Depuis 2003, 10 ans déjà, l’association Luberon Nature, adhérente de la SPPEF, est mobilisée pour sauver ce qui peut l’être du plateau des Roques (Illustration 1) et plus généralement du site inscrit du Plan de Gordes dans lequel se situe l’Oppidum des Roques et ses vestiges archéologiques. Ses efforts sont plus ou moins couronnés de succès et le renforcement de la protection avance lentement. Cependant, une inspection récente confirme les erreurs commises dans la politique d’urbanisme de la commune, et amène à s’interroger sur la pérennité de son statut de "Plus Beau Village de France".
L’attention de l’association avait été attirée, à l’origine, par l’extension d’une carrière et la multiplication de constructions sauvages d’un rare mauvais goût. L’article L 341-1 du Code de l’Environnement précise pourtant que "l’inscription entraine, […] l’obligation pour les intéressés de ne pas procéder à des travaux autres que ceux d’exploitation courante en ce qui concerne les fonds ruraux, et d’entretien normal en ce qui concerne les constructions, sans avoir avisé, 4 mois d’avance, l’administration de leur intention". L’article L 341-19 précise que toute infraction à cette obligation est passible d’une amende de 9000 €. Rappelons également que toute construction doit être autorisée par un permis de construire.
L’inscription du Plan de Gordes a été prononcée le 27 juillet 1976, sur un rapport de l’Architecte des Bâtiments de France soulignant que "la beauté du site tient dans la diversité et l’humanisation de ce paysage d’openfield. Elle procède cependant d’un équilibre assez précaire : le paysage serait évidemment sans caractère s’il était livré aux pressions immobilières qui se manifestent dans cette partie de la Provence... La renommée de Gordes compromet l’existence même du site par l’attraction qu’il exerce en créant une incitation à densifier et à essaimer la plaine de résidences secondaires." Depuis cette époque, la municipalité de Gordes n’a fait que favoriser tout ce qui était dénoncé dans ce texte.
Luberon Nature a réussi à faire arrêter la carrière qui détruisait les vestiges archéologiques, mais pas les propriétaires qui démontaient les constructions de pierre sèche, en particulier une très belle et très grande borie, pour revendre les matériaux (Illustration 2). La justice les a innocentés. L’association a découvert que la gendarmerie avait dressé, depuis 2001, une vingtaine de procès verbaux. Ceux ci, ayant été transmis au Procureur de la République, n’ont apparemment pas été suivis d’effet, sauf un qui a conduit à la condamnation par défaut d’un propriétaire, mais la sentence ne lui a jamais été notifiée. L’un de ces procès verbaux, n° 274/01 BT Gordes, du 10 juin 2003, mentionnait, entre autre, "qu’il est de notoriété publique et de coutume de réaliser des constructions immobilières au mépris de toute autorisation administrative à Gordes, lieu dit Chabert. Bon nombre de nouveaux résidents s’entendent dire qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent et qu’ils ne risquent strictement aucune sanction. Ces agissements perdurent depuis au moins 15 ans". Ce procès verbal, comme les autres, semble avoir été classé sans suite. Il nous amène tout de même à nous interroger sur les raisons d’une telle immunité.
A force de démarches, nous avons pu motiver les deux administrations les plus intéressées, le SDAP (devenu depuis le STAP, Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine) et la DIREN (devenue depuis une partie constitutive de la DREAL, Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement). Ces deux administrations s’activent depuis 2005 pour essayer de faire classer les parties les plus intéressantes du site, dans la mesure où elles n’ont pas été trop dégradées. Après de multiples retards, le site a été inspecté le 1er juillet 2010, en présence du STAP et de la DREAL (et de Luberon Nature pour l’Oppidum des Roques), par M. Michel Brodovitch, Inspecteur Général de l’Administration du Développement Durable, pour juger de l’opportunité des classements envisagés, et plus généralement définir l’avenir de l’ensemble du site inscrit.
Nous avons pu récemment prendre connaissance de son rapport, qui est très critique vis à vis de la politique de construction de la commune de Gordes. On y relève par exemple, les remarques suivantes :
" - Dans ces paysages dont le caractère exceptionnel, reconnu aujourd’hui au plan international, provient d’une combinaison subtile entre le paysage de garrigues, les terrasses et la plaine cultivée, l’habitat dispersé des fermes et les villages perchés, la recherche d’un équilibre de gestion n’est pas chose facile dans un contexte où les modes de vie ont profondément évolué depuis la dernière guerre.
