Démonté depuis 2013, le chalet Lang de Courchevel est aujourd’hui mis en vente aux enchères. Ayant défrayé la chronique, sujet d’articles dans la presse locale (Dauphiné Libéré du 12 mars), l’affaire pose la question de l’engagement des instances publiques, Etat et communes, dans la préservation du patrimoine du XXe siècle face à l’âpre réalité de la spéculation foncière.
Depuis 2010, en effet, le devenir de l’édifice inquiète (voir ici). Commandé par le jeune industriel Georges Lang en 1949, le chalet de 125 m2 est dessiné par l’architecte Denys Pradelle de l’Atelier d’Architecture à Courchevel dans le contexte de création de la nouvelle station de ski. Le terrain choisi est en pente, le long de la route. L’édifice réalisé en 1951 témoigne des premières expériences d’habitat en station et d’une implantation inédite, conçu de manière à la fois à protéger le terrain, à économiser les terrassements, et à offrir aux usagers vues et ensoleillement.
Le « chalet à pattes » forme un prototype qui se décline ensuite par exemple avec les chalets Le Toutounier ou Guichard. Il se décompose en deux parties, édifiées de manière différente, une structure porteuse en béton armé conçue en collaboration avec l’ingénieur Henri-Luigi Trezzini (socle maçonné d’un côté et portique de l’autre) sur laquelle repose une construction préfabriquée en bois et métal.
La pression foncière allant bon train depuis les années 1980 avec la modification du plan d’occupation des sols, une recension du patrimoine de la station est confiée en 1994 à l’École d’architecture de Grenoble. Elle est suivie d’une proposition d’inscription du chalet à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 2001, que le propriétaire Georges Lang refuse au motif de conserver la valeur du terrain... Il vend son bien à peine dix ans plus tard à la SCI Apopka, promoteur immobilier, pour une somme de 11 millions d’euros.
Ce dernier obtient en octobre 2010 un arrêté de permis de démolir pour construire à sa place un chalet-hôtel de luxe de 2200 m2. Une transaction somme toute banale si l’édifice n’était pas le témoin des premières heures de gloire architecturale et urbaine de Courchevel 1850 et, parmi les autres « chalets à pattes » construits, le seul resté dans son jus. Patrimoine exceptionnel donc.
Alerté, le Ministère de la Culture décide une instance de classement en janvier 2011, transformée en protection au titre des Monuments historiques un an plus tard (voir ici). Au vu de la situation, ce classement obéit à des conditions spécifiques : « […] les abords immédiats étant totalement bouleversés par rapport à la situation originelle de la construction, un déplacement serait à envisager pour transporter la construction dans son intégrité maximale. » (Commission nationale des Monuments historiques, 25 janvier 2012).
Le bras de fer est lancé entre la commune et les services de l’Etat, car si ce dernier demande un remontage immédiat « afin de préserver la logique constructive du chalet », le choix du foncier - public - pose problème, tant par ses nécessités topographiques que ses accès. Dans la notice du classement, il est fait mention du « site composé par le lac et l’hôtel Mercure et l’auditorium Gilles de La Rocque […], hors de toute circulation automobile, au contact direct d’une piste de ski, tel qu’il était au début de la station […]. Par cette implantation, le projet offrirait une valorisation culturelle évidente en lien avec la création d’un centre d’interprétation de la montagne transformée par les sports d’hiver et à proximité de ce centre d’animation dont la destination première repose sur la diffusion de la culture ».
Mais l’Etat, la commune et le promoteur conviennent d’une implantation hors de la station, en limite de l’altiport sur une parcelle qui demande une procédure de modification du plan d’urbanisme… Ce qui conduit de fait à l’impossibilité de remontage immédiat. En outre, placé à l’écart, ce terrain reste peu favorable à la valorisation attendue.
Démonté en 2013, sous la houlette de l’architecte Jacques Repiquet, le chalet devait en principe être reconstruit en 2015. Il est placé entre temps dans un entrepôt dont le loyer devait être assuré par le promoteur… En 2016, alors que le chalet Lang est toujours en pièces détachées faute d’approbation du nouveau PLU, le promoteur disparaît laissant filer une dette de frais de stockage de 37 000 euros. La justice a été saisie sur une plainte du propriétaire du hangar et une mise aux enchères est prévue le jeudi 29 mars à 10h à Tournon (voir ici).
Le chalet Lang fait manifestement les frais de l’absence de maître d’ouvrage pour lui assurer un projet de valorisation ambitieux, en même temps qu’il subit les conséquences des insuffisances de la commune et de la DRAC…
Bénédicte Chaljub, architecte, historienne
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PS (le 30 mars 2018) : les matériaux composant le châlet Lang ont été acquis par l’Etat pour 10 000 euros. Une opération nécessaire puisque sont inscription au titre des monuments historiques ne pouvait étendre ses effets aux matériaux le composant. Bravo aux services du ministère de la Culture ! Reste à trouver une solution de remontage...