Un parc éolien aux abords d’un site UNESCO
Depuis une quinzaine d’années, le grand paysage du Val de Loire (de Sully à Chalonnes-sur-Loire), inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité en 2000, régi par le Plan de Gestion du bien UNESCO de 2012, est régulièrement menacé par un ou plusieurs projets éoliens sur la commune d’Auzouer-en-Touraine et ses environs.
Ce projet serait implanté au nord-est de l’Indre-et-Loire, à 25 km de Tours et à 6 km au sud de Château-Renault, en plein cœur de la Gâtine tourangelle, remarquable par ses paysages, ses vallées étroites et ses plateaux agricoles ou boisés. Le dernier projet en date, présenté par la SAS ORATORIO, risque de compromettre l’intégrité du paysage par la dimension des quatre éoliennes, d’une hauteur totale de 142 m en bout de pale. Situées sur un plateau à 114 m d’altitude en bordure du Val-de-Loire UNESCO, les éoliennes domineraient le Val.
Les obligations internationales de la France : élaborer et respecter un plan de gestion
Rappelons, qu’en 2012, les 197 collectivités concernées par l’inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco sont parvenues, après de longues concertations, à la rédaction d’un "Plan de Gestion".
Il s’agit d’une charte adoptée par un arrêté du 15 novembre 2012 du préfet de la région Centre et par tous les partenaires, l’État étant garant de la pérennité de l’inscription devant l’UNESCO dans la mesure où celle-ci relève d’une convention internationale signée par la France.
En effet, l’article 4 de la convention de l’UNESCO sur le Patrimoine Mondial, adoptée le 16 novembre 1972 et acceptée par la France en juin 1975, prévoit que : "Chacun des États parties à la présente Convention reconnaît que l’obligation d’assurer l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel [inscrit au Patrimoine Mondial] situé sur son territoire, lui incombe en premier chef. Il s’efforce d’agir à cet effet [...] par son propre effort au maximum de ses ressources disponibles".
L’article L. 612-1 du code du patrimoine précise que : "Pour assurer la préservation de la valeur universelle exceptionnelle du bien [inscrit au Patrimoine Mondial], un plan de gestion comprenant les mesures de protection, de conservation et de mise en valeur à mettre en œuvre est élaboré conjointement par l’Etat et les collectivités territoriales concernées, pour le périmètre de ce bien et, le cas échéant, de sa zone tampon, puis arrêté par l’autorité administrative."
Le second alinéa de l’article indique même, de façon opérationnelle, que, "Lorsque l’autorité compétente en matière de schéma de cohérence territoriale ou de plan local d’urbanisme engage l’élaboration ou la révision d’un schéma de cohérence territoriale ou d’un plan local d’urbanisme, le représentant de l’Etat dans le département porte à sa connaissance les dispositions du plan de gestion du bien afin d’assurer la protection, la conservation et la mise en valeur du bien et la préservation de sa valeur exceptionnelle."
Le plan de gestion du bien UNESCO doit, par conséquent, être transposé, sous la responsabilité du préfet, dans les documents d’urbanisme concernés. Il devient ainsi opposable.
Dans le cas présent, le PLUi du Castelrenaudais du 16 février 2021 mentionne uniquement les recommandations du Schéma Régional Éolien (SRE) de 2012 pour l’aménagement des projets éoliens sur une zone favorable dénommée zone 10, correspondant aux Gâtines du sud du Loir incluant Auzouer-en-Touraine : "en particulier, elles [les éoliennes] ne devront pas altérer les caractères emblématiques du site ayant motivés son inscription au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO." Il serait par conséquent cohérent d’introduire le plan de gestion (l’Orientation n° 5) dans le PLUi car un certain nombre de communes de cette zone 10 sont situées à moins de 15 km du rebord du Val.
Pas d’éoliennes à moins de 15 km du rebord du Val de Loire
Des directives précises sont prescrites par le "Plan de Gestion" en matière d’éoliennes. Son orientation n°5, destinée aux "promoteurs éoliens, collectivités, et à l’État", enjoint ainsi de "ne pas implanter d’éoliennes visibles depuis le Val, et notamment pas à moins de 15 km du rebord du Val" (plan de gestion, p. 101)
Le plan de gestion affirme que, "Pratiquement, on peut considérer que l’implantation d’éoliennes est à proscrire à moins de 15 km du rebord du Val de Loire, sauf à ce qu’une étude détaillée garantisse que des obstacles naturels (mouvement de relief, configuration particulière, forêt, urbanisation …) empêchent toute vue depuis le Val et toute co-visibilité avec des monuments historiques ou des sites remarquables du périmètre" (plan de gestion, p. 101).
Cette orientation est également synthétisée dans un tableau dépourvu de toute ambiguïté (plan de gestion, p. 143) :
Ce principe n’est pas respecté à Auzouer. Il est même bafoué !
Quatre éoliennes prévues à 11 km du rebord du Val de Loire
Ainsi, quatre éoliennes hautes de 142 m (hauteur du mât 87 m, diamètre du rotor 110 m) seraient implantées au nord de la zone tampon à une distance de 11 km seulement du rebord nord du Val-de-Loire (à hauteur de Cangey) et à 14,8 km du château d’Amboise, sur l’autre rive de la Loire.