- Le recours aux parements de pierre est systématiquement demandé dans les zones de murs en pierres sèches, dans des espaces où le zonage inconstructible aurait vraisemblablement constitué souvent la mesure appropriée.
– L’attention portée sur l’apparence des murs conduit souvent à laisser réaliser des architectures médiocres, mais avec l’apparence du respect de la construction traditionnelle pour un œil non averti.
– Dans le temps cette politique a conduit à un mitage progressif (Illustration 3) des versants aux abords du village, autrefois seule émergence construite agglomérée dans le paysage.
– Toutes les dérives issues de la transformation de ce territoire rural en zone à vocation touristique sont présentes à Gordes et dans ses environs.
– Dans un paysage dont l’intérêt majeur réside dans le rapport entre les unités paysagères des versants, le paysage de plaine, et les villages perchés, abandonner l’une de ces composantes n’équivaut-il pas à abandonner l’ensemble ?"
Le rapport conclut finalement à l’intérêt de classer certaines parties du site pour leur conférer une protection plus solide, tout en conservant pour le reste la protection minimale qu’apporte l’inscription, si celle-ci survit au récent projet de loi recommandant la suppression de ce statut et la désinscription des sites les plus dégradés… L’Oppidum des Roques ferait sans doute partie des secteurs classés, ce qui est absolument nécessaire.
Pendant ce temps, Gordes s’active à multiplier permis de construire et constructions dans le site, de préférence dans les lieux les plus intéressants, tel le bas des Gorges de la Véroncle où nous venons de détecter un permis délivré le 2 juillet 2012, pour la construction d’une grande maison, qui constitue apparemment le début de l’aménagement d’un lotissement de neuf lots autorisés par un permis d’aménager du 7 décembre 2011. Nous avions à l’époque demandé au Préfet de déférer ce permis d’aménager au Tribunal Administratif en vue de son annulation. Le Préfet n’avait pas alors donné suite. Par contre, il a déféré le permis de construire du 2 juillet 2012, et nous nous sommes joints à son action par une intervention volontaire auprès du Tribunal. Nous souhaitons par là contribuer à arrêter la poursuite du mitage (Illustration 3) dénoncé dans le rapport de M. Brodovitch et que la commune de Gordes met en œuvre systématiquement depuis au moins les années 1960-1970.
Cette politique est possible parce que le Plan d’Occupation des Sols (POS) de Gordes, qui date de 1986, est particulièrement laxiste, sauf sur le point controversé, et dénoncé par M. Brodovitch, des parements en pierre apparente qui dissimulant des bâtiments modernes conduit à un résultat parfaitement grotesque. Ce POS prévoit d’urbaniser sur l’ensemble de la commune, à plus ou moins long terme, 600 hectares, en bonne partie sur le site inscrit, en bonne partie en zone d’aléa incendie de forêt très fort. Pour comparaison, l’emprise du village ancien est de 8 hectares. Ce POS, si pratique pour multiplier les constructions, n’est plus adapté à la sensibilité actuelle de la population, ni à celle de l’administration, mais il est. Pour se conformer à la loi, un Plan Local d’Urbanisme (PLU) a bien été initié en 2004, mais son étude a été rapidement interrompue car il est vite apparu qu’il serait impossible aujourd’hui de faire accepter les mêmes aberrations qu’en 1986. La mise au point de ce PLU est pourtant indispensable et urgente mais qui peut l’imposer ?
Et pendant ce temps là, le Maire de Gordes continue sans complexe et apparemment à la satisfaction de ses pairs, à présider l’association des Plus Beaux Villages de France (Illustration 4). Pour combien de temps Gordes pourra-t-elle encore se prévaloir de ce titre si M. Brodovitch avait raison en écrivant : "Dans un paysage dont l’intérêt majeur réside dans le rapport entre les unités paysagères des versants, le paysage de plaine, et les villages perchés, abandonner l’une de ces composantes n’équivaut-il pas à abandonner l’ensemble ?"
Robert Soulat, secrétaire général de Luberon Nature, délégué de la SPPEF pour le département du Vaucluse