Un projet de repowering ou de renouvellement des quatre aérogénérateurs de 120 mètres de haut du parc éolien Rochereau 1, exploité par la société Sergies, en fonctionnement depuis mars 2008, a été autorisé par un arrêté du préfet de la Vienne du 6 juin 2023.
Le nouveau projet ne sera pas construit en lieu et place mais à distance de l’ancien site et sera composé de quatre machines de 230 mètres de haut d’une puissance unitaire de 4,2 MW. Le démantèlement du site Rochereau 1 reste opaque.
C’est le premier site en renouvellement dans le département. D’autres déjà se profilent, les dix-huit aérogénérateurs de Saint-Pierre-de-Maillé, les cinq de Oyré Saint-Sauveur, aucun projet n’arrivant à la fin des 25 ans d’exploitation annoncés.
L’enjeu du recours en annulation de l’arrêté préfectoral d’autorisation du 6 juin 2023 est de porter, sinon un coup d’arrêt, un frein à ces renouvellements qui vont se déployer en cascade dans tout le département et ainsi porter une atteinte grandissante au patrimoine historique et aux paysages à des kilomètres à la ronde.
1. ÉOLIEN EN VIENNE et CONTEXTE ÉNERGÉTIQUE
Le département de la Vienne, avec 146 mâts en activité de 364 MW installés et 38 projets autorisés de 636 MW, verra son territoire envahi de 335 mâts sans compter les 21 projets de 109 éoliennes qui ont été refusés mais contestés par les développeurs et les nombreux projets à l’étude ou en instruction [1].
Les quatre départements du Poitou-Charentes ont atteint déjà les objectifs 2050 du SRADDET de Nouvelle-Aquitaine qui recommande la diversification des installations d’ENR et un rééquilibrage infrarégional.
Au niveau de la production énergétique décarbonée, le département est pilote, la dernière centrale nucléaire construite en France se trouve à Civaux, dans la Vienne, avec deux réacteurs d’un total de 2900 MW installés.
2. NON RESPECT DES RECOMMANDATIONS GOUVERNEMENTALES
Le projet de la SERGIES ne respecte pas les recommandations de l’Instruction du Gouvernement du 11 juillet 2018 relative à l’appréciation des projets de renouvellement des parcs éoliens terrestres :
« Ainsi, une analyse paysagère et patrimoniale comparative sera produite, incluant des photomontages entre le parc existant et le projet renouvelé. Une attention particulière sera portée :
[…]
- À la prise en compte des autres parcs existants et approuvés au sens de l’article R. 122-5-II 5° du code de l’environnement, notamment vis-à-vis de la densité de parcs, et de l’homogénéité avec les autres parcs (hauteur, configuration, date de mise en service, renouvellement en projet, etc.).
- À la modification des rapports d’échelles entre les structures paysagères et les éoliennes et à l’augmentation des secteurs d’impacts visuels qui seront cartographiés. »
Il est certain tout d’abord que faire coexister (Rochereau II et Rochereau III ) quatre éoliennes de 120 mètres avec quatre éoliennes de 230 mètres entraîne un défaut d’homogénéité, d’harmonie d’échelle, manifeste entre ces deux parcs voisins.
La différence d’altitude (110 mètres) et de taille du rotor (150 mètres au lieu de 90 mètres) entraîne une forte dysharmonie (à supposer que l’on puisse parler d’harmonie pour de tels sites industriels !), que personne ne saurait contester et à laquelle il n’existe aucun remède.
De même, vis à vis du paysage, l’introduction d’éléments gigantesques de 230 mètres de haut dans une plaine, introduit une forte rupture d’échelle que rien ne saurait masquer.
Le Résumé Non Technique (RNT) de l’étude d’impact reconnaît d’ailleurs en page 41 que les impacts de l’exploitation du projet éolien présentent une sensibilité modérée à forte pour le paysage immédiat : « Bonne lisibilité du projet mais un certain manque de cohérence depuis certaines vues (perspective forcée liée à la différence de hauteur avec les éoliennes existantes). Éoliennes qui paraissent parfois imposantes par contraste avec les motifs paysagers proches. »
3. CONSÉQUENCES DU PROJET
a) Une augmentation de l’impact sur le patrimoine architectural et les paysages.
