Communiqué : Sites & Monuments se félicite de la décision du Conseil d’Etat tendant à compléter la délimitation des domaines nationaux de Meudon et de Saint-Cloud, mais regrette le manque d’ambition et la résistance de certaines administrations d’État

Depuis plusieurs années, l’association Sites & Monuments plaide auprès du ministère de la Culture pour obtenir une définition large et inclusive des périmètres des domaines nationaux, assortis de la protection patrimoniale la plus élevée de notre droit (créée par la loi LCAP de 2016 et à laquelle Sites & Monuments avait contribué par ses amendements). Celle-ci garantit notamment inaliénabilité, classement au titre des monuments historiques, inconstructibilité de principe et possibilité de préemption d’enclaves privées des domaines nationaux (voir articles L. 621-34 à 42 du code du patrimoine, art 75).

Décision du Conseil d’État du 31 mai 2024

Sites & Monuments a ainsi formé un recours gracieux, puis contentieux, contre la délimitation par décret du 17 juin 2022 des domaines nationaux de Villers-Cotterêts, Malmaison, Meudon et Saint-Cloud, déplorant des lacunes dans leur délimitation.

Certaines administrations d’État, affectataire à la suite de la dissolution de la liste civile de Napoléon III en 1871 de portions de ces domaines nationaux, tentent en effet d’en valoriser les emprises foncières par des cessions pour y construire, tandis que d’autres refusent les contraintes protectrices de ce statut, notamment dans l’exploitation des forêts associées à ces anciens domaines (les plans de gestion forestiers y seraient élaborés conjointement par l’ONF et la DRAC).

En vert, zone réintégrée dans le domaine national de Meudon (abords et partie du bassin de Chalais) par décision du Conseil d’Etat du 31 mai 2024.

Deux de ces recours viennent - première en la matière - de prospérer devant le Conseil d’Etat. En vertu de sa décision du 31 mai 2024, le Premier Ministre devra ainsi, conformément à notre demande, intégrer dans le domaine national de Meudon une parcelle détourée de celui-ci – empiétant sur le bassin de Chalais (centre de la composition du parc). Cette enclave - dont l’emprise a été défrichée pour l’occasion - avait pour objet de favoriser la construction d’un restaurant sur pilotis voulu par l’entrepreneur F. Jousset, notamment à l’origine du pass Culture.

Gravure d’Israël Silvestre (1705) montrant le bassin de Chalais, au centre de la perspective de Meudon, avec la zone exclue du domaine national (en rouge), réintégrée par le Conseil d’Etat.
En rouge, zone contiguë et empiétant sur le bassin de Chalais, défrichée et exclue du domaine national pour y établir un restaurant.
Domaine national de Meudon - Restaurant débordant sur le bassin de Chalais (vue d’architecte).
Domaine national de Meudon - Restaurant débordant sur le bassin de Chalais. Photo François de Vergnette / Sites & Monuments.

Sites & Monuments se réjouit de ce que la réversibilité de ces installations commerciales, festives et bruyantes - incompatibles avec un site symbolique et fragile - soit bientôt assurée par l’inaliénabilité et le classement au titre des monuments historiques découlant du statut de domaine national. Elle regrette, en revanche, vivement, de concert avec le « Comité de de sauvegarde des sites de Meudon » et « Vivre à Meudon », l’absence d’inclusion dans le domaine national de Meudon des bâtiments historiques et terrains boisés de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), destinés à être aliénés et construits. Elles regrettent également l’absence d’inclusion de la forêt domaniale de Meudon dans le périmètre retenu.

En vert, zones réintégrées dans le domaine national de Saint-Cloud (pavillon de Breteuil et étangs de Corot) par décision du Conseil d’Etat du 31 mai 2024.

L’association se réjouit par ailleurs, conformément à sa demande, de l’intégration au sein du domaine national de Saint-Cloud du pavillon de Breteuil (XVIIIe siècle), siège du Bureau international des poids et mesures (conservant le mètre étalon) et des étangs dits « de Corot », partie intégrante du réseau hydraulique alimentant les fontaines du domaine depuis de XVIIe siècle (ce qui contribuera à maîtriser les travaux de sécurisation désastreux actuellement en cours).

Pavillon de Breteuil (XVIIIe siècle) aujourd’hui Bureau international des poids et mesures (BIPM), exclu du domaine national de Saint-Cloud et réintégré par le Conseil d’Etat.
Etangs "de Corot" à Ville-d’Avray (XVIIe siècle), partie du réseau hydraulique de Saint-Cloud réintégrée par le Conseil d’Etat dans le domaine national (état avant travaux).

