Les très nombreuses réactions consécutives à la publication de notre premier article, repris par le journal Ouest France, amènent à revenir sur le cas du bâtiment devant accueillir l’enseigne "Mr Bricolage".
1) Sur le nombre de menhirs du Chemin de Montauban
Il a été expliqué, notamment par la mairie de Carnac, que très peu de menhirs avaient été identifiés. Le rapport du diagnostic archéologique compte pourtant a minima trente-huit mégalithes :
"À l’issue de l’inventaire établi au cours de ce diagnostic, les décomptes sont les suivants :
File 1 - Vingt-et-un blocs dont douze encore dressés. Trois autres blocs récemment couchés et déplacés se trouvent par ailleurs au niveau du passage entre les parcelles 21 et 159 (fig. 14).
File 2 - Onze blocs inscrits dans le muret de parcellaire auxquels s’ajoutent trois gros blocs couchés au nord de la file.
Au total, c’est donc un minimum de trente-huit monolithes qui sont identifiés sur le site mais il en existe sans doute d’autres dans la partie non débroussaillée de la file principale et dans les parcelles situées à l’est de la file 2. Les limites de ces deux alignements sont plus ou moins reconnues et le repositionnement des principaux monolithes sur le cadastre napoléonien (1833) montre qu’il s’inscrivent parfaitement dans un parcellaire déjà en place à cette époque (fig. 15). Il est intéressant de noter à ce titre que les microtoponymes des parcelles adjacentes portent toutes le nom breton de "Men Guen Bihan", ce qui se traduit par "les petites pierres blanches", le terme "Men" étant souvent associé régionalement à des mégalithes." (voir Rapport de diagnostic, p. 38)
Ce rapport, dressé à l’issue du diagnostic archéologique, contredit par conséquent le communiqué lénifiant de la DRAC Bretagne.
2) Intérêt des files de menhirs du Chemin de Montauban
– Ces petits menhirs constituaient sans doute l’un des ensembles du genre le plus ancien de France, à en juger par les datations Carbone 14 obtenues en 2010 lors de la fouille de la Z.A de Montauban, à 200 m. Une datation autour de 5480-5320 avant J.-C. laisse penser que les premiers constructeurs de mégalithes n’étaient pas les agriculteurs-éleveurs du Néolithique (qui démarre en Bretagne vers 5000) mais les chasseurs-cueilleurs-pêcheurs du Mésolithique. Une révolution dans la perception de l’évolution des sociétés ! Le site turc de Gobekeli Tepe, classé au Patrimoine mondial, avait commencé à révéler ce phénomène dans les années 1990.
– Sur la ZA de Montauban, toute proche, des structures de combustion, sortes de foyers, évoquaient une possible source de richesse à Carnac au temps de la Préhistoire : la production de blocs de sel et de salaisons de poissons, diffusés ensuite en Europe… en contrepartie des précieux objets trouvés dans les tombeaux du Morbihan. Ainsi, ont été découverts dans le tumulus Saint-Michel, à un kilomètre à l’ouest de Montauban (et en co-visibilité), des grandes haches en jade provenant des Alpes italiennes, des perles et pendentifs en « callaïs », sorte de turquoise rapportée d’Andalousie par bateaux.
– Le site du Chemin de Montauban était suffisamment important pour figurer dans le dossier de confirmation pour la candidature Unesco/Patrimoine mondial (N° patriarche 56 034 0240)... Dossier adressé au Ministère de la Culture en 2017 et diffusé largement auprès des élus du secteur et des associations carnacoises. En préface de ce document : « Les mégalithes sont notre héritage, nous en sommes dépositaires, responsables. Ils sont une source de prospérité et de richesses, mais nous devons, pour en profiter, assumer les responsabilités qui en découlent » écrit O. Lepick, maire de Carnac et président de l’association Paysages de Mégalithes, porteur du projet de labellisation Unesco.
3) La procédure normale en termes d’archéologie préventive en France
La loi d’archéologie préventive de 2001 prévoit, qu’en cas de projet d’aménagement et de suspicion de vestiges archéologiques, l’État (via le Service Régional d’Archéologie/Direction des Affaires Culturelles) prescrit un diagnostic. Un repérage, une prospection et des tranchées sont alors réalisés. Si des vestiges sont présents, une fouille est prescrite. Elle engrange des informations et permet de libérer le terrain pour l’aménageur et de conserver certains vestiges.