Le projet éolien se situe dans l’unité paysagère des plaines de Neuville, Moncontour et Thouars, qui correspond à l’ensemble paysager des plaines de champs ouverts. La plaine de Neuville est un openfield au relief peu marqué, coupé par les affluents du Clain et habillé ponctuellement par les vignobles du Haut-Poitou. Avec ses axes routiers rectilignes et son relief peu marqué, les vues y sont dégagées, et les éoliennes déjà présentes ponctuent la ligne d’horizon.
L’étude d’impact page 328 précise que « sur les 17 monuments historiques de l’aire d’étude rapprochée, dix sont concernés par une relation visuelle avec le projet éolien (visibilité depuis l’élément ou covisibilité). Les autres ne seront pas impactés visuellement ».
Les éoliennes sont éloignées de plus de 800 mètres des bourgs et hameaux. Trois sites touristiques sont en relation visuelle avec le projet : deux monuments historiques classés (dolmen de la Bie à Champigny-en- Rochereau et le dolmen de la Pierre Levée de Massigny à Villiers) et le château de Villiers. Un circuit de randonnée Les moulins à vent circule dans la ZIP.
Deux parcs en fonctionnement, parcs de Rochereau I et II, sont présents dans la ZIP et forment deux lignes de quatre éoliennes chacune, orientées parallèlement, avec des interdistances régulières et une hauteur de machine similaire.
Dans le périmètre immédiat du projet, le site éolien du Rochereau II (quatre éoliennes de 120 m de haut) est en fonctionnement et un site en projet est porté par la société JPEE à Frozes (deux éoliennes de 192,50 m).
Le commissaire enquêteur dans son avis favorable du 4 janvier 2022 reconnaît que « Le projet de remplacement ou repowering des éoliennes « Rochereau 1 » par les éoliennes « Rochereau III » aura un impact évident sur le paysage ».
La DREAL Nouvelle-Aquitaine dans son avis du 24 mai 2023 relève les impacts sur le patrimoine et les paysages :
- Perception importante du projet depuis le sentier d’Oc et d’Oïl qui traverse le parc en plusieurs endroits (risque fort) ;
- Covisibilités avec six hameaux proches (entre 500 m et 1 km) (risque modéré) ;
- Covisibilités depuis les ruines du château de Saint-Germain de Confolens inscrites monument historique (risque modéré) ;
- Covisibilités depuis le château de Serres inscrit monument historique (risque fort) ;
- Visibilités ponctuelles depuis les hauts-versants de la vallée de l’Issoire (risque modéré) ;
- Visibilité depuis 15 hameaux dont un impact fort depuis le hameau « Chez Mairat » (risque modéré à fort).
Et en même temps, elle conclut son avis en affirmant que « pour répondre à l’injonction d’accélérer l’instruction des dossiers éoliens, et considérant que l’article R. 181-39 du code de l’environnement rend facultatif la consultation de la CDNPS, il est proposé de ne pas recueillir son avis sur ce projet d’arrêté préfectoral, qui pourra être proposé à la signature après avoir sollicité formellement les ultimes observations du pétitionnaire ».
La jurisprudence reconnaît le paysage ordinaire qui serait sans intérêt significatif (CAA NANTES n° 19NT03272 du 17 juillet 2020).
Le Conseil d’Etat protège l’environnement des dolmens même si les sites sont peu fréquentés (CE n° 451324 du 19 juillet 2022).
Les photomontages pour justifier de l’impact paysager sont trompeurs.