Sites & Monuments, la « Société historique de Soisson » et l’« association des parcs et jardins de l’Aisne », déplorent, en revanche, que l’emprise forestière du domaine national de Villers-Cotterêts, close de murs sous François 1er et le duc d’Orléans, n’ait pas été intégrée dans la délimitation de ce domaine, tout comme son réseau hydraulique et notamment le regard de Saint-Hubert, édifice datant du XVIe siècle (voir nos recours).

Proposition des associations pour la délimitation du domaine national de Villers-Cotterêts.

Sites & Monuments exprime le même regret, partagé par les associations « Garches est à Vous » et « Coteaux de Seine », concernant le domaine national de Malmaison. Sa rivière anglaise, le parc des Gallicourts et le bois de Saint-Cucufa, aménagés à la demande de Joséphine, n’ont en effet pas été réintégrés au sein du domaine national (voir nos recours). Ces emprises forestières font pourtant régulièrement l’objet d’aménagements et de coupes rases incompatibles avec leur importance historique.

"Grand Malmaison" prolongeant la délimitation du domaine national (en rouge).

Décret du 24 mai 2024 délimitant cinq nouveaux domaines nationaux

Un décret signé le 24 mai 2024 institue cinq nouveaux domaines nationaux : Versailles, Marly, Saint-Germain-en-Laye, Rambouillet et Fontainebleau.

Si la délimitation du domaine national de Versailles est globalement conforme aux recommandations faites par notre association, l’omission de l’assise des anciennes allées de Saint-Cyr et de Marly (non protégées par les documents d’urbanisme) ne permettra pas - contrairement à celle de l’avenue de Villepreux incluse dans le domaine - de les défendre contre l’urbanisation et de les préempter pour récréer le lien avec la maison d’éduction de Mme de Maintenon (ISMH) et le domaine de Marly (autre domaine national). Le réseau hydraulique de Versailles, parmi les plus élaborés, a également été omis du domaine national, ce qui ne contribuera pas à sa préservation et à sa reconnexion. Nous nous réjouissons, en revanche, de l’inclusion dans le domaine national d’hôtels ministériels (à l’exception malheureusement de la Surintendance des bâtiments) comme du pavillon du Butard (avec ses communs récemment aliénés) dont nous avions, en vain, tenté d’empêcher la vente en 2015.

Les domaines de Marly, de Saint-Germain-en-Laye, de Fontainebleau et, dans une moindre mesure, de Rambouillet, n’incluent ni les forêts domaniales, toutes fameuses et quelquefois closes de murs (Marly) ou placées sur la liste indicative du patrimoine mondial (Fontainebleau), ni les réseaux hydrauliques qui leur sont depuis toujours associés. La création, au XIIIe siècle, par le roi Philippe IV Le Bel, d’une administration des "Eaux et Forêts", l’une des plus anciennes de l’État, en témoigne.

Aujourd’hui, les forêts et les réseaux hydrauliques des domaines nationaux constituent leur « trame verte et bleue » (loi du 3 août 2009 dite loi Grenelle 1), en pleine cohérence avec l’objectif de leur « conservation et de leur restauration » dans le respect de leur caractère « paysager et écologique » (art. L. 621-34 du code du patrimoine).

Sites & Monuments se réserve la possibilité de former des recours gracieux ou contentieux contre le décret du 24 mai 2024 relatif à ces cinq domaines en fonction des observations ci-dessous.

Importance de la forêt dans la constitution des domaines nationaux

Coupe à blanc dans la forêt close de murs de Villers-Cotterêts, à proximité immédiate du regard monument historique de l’ermitage de Saint-Hubert. Source : vidéo officielle du projet CMN / YouTube.

Les aménagements forestiers sont d’une importance fondamentale dans l’affirmation de la souveraineté. L’existence de forêts a, en effet, toujours été déterminante dans l’implantation des différents domaines royaux, aujourd’hui nationaux. La chasse, simulacre de guerre et démonstration de puissance, faisant l’objet d’une législation spécifique, a laissé de nombreuses traces dans ces bois (réseau d’allées en étoile, murs d’enceinte, pavillons de chasse, maisons de garde, arbres remarquables). Les bois ainsi aménagées, raison d’être et prolongement de ces différents domaines, présentent bien, à notre sens, un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation.

Rappelons d’ailleurs que, selon le code du patrimoine, « ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l’Etat dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique » (art. L. 621-34 du code du patrimoine), sans pouvoir faire l’objet d’échanges par l’ONF (art. L. 621-40 du code du patrimoine), ce qui montre bien l’intention du législateur d’intégrer aux domaines nationaux leurs dépendances forestières.

L’absence de volonté des ministères de la Culture et de l’Agriculture de satisfaire au dessein du législateur est regrettable, d’autant que l’hybridation des patrimoines naturels et culturels mise au point par la loi LCAP de 2016 était particulièrement stimulante.

Nous notons d’ailleurs que l’intégralité des 5400 hectares du parc de chasse clos de murs du domaine national de Chambord bénéficie, depuis sa délimitation par décret n° 2017-720 du 2 mai 2017, du statut de domaine national. Il est en effet géré depuis 2005 par l’établissement public du domaine de Chambord (et non par l’ONF).

L’inclusion des forêts rattachées aux différents domaines aurait pour principale vertu d’empêcher leur exploitation en « coupe rase », actuellement déplorée par de nombreuses associations et collectifs, au profit d’une exploitation « jardinée », définie de concert par l’ONF et la DRAC, autorité de surveillance des monuments historiques.

Importance des réseaux hydrauliques pour les domaines nationaux

Regard de Saint-Hubert (XVIe siècle), en forêt de Retz, partie du réseau hydraulique du domaine national de Villers-Cotterêts.

La constitution de vastes réseaux hydrauliques était un enjeu de première importance, comme en témoigne les sommes consacrées sous l’Ancien Régime à ces aménagements « dignes de l’ancienne Rome » (Louis XIV entreprit de détourner l’Eure jusqu’à Versailles). Démonstration de puissance et défis scientifiques (élaboration de la machine de Marly), ils étaient la condition du fonctionnement des jeux d’eau. Aboutissant au cœur des domaine royaux, puis nationaux, ils faisaient la fierté des souverains, comme le manifeste la « Manière de montrer les jardins de Versailles » rédigée par Louis XIV, et étaient notamment présentés aux ambassadeurs des puissances étrangères. L’importance écologique des réseaux hydrauliques, notamment dans la collecte des eaux pluviales, n’est aujourd’hui plus à démontrer et permet d’envisager des travaux de reconnexion. Cette composante des domaines nationaux manifeste bien un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation.

Le classement des réseaux hydrauliques comme domaines nationaux, dont découleraient inaliénabilité et protection au titre des monuments historiques, les protégerait des coupures jadis intervenues et permettrait un fonctionnement gravitaire des fontaines.

Rappel sur le statut de domaine national

La première liste de domaines nationaux a été établie par décret du 2 mai 2017, en vertu de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine du 7 juillet 2016, comprenant notamment le domaine du Louvre et des Tuileries et le palais de l’Élysée à Paris, ainsi que les domaines de Chambord, Angers, Pau et le palais du Rhin à Strasbourg. Par décret du 10 septembre 2021, cinq autres domaines ont été ajoutés : le Palais-Royal et le palais de la Cité à Paris, le château de Vincennes (Val-de-Marne), le château de Coucy (Aisne) et le château de Pierrefonds (Oise). Enfin, le décret du 17 juin 2022 a créé cinq nouveaux domaines nationaux : Meudon, le château de Malmaison et Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine, le château de Villers-Cotterêts dans l’Aisne et le château de Compiègne dans l’Oise.
Ces ensembles immobiliers bénéficient du plus haut niveau de protection en raison de leur lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation. Ils sont inaliénables, imprescriptibles et inconstructibles, sauf exceptions rares (tenant notamment aux besoins du public), et l’État peut exercer un droit de préemption en cas de cession de parcelles ne lui appartenant pas. Leur conservation et restauration doivent respecter leur caractère historique, artistique, paysager et écologique. L’utilisation de leur image à des fins commerciales nécessite l’autorisation de leurs gestionnaires. Enfin, les immeubles appartenant à l’État deviennent ipso facto classés au titre des monuments historiques, tandis que les autres bénéficient d’une inscription.

Contact Presse : Julien Lacaze, président de Sites & Monuments - 0624335841 - julien.lacaze@sitesetmonuments.org

Lire la décision du Conseil d’Etat du 3 mai 2024
Lire les conclusions du rapporteur public Romain Victor