Craponne-sur-Arzon : Le patrimoine touché en plein cœur !

Les dispositifs "Action Cœur de Ville" ou "Petites Villes de Demain", partant du constat exact d’une profonde détresse des territoires ruraux, ont réaffirmé l’importance du patrimoine pour le développement local. Les sites de l’ANAH et de Petites Villes de Demain mettent ainsi en avant l’exemple de Sisteron, qui privilégie les restaurations.
Pourtant, dans de nombreuses communes, ces programmes ont été dévoyés, ce qui n’a fait qu’aggraver le mal. Renouant avec la brutalité de l’urbanisme des années 60, cette politique consiste à détruire pour "revitaliser", oubliant les échecs cuisants dont les cicatrices sont toujours sensibles.
Pire, cette politique bafoue la prise de conscience récente, notamment de la part des architectes, de la nécessité écologique de remployer l’existant et de l’atout qu’est le patrimoine dans l’attractivité locale.
Depuis 2017, les centres villes de Foix, de Bourges, de Saint-Dizier, de Verdun, de Dunkerque, de Perpignan ou de bourgs comme Craponne-sur-Arzon ont ainsi été saccagés grâce à l’appui de ces politiques d’État.
La mémoire courte de nos technocrates, encourageant les pires travers locaux par des politiques financées par l’argent de tous, souvent dans une perspective électoraliste, laisse songeur.
JL

Le précédent article publié par Sites & Monuments « Craponne-sur-Arzon : un patrimoine diversifié et des destructions en série » explique en détail ce processus, constatant ainsi que « la mairie a lancé un programme de démolitions massives, qui ne respecte ni les normes nationales ou locales, ni les études sur le centre historique qu’elle a elle-même commandées ».

Pourtant, comme le note l’article, « devant le constat de la dégradation du centre-ville, de plus en plus délaissé par l’activité commerciale, plusieurs études [avaient] été commandées par la mairie ». Dans cette perspective, « dès 2004, le plan-guide du bureau d’études Pierron et Terrière a défini des principes d’actions pour la revitalisation à mettre en œuvre en associant les habitants du bourg : « Restaurer, planter et fleurir l’espace public, Conforter le patrimoine … » ». Et en 2016, la mairie a publié son Schéma de revitalisation, d’aménagement et de sauvegarde du centre bourg. Par ailleurs, Craponne fait partie du Programme « Petites Villes de Demain » - qui compte parmi ses cinq priorités : « prendre soin, respecter et valoriser le patrimoine, levier de développement pour les petites villes » et a un PADD (Projet d’aménagement et de développement durable) intégré au PLU en 2020. La municipalité a pourtant fait le choix de démolir, et ce depuis 2010, huit bâtiments datant des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Nous savons que les collectivités locales doivent faire face à des contraintes budgétaires et que la désertion des centres-bourgs est une préoccupation légitime mais cela ne peut justifier le choix de démolir des éléments patrimoniaux.
En effet, la réalité montre que la réhabilitation est plus rentable, aussi bien du point de vue économique qu’environnemental, comme le rappelle le journaliste et historien Olivier Darmon, auteur de « Ré:habiter » : « Réutiliser un bâtiment plutôt que le démolir pour reconstruire constitue le b.a. ba de la bonne pratique environnementale. Il y a eu pas mal d’études sur ce phénomène de démolition – reconstruction et elles montrent toutes que c’est une catastrophe, que ça a un coût environnemental considérable (…) Dans un premier temps, on laisse le bâtiment inoccupé, il s’abîme. Puis on dit que le bâtiment est obsolète et incompatible avec ce que l’on a envie de faire, que la transformation serait plus coûteuse qu’une construction neuve. Ça ne tient pas. Dans ce livre, j’ai choisi des bâtiments très dégradés, qui étaient promis à la démolition, mais qui ont été réhabilités. »

L’ingénieur Olivier Papin, expert auprès de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, écrit dans une étude de septembre 2023 : « le bilan carbone est très nettement en faveur de la réhabilitation. »

En utilisant l’insalubrité ou le péril comme justification et la revitalisation comme objectif, le bâti ancien de Craponne voit son avenir s’assombrir puisque de nouveaux édifices viennent de disparaître ou sont menacés à court terme notamment sur la place Neuve et sur la place aux Fruits.

La place Neuve

Située en plein centre de Craponne, cette place était bordée de deux édifices construits au XVIIIe siècle : la maison Pitavy et l’hôtel Gomot.
En 2016, la mairie a préempté la maison Pitavy dont un bâtiment annexe a fait l’objet d’un arrêté de péril en 2018. Trois ans plus tard, un projet d’habitat partagé pour personnes âgées – future Maison Bolène - était lancé, l’idée de départ étant de restaurer les édifices et de végétaliser la place.

Or, en 2022, l’association éponyme – qui doit gérer la résidence pour personnes âgées -, la mairie et le bailleur social Soliha annoncent une « démolition nécessaire » de la Maison Pitavy et de l’hôtel Gomot qui seraient « gangrenés par la mérule et les planchers effondrés ». Or, le problème de mérule a été traitée dans la maison Pitavy en 2018 et des parties d’enduits ont été enlevées dans l’hôtel Gomot, permettant de voir le gros œuvre et constater ainsi son bon état général. En janvier 2023, alors que la démolition avait déjà été annoncée, l’hôtel Gomot se voit flanqué d’un arrêté de « mise en sécurité et interdiction définitive d’habiter » en raison d’« éléments instables à purger », sans plus de précisions ni avis de l’ABF. Le 9 juin, les maisons sont présentées aux préfets et à des élus du département comme « une friche » derrière des barrières de sécurité… retirées le soir même.
Il est prévu de construire en lieu et place un bâtiment flambant neuf mais le projet se révèle surdimensionné, avec un empiètement de 104 m² sur la voie publique, nécessitant alors l’ouverture d’une enquête publique, qui aboutit … au déclassement d’une partie de la place Neuve.

Les destructions Place Neuve

Rappelons que l’hôtel Gomot, détruit en juin-juillet 2024, était un édifice remarquable, emblématique de la bourgeoisie commerçante avec ses façades XVIIIe, ses portes et fenêtres Louis XV et Art Déco. Manifestement, la défense du patrimoine n’est pas une priorité à Craponne-sur-Arzon. Preuve en est la publication du permis de démolir ces deux bâtiments, le 3 janvier 2024, agrémentée d’un surprenant avis favorable de l’ABF dont le regret à peine voilé nous interpelle : « le bâti ancien étant une ressource décarbonée, sa conservation et son réemploi, même partiel, auraient pu être envisagés, au-delà de son intérêt culturel matériel et immatériel ». Dans la foulée, un recours et un référé sont déposés par Sites & Monuments et la Société d’archéologie, d’histoire et de géologie de la région de Craponne (SAHG) avec pour arguments : des erreurs factuelles dans le dossier, l’atteinte aux abords de deux monuments historiques, au patrimoine bâti et au paysage urbain.

En février 2024, statuant sur le référé, le tribunal administratif parle, à juste titre, de « deux visions opposées du centre ancien » puis rejette le recours contre l’arrêté de mise en sécurité (sur la question formelle de l’intérêt à agir, et malgré l’interdiction définitive d’habiter) ainsi que le référé contre le permis de démolir. Si sur le fond le recours n’est pas épuisé, les travaux peuvent commencer. Hélas.

