Un nouveau site industriel en péril dans la Somme

Après Cosserat, le site d’Eppeville à sauver ?

Cosserat, site emblématique pour le textile à Amiens, grand spécialiste du velours, avait été épargné des démolisseurs ; en sera-t-il de même pour la sucrerie d’Eppeville dans la Somme dont la façade art déco est promise à la démolition, malgré son inscription très récente à l’inventaire, en 2021 ?
La sucrerie d’Eppeville, propriété anciennement de Saint Louis Sucre, aujourd’hui de l’allemand Südzucker, avait définitivement stoppé son activité de transformation de betteraves en sucre en 2001.

Les élus locaux, le préfet, le nouveau propriétaire, l’allemand Südzucker, se liguent contre la conservation du lieu ; restent des associations qui s’activent pour le maintenir :
Ainsi de l’association Respecth qui donne un historique sur son site : http://www.respecth.fr/sucrerie/index.html
« L’emplacement de la nouvelle usine fut choisi à Eppeville. En effet, étant donné l’importance du tonnage de betteraves à travailler, il faut que la sucrerie soit desservie par le fer (ligne Amiens-Tergnier), la route (la RN 30) et l’eau (le canal de la Somme). C’est ainsi que la C.N.S R. (Compagnie Nouvelle de Sucreries Réunies) voit le jour le 13 juin 1919. L’usine est construite de 1919 à 1922 et la distillerie en 1922. Plus de 160 entreprises se côtoient sur le chantier ! Jamais, à cette époque, on n’avait vu une fabrique de sucre de cette taille ! Elle fut en son un temps, la première d’Europe.
L’architecte en charge du projet est Georges Lisch (1869-1960) qui travaillait à l’époque à la restauration du château de Vaux-le Vicomte pour le compte d’Edmé Sommier.
La façade principale de l’usine s’inspire de la première gare ferroviaire du Havre. Dans un esprit décoratif « art déco ». Georges Lisch l’orne de motifs de briques en écaille qui riment avec la forme de l’ensemble en arc de cercle. Une vaste ouverture centrale est surmontée de l’inscription en céramique « FABRIQUE DE SUCRE ».
L’ensemble urbain et industriel constitué par la C.N.S.R. représente un exemple très abouti d’habitat social. L’architecte conçoit un vaste programme dont le dénominateur commun est l’appareillage en brique (pour les édifices de production et d’administration) et le style régionaliste. Aux côtés de l’usine, des bureaux, des services (cantine, infirmerie...), de la résidence du directeur traitée en véritable manoir, est édifiée la cité-jardin « les Chalets » pour les contremaîtres. Cette dernière, inspirée des réalisations anglo-saxonnes, forme un quartier verdoyant de 26 maisons jumelles, entourées chacune d’un jardin de 14 ares, desservi par quatre rues et doté d’un terrain de sport. »

Florence Hachez-Leroy, présidente du Cilac, Comité d’Information et de Liaison pour l’Archéologie, l’Etude et la Mise en Valeur du Patrimoine Industriel a écrit un article très documenté sur la sucrerie en 2021 (http://www.respecth.fr/sucrerie/documents/2021-06-CILAC_78.pdf ) ; elle y mentionne deux points qui montrent l’ampleur du site mais aussi la démarche du propriétaire :

« En 1955, l’ensemble des installations comporte plus de 1000 mètres de quais d’expédition par camions et wagons ainsi qu’un port fluvial important doté de grues et de portiques roulants où accostaient plus de mille péniches par an. Cet équipement considérable permettait d’assurer un trafic égal à celui du port de Boulogne-sur-Mer avec près de 1 200 000 tonnes manutentionnées par an.

Le groupe allemand a été créé en 1926 par fusion de plusieurs compagnies régionales allemandes. Il a entrepris, à partir des années 1990, une politique d’acquisition en Europe, en particulier dans les pays de l’ex-Union soviétique. Sa stratégie repose notamment sur le rachat de sucreries qu’il ferme et rase, afin d’éliminer toute forme de concurrence à venir. »

Raser ? Peut-être seule la façade serait maintenue ; mais rien n’est moins sûr ; et comment la faire tenir si la construction en E sur laquelle elle s’appuie disparaît ?