvelle Réserve naturelle régionale dans le Pays bigouden : la RNR des dunes et paluds bigoudènes [5]. Le périmètre retenu est de 1334 ha, dont 754 publics, 80 privés (pour lesquels les propriétaires ont donné leur accord) et 500 ha de surface maritime. 70 % du périmètre prévu pour la réserve appartiennent au Conservatoire du littoral qui a donné son « accord de principe » selon Stéphane le Doaré, Président de la communauté de communes du Pays bigouden sud [6]. Ce classement devrait permettre d’aider les gestionnaires d’espaces naturels en les accompagnant et les conseillant (deux nouveaux postes de garde du littoral devraient être créés), et de renforcer les moyens techniques et financiers pour établir une réglementation spécifique établie de manière locale et concertée qui assurerait l’équilibre entre les usages et la préservation de la biodiversité. L’on pourrait alors permettre l’accueil du public en cohérence avec les ambitions de préservation fixées, sensibiliser du public sur le partage de cet espace sauvage. Cela permettrait enfin de développer et de pérenniser les outils de connaissance de la biodiversité existants.

Périmètre de la futur RNR des dunes et paluds bigoudènes selon les Communautés de communes du haut Pays bigouden et du Pays bigouden sud. Photo.cchpb.bzh/wp-content/uploads/2024/03/PerimProjet_RNR_A1.pdf.

Un classement retardé

Depuis septembre 2024, les maires de cinq communes du Pays bigouden (Penmarc’h, Plomeur, Saint Jean-Trolimon, Tréguénnec et Tréogat) ont annoncé vouloir se retirer du projet de réserve à quelques jours du classement. Nous avons appris par la presse que le classement, qui devait avoir lieu fin 2024, est reporté de quelques semaines à quelques mois [7]. Il s’agit vraisemblablement de craintes d’élus ou de pressions locales. Selon le journal Ouest-France du 14/09/2024, le Président de la communauté de commune, Stéphane le Doaré les évoque explicitement : « les maires des communes littorales et des petites communes, subissent parfois des pressions. On est à portée de baffes pour les habitants. Beaucoup de fausses informations circulent autour de la réserve, qui peut susciter des craintes. »

Le risque est réel. Cette zone a failli disparaître à cause de l’exploitation des galets dont la transformation en béton a permis la construction du mur de l’Atlantique lors de la Deuxième Guerre mondiale et la reconstruction des villes de Lorient et de Brest après le conflit. La mer a gagné au minimum 200 mètres sur les terres depuis la guerre et a même rejoint l’étang de Trunvel dans les années 90. Ce n’est que grâce aux efforts de protection du cordon dunaire affaibli, que les eaux se sont séparées. Le retrait du trait de côte pourrait s’accentuer en rayant de la carte une partie de la zone protégée.

Le Pays bigouden étant déjà très urbanisé, les paluds, les dunes et les plages de la baie d’Audierne apparaissent encore comme un havre de végétation et de faune préservée. Il ne faudrait pas que les maires se retirent des projets de protection de la région qui deviendrait alors le lieu d’une exploitation économique dévastatrice.

Sophie Grosjean-Agnes
Frédéric Hérembert