Le rapport d’échelles (1,91) n’est jamais respecté pour le projet Rochereau II situé en arrière-plan des éoliennes de Rochereau III (donc à une distance de plusieurs centaines de mètres). Il est bien inférieur à 1,91 (alors qu’il devrait être supérieur étant données la distance et la localisation sur un plateau d’altitudes identiques), et même (il fallait oser !!) un rapport d’échelle identique. Sur le photomontage n° 29, par exemple, réalisé dans l’aire d’étude immédiate, les éoliennes des deux parcs semblent de la même hauteur :
Un contributeur à l’enquête publique, M. Benoit VERON, dont les travaux de photomontages ont été reconnus par la Cour administrative d’appel de Bordeaux a donné le document suivant pour des éoliennes de même hauteur (230 mètres) pour l’aire d’étude éloignée :
Une analyse du photomontage n° 12 a été réalisée par M. Michel GIRARD dans un document en annexe. Les vues ont été réalisées à partir du Dolmen de Fontenaille à Champigny-en-Rochereau classé au titre des Monuments Historiques, dans l’aire d’étude rapprochée.
Tous ces éléments montrent que les photomontages sont biaisés et ne reflètent pas la réalité paysagère.
b) Une protection du patrimoine naturel très contestée.
En préambule, l’étude naturaliste a été réalisée par le bureau CALIDRIS, très contesté, qui a lui-même effectué les derniers suivis environnementaux du site du Rochereau I et II.
Par ailleurs, la CAA de Bordeaux, dans l’arrêt n° 21BX00426 du 22 décembre 2022, considère, dans l’instance en question, que l’étude CALIDRIS concernant l’Outarde canepetière n’a été validée ni par un tiers ni par la communauté scientifique et n’apparaît pas suffisante pour apprécier l’impact du projet en question sur l’Outarde canepetière.
- L’avis de la MRAe du 1er juillet 2021 :
« Le projet éolien, situé entre Poitiers et Parthenay, est au cœur du Pays de Lusignan et de Vouillé et du Mirebalais, où se trouvent de nombreux zonages réglementaires et d’inventaires écologiques. La zone d’implantation potentielle (ZIP) comprend le site Natura 2000 Plaines du Mirebalais et du Neuvillois et trois zonages d’inventaires écologiques, ciblés sur l’avifaune des plaines, notamment l’Outarde canepetière. Trois sites Natura 2000 et une quarantaine de Zones Naturelles d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique (ZNIEFF) sont également présents dans un rayon de 20 km.
Les milieux naturels présents au sein de la zone d’étude et aux alentours sont diversifiés, permettant le développement d’une flore et d’une faune riche. Ainsi, il peut être observé dans un périmètre de 20 km autour du site :
- Une avifaune liée aux paysages agricoles, la ZIP prenant place au sein du paysage de plaines agricoles de la Vienne. L’Outarde canepetière, l’Œdicnème criard, le Bruant ortolan, le Busard cendré, le Busard Saint-Martin, le Faucon émerillon, le Pluvier doré et le Vanneau huppé utilisent le vaste système de plaines cultivées comme site de reproduction ou d’hivernage ;
- Des coteaux calcaires, des pelouses sèches, accueillant une diversité floristique importante, notamment d’espèces en limite de répartition permettant le développement d’une faune riche, liée aux milieux calcaires ;
- Des chênaies sessiflores, chênaies-charmaies ou bien chênaies pédonculées oligotrophes, en bon état de conservation et permettant la nidification d’oiseaux tels que le Milan noir, l’Autour des palombes ou encore le Rougequeue à front blanc.
