La Convention Citoyenne pour le Climat s’était ouverte sur une promesse du Président de la République de soumettre ses propositions « sans filtre » au suffrage. Depuis, cette notion a été beaucoup glosée pour parvenir à l’idée d’un droit d’inventaire du Gouvernement sur les propositions citoyennes (voir ici). S’il ne nous appartient pas de juger des modalités de transposition dans notre ordre juridique de cette tentative de démocratie directe, nous devons dénoncer tout recul dans la protection des paysages.
La Convention explique, dans son rapport final, qu’« il semble difficile de consommer moins lorsque les incitations à la consommation, à tous les âges et sans en avoir le choix, sont aussi présentes dans la vie quotidienne » et recommande en conséquence que « l’exposition publicitaire soit [désormais] voulue par les individus ». A cette fin, elle propose d’« Interdire les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors information locale et culturelle ainsi que les panneaux indiquant la localisation d’un lieu de distribution. » ainsi que « les affichages avec écran vidéo : DOOH (Digital Out Of Home)[...] dans l’espace public, les transports en commun et dans les points de vente ».
Ce constat est repris par le Gouvernement dans l’exposé des motifs de son avant-projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique : « Cette loi va ainsi agir pour transformer les modes de consommation (titre Ier). Nos habitudes de consommation, voire de surconsommation, ont en effet un impact important sur l’environnement. [...] La loi [...] entend [...] diminuer les incitations à la consommation en régulant le secteur de la publicité. Elle vise ainsi à modérer l’exposition des Français à la publicité et interdit la publicité pour les énergies fossiles qui sont directement responsables du changement climatique. » (Exposé des motifs, p. 4/21).
Mais sa traduction est stupéfiante. Elle consiste en effet, non pas à interdire ou à réduire fortement la publicité extérieure, mais à décentraliser de la police des infractions publicitaires : « L’article 6 décentralise le pouvoir de police de la publicité, qui sera désormais exercé par le maire, que la commune dispose ou non d’un règlement local de publicité. Pour agir sur la publicité extérieure qu’elle soit papier ou numérique, aspiration exprimée par la Convention citoyenne pour le climat et une part grandissante de la société, le maire, proche du terrain et des citoyens, est en effet le plus à même de produire et faire respecter des réglementations adaptées à son territoire et à ses réalités. Actuellement, la compétence en matière de réglementation et de police de la publicité est partagée entre les préfets (régime de droit commun) et les collectivités, uniquement lorsque celles-ci se sont dotées d’un règlement local de publicité. La possibilité sera ouverte aux maires de transférer leurs compétences en matière de police de la publicité au président de l’EPCI. » (Exposé des motifs, p. 7/21).
Ainsi, les infractions - qui sont massives dans ce domaines (voir Sites & Monuments n°221 de 2014 ou, par exemple, ici) - ne seront plus sanctionnées par le préfet qui est aujourd’hui titulaire de la police de la publicité dans les petites communes (non dotées d’un Règlement local de publicité) et qui peut se substituer aux communes négligentes titulaires d’un tel règlement. L’Etat déserte tout simplement ce secteur de la politique nationale du paysage en livrant les collectivités à elles-mêmes tout en affaiblissant l’action des associations de protection des paysages.
Dans notre réponse au ministère du développement durable sur cet avant-projet de loi, nous expliquons ainsi que :
« Notre association est fondamentalement opposée à cette mesure [de décentralisation de la police de la publicité extérieure] qui provoquerait un désengagement de l’Etat de tout un pan de la politique nationale du paysage.
Nous constatons en effet, d’une part, que les petites communes ne sont pas armées pour assurer cette nouvelle responsabilité, alors que les dotations d’Etat sont réduites, tandis que les collectivités plus importances sont souvent les auteurs des principales infractions, notamment à l’occasion de grands événements sportifs ou festifs financés par la publicité. Le pouvoir du préfet, en raison des fonctionnaires spécialisés dont il dispose au sein des DDT ou DDTM et de la cohérence de son action au service d’une politique d’Etat, est ainsi indispensable.
Notre expérience dans ce domaine nous fait en effet penser que rapprocher la décision du terrain ne contribue pas à une meilleure protection mais paralyse la prise de décision, notamment par une trop grande proximité avec les intérêts locaux concernés [voir ici], paralysie qui n’est pas envisageable dans un domaine où les infractions sont particulièrement nombreuses.
L’action des associations, notamment judiciaire, serait en outre évidemment complexifiée par la multiplicité des collectivités désormais responsables.
Les mesures proposées conduiraient ainsi à priver de sanction un nombre croissant d’infractions, résultat inverse de celui recherché par la Convention Citoyenne pour le Climat et le projet de loi. »
Notre association fait en outre la proposition, de concert avec les associations Paysages de France (voir ici) et Résistance à l’Agression Publicitaire (voir ici), de revenir à une police concurrente de l’Etat et des collectivités : « Nous soutenons, au contraire, le rétablissement d’un pouvoir de police concurrent du préfet et du maire, comme antérieurement à la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. Le maire pourrait ainsi agir seul ou concurremment avec le préfet, ce dernier disposant en outre du pouvoir de pallier les carences d’une collectivité négligente. Les infractions massives constatées, malgré le renforcement des sanctions, justifient pleinement cette possibilité d’action concurrente de l’Etat et des communes ou EPCI. »
En l’état, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique serait un recul majeur en matière de protection des paysages. L’argument de la « proximité », privilégié après la crise des "gilets jaunes", avait déjà été employé pour tenter de "déconcentrer" les autorisations de travaux en sites classés (voir ici). Il ne s’agissait, là encore, que d’une dérégulation déguisée - sans changement du fond des textes - par substitution d’une autorité de décision à une autre, plus sensible aux pressions économiques locales.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Consulter la position de Paysages de France
Consulter le position de Résistance à l’Agression Publicitaire
Consulter le rapport final de la Convention Citoyenne pour le Climat sur la publicité extérieure
Consulter l’avant-projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique
Consulter notre lettre du 18 janvier 2021 au ministère de la Transition écologique