Ces distances sont notamment attestées par un rapport de la DREAL du 10 octobre 2023 fait à la CDNPS d’Indre-et-Loire, mesurant la distance des éoliennes au rebord du Val-de-Loire (p. 13, voir ci-dessus) ou par le rapport de l’enquête publique du 26 juin 2023, mesurant la distance du parc éolien au château d’Amboise (p. 17, voir ci-dessous), sur l’autre rive.
Ces mesures officielles montrent que la distance de 15 km préconisée par le Plan de Gestion n’a pas été respectée.
Les éoliennes, situées sur un plateau de 110-114 m d’altitude, "seraient de nature à provoquer une rupture d’échelle dommageable à la préservation de l’identité du site", comme le note le Plan de Gestion (p. 100), sans oublier les flashs émis régulièrement, qui compromettraient les spectacles nocturnes réalisés en été sur l’esplanade du château d’Amboise, scène justement tournée au nord vers le grand paysage.
La lecture du paysage se fait de façon linéaire et non dans la verticalité. La Mission Régionale d’Autorité Environnementale (MRAE) souligne ainsi que, "depuis le coteau sud de la Loire, le dégagement permis par le lit majeur de la Loire offre des vues souvent lointaines ; tout élément vertical est visible de loin et devient un point d’appel visuel prégnant." La MRAE relève en outre que "Le projet s’inscrit dans un paysage où aucun parc éolien n’existe actuellement et, qu’"En outre, aucun parc éolien n’a été autorisé dans un rayon de 20 km." (rapport de la MRAE, p. 6).
Sa conclusion est sans appel : "L’autorité environnementale recommande de suivre la proposition d’action du plan de gestion du site Unesco « Val de Loire entre Sully-sur-Loire et Chalonnes » proposant de « ne pas implanter d’éoliennes visibles depuis le Val, et notamment pas à moins de 15 km du rebord du Val »".
Des liens visuels avec le château d’Amboise et d’autres monuments du Val de Loire
Comme le précise le Plan de Gestion, "toute vue depuis le Val et toute co-visibilité avec des monuments historiques ou des sites remarquables du périmètre" doit être évitée (plan de gestion, p. 101).
Les courbes de dénivelés (voir ci-dessous) montrent que le château d’Amboise et la pagode de Chanteloup seront fortement impactés, tout comme le château de Chaumont.
Les éoliennes, hautes de 142 m en bout de pales, seraient en effet positionnées sur un plateau à 113-114 m d’altitude et distantes de 12,2 à 16 km du Val-de-Loire. Le lit de la Loire est, pour sa part, à environ 52 m de d’altitude en face d’Amboise.
– La co-visibilité est d’autant plus avérée au château d’Amboise qu’il se situe sur un promontoire à 83,59 m d’altitude. Les éoliennes, dépassant environ de la moitié de leur hauteur au-dessus des arbres du grand paysage nord, impacteront les « vues sortantes » prises de la cour et de la terrasse du château. De plus, on distinguera le rotor complet de l’éolienne E4 (éolienne dénommée A05 dans le photomontage de 2010), située dans la partie méridionale du projet.
– La pagode de Chanteloup étant située à 17,2 km d’Amboise, à une altitude de 109 m, les éoliennes seront visibles depuis l’environnement proche de la fabrique du duc de Choiseul. Notamment route de Bléré, en face au Lycée Agricole, donnant également à voir le château d’Amboise. Un tiers seulement de la hauteur des machines sera caché par les arbres du grand paysage.
– Le château de Chaumont, positionné sur un promontoire à 89 m d’altitude, à une distance de 17,4 km du projet, sera également impacté, comme le montrent des vues aériennes prises au droit des aérogénérateurs.
Ces études précises (photomontages, courbes de dénivelés, relevés et calculs), menées par l’ADEGT (Association de Défense de l’Environnement de la Gâtine Tourangelle), ont été vérifiées en 2010 au moyen d’un lâcher de trois montgolfières sur le site. Elles démontrent les atteintes flagrantes au paysage du Val-de-Loire que provoquerait le projet éolien d’Auzouer-en-Touraine.
Une nouvelle expertise demandée par le préfet
À l’issue de la dernière CDNPS, le préfet d’Indre-et-Loire a décidé d’organiser une nouvelle expertise avec des ballons sondes. En fonction des résultats qui seront connus au printemps, il devrait alors faire connaître sa position définitive, comme le précise La Nouvelle République du 2 novembre 2023.
En dépit des directives des services de la Préfecture, de l’avis défavorable émis non seulement par la DRAC, mais aussi par sept des communes de la communauté de communes lors de l’enquête publique (un seul avis positif), le projet est toujours d’actualité.
La MRAE a également formulé un avis défavorable, tout comme la Mission Val-de-Loire. Les propriétaires des monuments historiques concernés n’ont pas été avisés de ce projet et protestent fermement eux aussi. Il est également à craindre que l’implantation d’éoliennes au sein du Val ne constitue un précédent et fasse courir un risque de déclassement de la liste de l’UNESCO, faute d’avoir respecté les prescriptions de son plan de gestion.
Malgré l’ensemble de ces oppositions, le préfet semble maintenir sa volonté de développer les énergies éoliennes en Touraine, notamment sous la pression de la loi pour l’accélération de la production d’énergies renouvelables du 11 mars 2023, texte pourtant inférieur aux conventions internationales signées par la France dans la pyramide de normes.
Martine Bonnin, déléguée régionale de Sites & Monuments, Centre-Val-de-Loire et de l’Indre-et-Loire.
Sandra Eve, déléguée adjointe de Sites & Monuments pour l’Indre-et-Loire
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments