En procédant à la rénovation du Barrage du Pas Du Riot, ce n’est pas seulement un authentique monument que l’on a dénaturé, mais un ensemble paysager remarquable du XIXe siècle. Sa sauvegarde et sa valorisation auraient pourtant été dans l’intérêt même de Saint-Etienne ! Un capital historique et touristique a malheureusement été dilapidé.
Le barrage se situe dans la haute vallée du Furan, rivière passant à Saint-Etienne pour se jeter ensuite dans la Loire. Ce cours d’eau torrentueux a fait la fortune de l’agglomération : les armes faisant la réputation de la ville y étaient trempées. Comme le Furan pouvait être à l’origine d’inondations dévastatrices, il fut décidé au XIXe siècle de construire sur son cours deux barrages, celui du gouffre d’Enfer, en aval, sur les premiers contreforts du massif du Pilat (début des travaux en 1861) et celui du Pas Du Riot, en amont (achèvement des travaux en 1877). Le premier a fonction de réservoir, le second également de barrage écrêteur de crues.
Ces deux barrages s’insèrent dans une vallée fort pittoresque s’étendant sur une douzaine de kilomêtres. Tortueuse et bordée de pentes boisées ou de falaises rocheuses, elle remonte jusqu’aux confins du plateau de la République où le Furan trouve un bassin d’alimentation constituée par les importantes forêts domaniales de la ville de Saint-Etienne et de vastes étendues de prairies. Ces deux ouvrages, outre leur fonction, peuvent être qualifiés au sens propre d’ouvrages d’art.
D’abord parce qu’y fut expérimentée une technique d’endiguement d’une grande beauté formelle car fondée sur un mur courbe d’une hauteur impressionnante (56 mètres pour le Gouffre d’Enfer et 34,5 mètres pour le Pas Du Riot) et d’une grande étroitesse. Le résultat se présente (se présentait comme on le verra pour le Pas Du Riot) comme deux immenses paraboles d’une grande élégance, visitées, célébrées et imitées par un grand nombre d’ingénieurs étrangers.
Ceux qui œuvrèrent à ces réalisations ne manquèrent pas, aussi, de réfléchir à la qualité de l’environnement de ces constructions. Dotés d’un talent d’aménageur et de paysagistes, ils organisèrent tout un réseau piétonnier permettant à la population stéphanoise de visiter ces lieux d’accès facilité, puisqu’à 5 km de la plus proche ligne de tramway de la ville. Le paysage créé est ainsi irrigué, sur une vingtaine de kilomètres, de sentiers en fond de vallée ou en balcon permettant d’avoir de magnifiques points de vue sur les barrages, de belles perspectives sur les plans d’eau, les sites d’escalade et la vallée.
En toile de fond, se trouvent le village de Planfoy et celui de Rochetaillée, avec son château médiéval. Des escaliers ou des parcours en zig zag facilitent les changements de niveau pour les piétons à la hauteur des digues. Il s’agit assurément un chef d’œuvre du XIXe siècle en termes d’aménagement et d’agrément. Le site est ainsi très apprécié par les randonneurs qui viennent facilement de la ville par le fond de vallée et peuvent remonter jusqu’aux villages de Tarentaise ou du Bessat, proches des crêts du Pilat. Une ultime précision : cette vallée fait partie du Parc Naturel du Pilat !
Saint-Etienne Métropole a lancé à partir de 2017 de gros travaux de BTP sur le site du barrage amont. Ils ont porté sur tout le site, non seulement sur la digue, mais aussi ses abords. On a compris très tard que l’objectif n’était pas que de rejointoyer les murs internes et externes du barrage... Il s’agissait, en réalité, d’accroître la capacité de stockage du barrage par surcreusement et par élévation du niveau du plan d’eau avec, à la clef, un réaménagement total du site.
Premier scandale, la voute appareillée du barrage du Pas Du Riot a été recouverte et écrasée par un remblai de milliers de tonnes de roches concassées. Il n’est plus possible de contempler son admirable parabole en pierres appareillées côté aval. Son architecture est désormais occultée par un tas informe détruisant totalement la qualité du site. Second scandale, les escaliers d’accès en zig zag depuis le fond de combe jusqu’au sommet de l’ouvrage ont été détruits pour créer un nouveau déversoir beaucoup plus imposant. Celui-ci est parfaitement hideux puisqu’en béton blanchâtre, alors que l’ancien était en pierres appareillées, récemment restaurées, en harmonie avec le barrage lui-même. Il est, en outre, parfaitement surdimensionné, puisqu’on a voulu multiplier par sept sa capacité d’évacuation, confondant les environs de Saint-Etienne avec… les milieux très particuliers générant les épisodes gardois ou cévenols.
Détail significatif, nous avons retrouvé démontée et abandonnée la plaque apposée lors de l’inauguration du barrage en 1877. Le sort de cet objet historique, hommage à l’intelligence de l’équipe des concepteurs de ce chef d’œuvre technique et paysager (Lagrange, Jollois, Lefort, Duplay), est révélateur.
Le traitement réservé au site et à cette inscription nous confortent dans l’idée que le vandalisme a encore de beaux jours devant lui, particulièrement de la part des ingénieurs et des administrations œuvrant sur le territoire de Saint-Etienne. Leur incapacité à prendre en compte les répercutions esthétiques, patrimoniales et environnementales d’un travail réduit à sa dimension technique, utilitariste et « low cost », nous désole.
Au-delà des discours incantatoires, nous sommes ici à mille lieues de l’éco-citoyenneté. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le pire est surtout à craindre lorsque la rénovation du barrage du Gouffre d’Enfer sera d’actualité, le classement du site, demandé depuis des lustres, n’ayant jamais pu aboutir...
Jean-Claude Monneret, délégué de Sites & Monuments pour la Loire
Note : on se reportera avec intérêt à l’ouvrage « Eaux fortes, pour un barrage. Le barrage du Gouffre d’Enfer à Saint-Etienne » d’Elodie Ravel et de Noëllie Ortega aux éditions Edelgé.