La Pagode, comportant deux salles de cinéma intimistes et un charmant jardin, est située au 57bis rue de Babylone, dans le 7e arrondissement de Paris. Ce rare pavillon japonisant a été édifié en 1896 par Alexandre Marcel (1860-1928) pour François-Émile Morin, directeur du Bon Marché et légataire d’Aristide Boucicaut. Il était autrefois rattaché à son hôtel particulier, aujourd’hui propriété de la région Ile-de-France, situé dans la même rue au n°57. C’est en 1931 qu’il devint un cinéma d’art et d’essai. L’un des premiers... Aujourd’hui fermé, il est en attente d’une importante restauration pilotée par un mécène et homme d’affaires américain.
Ses « Façades et toitures ; [et sa]grande salle avec son décor » sont classés au titre des monuments historiques depuis un arrête du 21 août 1990, tandis que « Le jardin avec son sol dans son emprise historique, y compris la clôture et les éléments décoratifs » a été d’abord inscrit, puis classé par arrêté du 9 avril 2018 (voir ici). On peut évidemment douter de ce que l’excavation complète du sol - expressément protégé par l’arrêté - et la création d’un jardin sur dalle puisse être réalisée sans déclassement préalable de l’emprise concernée. On constate, à nouveau, un décalage entre la protection récente et bien conçue (signée par le ministre éclairé par une CNPA) et l’autorisation de travaux déconcentrée au niveau du préfet de région (DRAC), qui la bafoue immédiatement...
La pagode et son jardin sont en outre protégés par le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) du 7e arrondissement dont les dispositions, mettant l’accent sur le tissus urbain, se cumulent avec l’application de la législation sur les monuments historiques (principe d’indépendance des législations, voir ici).
L’article R. 621-12 du code du patrimoine prévoit ainsi, dans le cadre d’une « demande d’autorisation pour des travaux sur un immeuble classé », que « L’accord de l’autorité compétente pour statuer sur les demandes de permis de construire [ici la mairie de Paris], est transmis au préfet de région [DRAC] » (voir ici). Le PSMV indique bien dans son plan la présence du « jardin protégé au titre des monuments historiques » de la Pagode (voir, classement auquel il va donner des effets particuliers.
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Ainsi, l’article US.13.3.2 du règlement du PSMV prévoit que « Les jardins protégés au titre des Monuments Historiques doivent respecter [certaines] dispositions » : « Les surfaces en Pleine terre* doivent le demeurer », tandis qu’« Aucune construction nouvelle, extension de construction existante ou installation technique n’est admise, ni en élévation ni en sous-sol, dans ces espaces. » Le texte précise en outre que « La disparition ou l’altération - accidentelle ou intentionnelle - des plantations situées dans ces espaces ne peut en aucun cas déqualifier l’espace et l’exonérer des prescriptions qui s’y appliquent » (voir ici).
La définition donnée par le règlement du PSMV de la "pleine terre" permet de comprendre le but de cette protection : « Un espace est considéré comme de pleine terre lorsque les éventuels ouvrages existants ou projetés dans son tréfonds ne portent pas préjudice à l’équilibre pédologique du sol et permettent notamment le raccordement de son sous-sol à la nappe phréatique. » Ainsi, « Les locaux souterrains attenants aux constructions en élévation et en dépendant directement, quelle que soit la profondeur desdits locaux ne permettent pas de le qualifier de pleine terre. » Seuls « Les ouvrages d’infrastructure profonds participant à l’équipement urbain (ouvrages ferroviaires, réseaux, canalisations…) ne sont pas de nature à déqualifier un espace de pleine terre. » (voir ici).
C’est la raison pour laquelle la maire de Paris, consultée le 25 février 2019 sur les projets de travaux par l’administration des monuments historiques (en vertu de l’article R. 621-12 du code du patrimoine), a été contrainte de reconnaitre qu’ils étaient "non conformes" (voir ci-dessous) au PSMV du 7e arrondissement !
Mais, afin d’autoriser le projet, la municipalité - qui se gargarise par ailleurs d’écologie - allait invoquer de façon très acrobatique la faculté de dérogation aux documents d’urbanisme offerte par l’article L. 152-4 du code de l’urbanisme « pour permettre : […] 2° La restauration ou la reconstruction d’immeubles protégés au titre de la législation sur les monuments historiques, lorsque les contraintes architecturales propres à ces immeubles sont contraires à ces règles ; 3° Des travaux nécessaires à l’accessibilité des personnes handicapées à un logement existant. » (voir ici)
Ainsi, selon la maire, « le creusement du jardin est nécessaire pour la mise en œuvre des travaux de confortation de la pagode et des murs de clôture », tandis que « la restitution du jardin - à la mode des Jardins Japonais - protégé monument historique est compatible avec mes épaisseurs de terre envisagées dans le cadre du projet [réduite à 1 m] », « l’ensemble des aménagements [permettant en outre] l’accessibilité des personnes handicapées » (voir ci-dessus).
Cette argumentation ne tient évidemment pas la route. On ne voit pas comment la création de deux nouvelles salles de projection en lieu et place d’un jardin découle des « contraintes architecturales propres » au classement de la Pagode et pourrait être assimilée à une opération de confortation du bâti existant. Une reprise en sous-œuvre - dont rien ne démontre d’ailleurs la nécessité - aurait suffi et permis la conservation du jardin en pleine terre. De même, comment prétendre que la restauration d’un jardin japonais implique son excavation complète et sa mise sur dalle ? Quel rapport, enfin, entre la création de deux nouvelles salles en sous-sol et l’accessibilité de celles existantes ? Un simple ascenseur ne suffisait-il pas ?
On peut également regretter que la ville de Paris ne se soit pas saisie de la disposition du PSMV selon laquelle les clôtures des 57 et du 57 bis (pavillon) de la rue de Babylone, jadis homogènes (voir ci-dessus), étaient « à conserver ou à restaurer ». Son article US.11.7.3 indique d’ailleurs que « Les murs et grilles de clôture protégés identifiés aux documents graphiques doivent être conservés et restaurés suivant leurs techniques d’origine. » (voir ici). Une restitution partielle de ce mur, tout en ménageant des ouvertures sur le jardin, devrait être tentée rue de Babylone sur les deux parcelles des n°57 et 57bis. Le bâtiment, aujourd’hui propriété de la région Ile-de-France, mais qui devrait être affecté au projet, a en effet été doté d’une vilaine grille en arc de cercle remplaçant son mur d’origine. Le portail et l’enseigne historique du cinéma (datant de 1930) mériteraient a minima d’être maintenus et restaurés.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
Consulter l’autorisation de la mairie de Paris du 25 février 2019