La ZIP est en partie incluse dans la sous-trame Plaines ouvertes du Schéma de cohérence écologique de l’ancienne région Poitou-Charente qui comprend notamment les Plaines de Neuville, Moncontour et Thenzais. »
« La MRAe souligne par ailleurs les erreurs méthodologiques entachant les protocoles de suivi, qui viennent fragiliser la définition des mesures d’évitement et de réduction proposées (modification de la méthode de suivi d’une année sur l’autre, périodes non favorables pour les chauves-souris et certaines espèces migratices comme l’Outarde canepetière). »
« La zone d’implantation potentielle comprend le site Natura 2000 Plaines du Mirebalais et du Neuvillois et trois zonages d’inventaire, ciblés sur l’avifaune des plaines, notamment l’Outarde canepetière. À cet égard, le Document d’objectif (DOCOB) de la ZPS des Plaines du Mirebalais-Neuvillois, validé par le comité de pilotage du 26 mai 2011, prévoit l’extension du site Natura 2000. Dès lors, la MRAe recommande de justifier le projet par la présentation de la démarche de sélection du site d’étude, et en particulier des sites alternatifs présentant de moindres enjeux en matière de biodiversité.
En l’état du dossier présenté, la MRAe considère que la justification de la localisation du projet n’est pas satisfaisante. »
- Contribution de la LPO à l’enquête publique (novembre 2021).
« La LPO Poitou-Charentes exprime fermement son opposition au projet d’installation et d’exploitation d’un parc éolien « Rochereau III » et demande son rejet dans l’état actuel des études et des connaissances. Nous considérons que ce dossier d’impact fait apparaître :
- Un projet où les réalités du terrain en matière de biodiversité sont ignorées ou sous-estimées ;
- Un projet qui ne respecte pas les données et contraintes environnementales et/ou administratives ;
- Un projet où la cohérence entre les différentes politiques (développement durable, biodiversité...) est absente ;
- Un projet qui met réellement (et à nos portes !) en péril une espèce qui fait l’objet de toutes les attentions dans la Vienne, en Poitou-Charentes, en France et en Europe – la sauvegarde de la biodiversité commence bien
chez nous et non à l’autre bout du monde ; - Un projet, enfin, où doit s’appliquer plus que jamais un principe de précaution il y a quelque temps appelé de tous et maintenant devenu « constitutionnel ». »
- Projet d’arrêté préfectoral de refus 2022
« Le projet est situé à 180 m de la ZPS des Plaines du Mirebalais et du Neuvillois et en ZNIEFF de type 2
« Plaines du Mirebalais et du Neuvillois », zone de plaine retenue comme site majeur et principale zone de survivance de l’Outarde canepetière du département de la Vienne. »
- Avis de la DREAL Nouvelle Aquitaine du 24 mai 2023.
« Le parc est implanté à 180 m du zonage réglementaire de type ZPS des Plaines du Mirebalais et du Neuvillois et en ZNIEFF de type 2 « Plaines du Mirebalais et du Neuvillois ». Le principal enjeu est l’effet repoussoir sur l’avifaune de plaine, notamment l’Outarde canepetière faisant l’objet d’un Plan National d’Action visant à sa protection. Par ailleurs, le document d’objectif (DOCOB) de la ZPS des Plaines du Mirebalais – Neuvillois, validé en comité de pilotage le 26 mai 2011, prévoit l’extension du site Natura 2000. »
Considérant les éléments sus-nommés, la Fédération Vienne Environnement Durable (FVED) sollicite une convention d’adossement à la SPPEF étant donné l’enjeu majeur d’un premier repowering dans le département de la Vienne, déjà très sinistré par la grande densité d’implantation d’aérogénérateurs, sur lequel va s’abattre une avalanche de renouvellement des sites, avec des machines aujourd’hui de 230 mètres de haut, pour remplacer celles de 120 à 150 mètres de haut, sans modification des distances aux habitations et sans tenir compte des impacts beaucoup plus lourds sur le patrimoine bâti, les paysages et la biodiversité.
Hubert Moreau, Secrétaire de la FVED (Fédération Vienne Environnement Durable)
Voir ci-dessous :
L’instruction gouvernementale en date du 11 juillet 2018
L’avis de la MRAe en date du 1er juillet 2021
Les conclusions du Commissaire enquêteur en date du 4 janvier 2022
Le rapport de l’inspection de la DREAL en date du 24 mai 2023
L’arrêté d’autorisation d’exploitation de la préfecture de la Vienne en date du 6 juin 2023