Au Chemin de Montauban, le diagnostic réalisé par l’Inrap en 2015 (en ligne sur Bibliothèque numérique du service régional de l’archéologie en faisant une recherche avancée « Auteur / Hinguant »), conclut : " Sauf à envisager la conservation de ce monument, l’opportunité de fouiller et d’étudier une file de stèles néolithiques a priori encore en place à Carnac se fait jour. L’opération consisterait en premier lieu à reconnaitre les limites maximales de l’alignement, après débroussaillage et nettoyage des lieux, à identifier le nombre total de monolithes en place ou en position secondaire ainsi qu’à dresser la carte d’identité de chacun d’entre eux. Un décapage des terres superficielles aux abords de l’alignement, par exemple sur une bande de 5 m de large de part et d’autre de la file, permettrait par ailleurs d’apprécier l’environnement sédimentaire du monument et de détecter d’éventuels faits ou mobilier archéologiques en lien avec lui. La réflexion sur la position topographique de cette file, à proximité d’une source, est sans doute à prendre en compte. Les blocs de la "file" 2, apparemment en position secondaire, ne devraient pas être négligés. Même déplacés, les monolithes sont porteurs d’informations et les parcelles 13, 19 et 20, qui jouxtent le côté oriental de l’alignement, semblent bien recéler des vestiges qui n’ont pas pu être étudiés au cours du diagnostic à cause des épais taillis qui couvrent la surface. Un décapage de ce secteur pourrait donc être également envisagé en cas de fouille." (voir Rapport de diagnostic, p. 45).
Il s’agissait en effet d’une rare possibilité de découvertes, concernant ce type de structures, depuis les fouilles de 1942 sur les alignements de Kerlescan à Carnac. La fouille, prescrite en 2015 par le SRA de Bretagne, au vu de cette conclusion et des dispositions de l’article L. 522-2 du code du patrimoine, n’a malheureusement pas eu lieu lors de la réactivation du projet de construction en 2022 (le projet de Super U étant converti en Mr Bricolage).
Le communiqué de la DRAC Bretagne admet d’ailleurs "qu’aucune suite n’a été donnée par le maître d’ouvrage aux prescriptions de fouilles", en 2015, comme en 2022.
Rappelons que, selon l’article 322-3-1 du code pénal, "la destruction, la dégradation ou la détérioration est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende lorsqu’elle porte sur [...] 2° Le patrimoine archéologique, au sens de l’article L. 510-1 du code du patrimoine".
4) Ce qui aurait pu être fait au Chemin de Montauban
On peut regretter que les petits menhirs du Chemin de Montauban n’aient pu, au moins pour certains, être transférés au Musée de Préhistoire de Carnac, plutôt qu’être broyés dans des machines à concasser pour venir remblayer les abords du Mr Bricolage. Ils auraient pu, tout comme le résultat de fouilles préventives, venir alimenter le futur parcours muséographique du musée de Carnac.
C’est ce qu’avait souligné le diagnostic archéologique, en vain puisque les prescriptions de fouilles n’ont pas été suivies : "À l’issue d’une éventuelle opération archéologique, se poserait ensuite la question du devenir des stèles dans le cadre du projet d’aménagement. Intégration du monument dans le projet, déplacement du "site" pour une restitution aux abords du projet, dépôts des stèles dans un autre lieu... éléments de réflexion ô combien déterminants sur le statut de ce type de vestiges archéologiques."(voir Rapport de diagnostic, p. 45).
« Nous sommes responsables d’un patrimoine fantastique, nous devons être à la fois rigoureux et ambitieux dans notre manière de le gérer » s’engageait pourtant Olivier Lepick, maire de Carnac, en 2017, dans la préface du projet de candidature Unesco (Confirmation de la liste indicative)...
À l’avenir, des solutions pourraient être trouvées. Certaines communes recrutent un agent assurant une veille archéologique. Ce ne serait pas du luxe à Carnac : plus de 240 sites archéologiques sont inventoriés sur la carte archéologique de la commune ! Pour moins que cela des Villes françaises ont pris leur responsabilités, se dotant d’un pôle Patrimoine au sein de leurs services.
Les documents d’urbanisme devraient empêcher cette artificialisation de sites naturels au profit de grandes surfaces ou, à tout le moins, rechercher une meilleure intégration paysagère des constructions, à toute proximité des tumulus du Ruisseau des Anguilles (dont dépendaient peut-être les alignements du Chemin de Montauban) et aux abords de celui de Saint-Michel.
Nous laissons enfin nos lecteurs apprécier le trait d’humour tenant à ce que le permis de construire du magasin "Mr Bricolage" de Carnac ait été déposé par une "SCI des menhirs" et une "SAS bricodolmen"...
Christian Obeltz, Carnacois, ancien vice-président de l’association Menhirs Libres, prospecteur-correspondant du Laboratoire de Recherche Archéologie et Architecture de Université de Nantes
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Consulter le rapport de diagnostic réalisé par l’Inrap en 2015