La mairie a fait sciemment le choix de détruire ces édifices qui font partie du patrimoine local et elle a reçu, de façon inespérée, l’appui d’articles de presse qui, pour certains, se sont contentés de relayer l’inquiétude de potentiels locataires de la maison Bolène, fustigeant au passage les recours qui ne feraient que retarder la construction de leur future habitation. Ce n’est pas tant la partialité d’une prise de position qui est troublante que l’oubli voire la méconnaissance de l’importance de la préservation du patrimoine. Il est triste de devoir expliquer l’évidence. Mais faisons-le. Nous n’avons pas un cœur de pierre … On peut défendre le patrimoine tout en étant très sensible à l’impatience de ces personnes âgées d’intégrer leur nouvelle résidence dans les meilleurs délais. C’est même la décision de démolir qui a fait perdre plusieurs années. Il ne s’agit pas de faire un choix entre l’humain et la pierre car la pierre est le reflet de notre histoire, donc de notre humanité. Et c’est aussi leur histoire.
Réhabiliter ces deux bâtiments pour en faire le lieu d’habitation de la future Maison Bolène aurait été un compromis fort judicieux permettant de faire d’une pierre deux coups et même de gagner du temps et de l’argent pour ce projet…
C’est ainsi que la majorité des résidences seniors se sont appuyées sur la restauration du patrimoine existant.

La place aux Fruits

Vue depuis le sud de la place aux Fruits, au cœur du centre historique, (lieu du passage de Mandrin en 1754)

Si des éléments patrimoniaux de la place Neuve viennent de disparaître, des édifices de la place aux Fruits, située au cœur du centre historique de Craponne, sont également en danger. En effet, comme le montre la photo ci-dessus, jouxtant l’hôtel Calemard de Montjoly inscrit ISMH, un îlot à pans de bois est menacé, ainsi que l’hôtel Aurier d’Ollias.

L’îlot de la place aux Fruits, vu depuis l’Ouest

En juin 2023, toujours avec l’argument de redonner vie au quartier, le maire a présenté cet îlot aux préfets : il serait prévu de ne conserver que la maison échoppe, datant du XVe siècle, et les deux édifices attenants qui permettraient de maintenir l’échoppe menaçant de s’effondrer sur un des côtés. En revanche, il est envisagé de démolir les maisons à pans de bois. Autant dire que leur destruction serait une perte inestimable pour le patrimoine de cette ville. Malgré cela, l’édile a poursuivi sur sa lancée puisqu’en décembre de la même année, il a sollicité l’État en vue d’une subvention afin d’engager des travaux de démolition de l’îlot central en s’appuyant sur la « requalification d’îlot ». Autant dire qu’on est en contradiction totale avec le Guide de la reconquête des îlots anciens et dégradés, diffusé en 2020 par le ministère de la Cohésion des Territoires. Et notre inquiétude se porte également sur l’hôtel Aurier d’Ollias, propriété de la commune, dont une partie des tuiles et des fenêtres a été étrangement enlevée, ce qui n’est pas de bon augure.

L’hôtel Vinols d’Ineyres

Situé rue de Sainte-Marie, l’hôtel Vinols d’Ineyres est inscrit au titre des Monuments historiques (ISMH). En particulier, le salon du premier étage conserve un précieux décor de boiseries et de papiers peints.
Construit au XVIIe siècle, cet édifice est dans un état inquiétant car non entretenu par son propriétaire qui vit à l’étranger. La mairie est intervenue en supprimant un débord du toit, situé sur la gauche du bâtiment, afin d’éviter que des tuiles ne tombent. Hélas, le haut du mur étant fragilisé par cette opération, des chutes de pierre se sont produites fin 2022. La municipalité a alors entrepris des travaux pour rétablir un débord, plus étroit que le précédent. Il n’en fallait pas moins pour que la mairie utilise cette absence d’entretien de l’édifice pour affirmer que le centre ancien de Craponne est parsemé de « verrues et de toits qui s’effondrent ».

L’hôtel Vinols d’Ineyres (XVIe - XVIIe siècles) qui compte de remarquables décors intérieurs

Le patrimoine bâti ancien de Craponne est donc touché en plein cœur. Nous le constatons, le déplorons et nous en attristons.
Comme l’écrivait si bien Ernest Renan, « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ».
L’empreinte architecturale est un legs inscrit dans l’âme d’une nation. Il n’est donc nul besoin d’aller chercher dans la défense du patrimoine une volonté de nuire. C’est précisément l’inverse. Il nous parait évident que ne pas se soucier de sa préservation serait nuire à notre devoir de transmission aux générations futures.

Isabelle Richir, pour Sites & Monuments
Société d’histoire de la région de Craponne-sur-Arzon (SAHG)

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