Il est difficile de pénétrer dans l’église Sainte-Germaine du Pont-du-Leu où un seul office est célébré tous les quinze jours. Depuis l’annonce de sa destruction prochaine, des passionnés du patrimoine se faufilent dans l’église un peu avant la célébration des cérémonies religieuses afin d’admirer notamment les verrières qui illuminent nef, transept et chœur. Avec ce riche ensemble de vitraux, Calais possède un véritable trésor dont la population n’a pas suffisamment conscience. Il est vrai qu’aucune visite guidée n’est organisée dans cette église.
Le bâtiment au plan en croix latine, conçu par l’architecte Julien Barbier et édifié entre 1928 et 1934 sur un terrain marécageux, comporte divers éléments dignes d’intérêt. À l’extérieur, dans la partie haute de l’église, on remarque un subtil jeu de briques : les lits ne sont pas disposés dans le même sens, ce qui témoigne de la méticulosité des bâtisseurs. L’existence d’un clocher-porche est par ailleurs assez inhabituel pour être soulignée. Il a été achevé en 1988, période durant laquelle les paroissiens fréquentaient encore l’église en nombre.
L’intérieur, très clair, offre de beaux volumes ; on y remarque une grande unité décorative inspirée par le style Art Déco. Le revêtement blanc des parois porte en léger relief l’empreinte discrète d’un motif géométrique tout en courbes. L’ensemble est rehaussé par des rappels dorés que l’on retrouve en bandeau sur chaque pilier, sur le bénitier et de part et d’autre de l’autel. Ce motif décoratif récurrent entre en écho avec le chemin de croix ornant les murs de la nef, réalisé en mosaïque. L’œuvre n’est pas signée, mais elle a été probablement réalisée par Louis Barillet, qui, en plus d’être un vitrailliste, était un mosaïste reconnu. Les quatorze stations du chemin de Croix magnifiques de pureté et de simplicité, sont pour la plupart intactes.
Les vitraux ont été réalisés en 1934 par trois maîtres-verriers renommés avant la guerre : Louis Barillet, mentionné ci-dessus, Théo Hanssen et Jacques Le Chevallier. Les plus belles pièces sont les deux rosaces du chœur symbolisant, l’une, à dominante rouge, l’Ancien Testament, l’autre, à dominante bleue, le Nouveau. Les huit vitraux représentant les scènes de la vie de sainte Germaine, situés dans la nef sont de toute beauté. On trouve aussi des représentations de saint Mathieu, saint Luc, saint Marc et saint Benoît-Labre. Ces vitraux sont protégés au titre des monuments historiques comme objets mobiliers (voir ici). Il faut aussi signaler la présence de marbres d’Hydrequent. L’église abrite également, près de l’entrée, une plaque décorée d’un beau bas-relief due à Desvergnes, rendant hommage aux enfants de la paroisse morts lors de la guerre 1914-1918.
L’église ne présente aucun signe de fragilité dans sa construction et reste parfaitement stable. Malheureusement, au diocèse d’Arras, l’économe Lionel Delcroix affirme : « C’est un gouffre financier. Il y a toute l’électricité à refaire ainsi que le chauffage. Elle souffre également d’inondations au sous-sol. Elle a été construite sur un sol marécageux. Il y en a pour plusieurs millions d’euros de travaux. Le diocèse ne pourrait pas supporter de tels coûts ». Le diocèse veut donc se séparer du bâtiment. Un promoteur est prêt à acheter le terrain en vue d’y bâtir des logements auxquels une petite chapelle serait associée.
Si les vitraux peuvent être déposés, le chemin de croix ne semble pas pouvoir être décollé de la paroi qui le supporte et serait irrémédiablement perdu en cas de démolition.
Le terrain si marécageux est-il propice a une construction d’immeubles ?
Bref, pourquoi toujours démolir, le diocèse ne pourrait il pas, comme par le passé solliciter les "Germaines" pour que cet édifice revive à nouveau !
L’EPAC (Environnement et Patrimoines du Calaisis) et Urgences patrimoine ont mis en ligne une pétition pour s’opposer à la démolition (voir ici).
Son histoire
Placée sous le patronage de sainte Germaine Cousin, une bergère qui vivait près de Toulouse au XVIe siècle et qui a été canonisée en 1867, l’église du Pont-du-Leu située rue de Montréal est née en grande partie grâce à la volonté de l’abbé Constant Hanse qui voulait édifier un beau lieu de culte dans une paroisse appelée à se développer, notamment suite à l’implantation de la grande usine « Les Filés de Calais » produisant de la soie artificielle.
Une souscription fut lancée après la Grande Guerre pour remplacer le baraquement qui faisait jusqu’alors office de lieu de culte rue de Lima. Les paroissiens du Pont-du-Leu eurent beaucoup de difficultés à rassembler tout l’argent nécessaire au financement du chantier, la crise économique des années 1930 frappant durement le Calaisis. Le diocèse d’Arras apporta sa contribution et des dons des « Germaines » de toute la France ont permis à l’église de voir le jour.
Mgr Julien, évêque d’Arras, posa la première pierre en 1928 mais les travaux furent difficiles en raison du caractère sableux et très mouvant du terrain choisi. Il fallut y enfoncer plus de 160 colonnes en béton et les relier au niveau du sol par du ciment armé afin de pouvoir élever les murs. Ces différentes opérations engloutirent des sommes énormes, si bien qu’il fallut une ultime récolte de fonds pour pouvoir élever le clocher. Mgr Dutoit inaugura l’édifice le 1er avril 1934. À l’origine, l’autel était celui de l’ancienne église de Pétresse (ou Saint-Pierre, commune avec laquelle Calais a fusionné en 1885), qui avait été récupéré par les Petites Sœurs des Pauvres.
Anne de Cherisey, déléguée régionale de Sites & Monuments pour les Hauts-de-France
Magali Domain, membre de l’EPAC, historienne