La cité médiévale de Pesmes, village emblématique de Franche-Comté, est réputée pour la beauté de ses fortifications perchées sur le rocher. Site inscrit faisant partie des « cités de caractère Bourgogne-Franche-Comté » et des « Plus beaux villages de France », voir ici), il est formé de trois entités distinctes : le faubourg situé aux pieds des remparts et du château, le bourg castral asymétrique et le bourg neuf de plan orthogonal plus ou moins régulier, tous deux construits sur le plateau.
Malgré les vicissitudes de l’histoire qui ne l’ont pas épargné, le village ancien a su conserver sa structure et une réelle unité. Il est riche de dix monuments inscrits ou classés au titre des Monuments historiques qui s’intègrent parfaitement à un tissu urbain cohérent, à la trame viaire si caractéristique de l’urbanisme du Moyen Âge. A l’exception de quelques constructions discordantes d’après-guerre ou très récentes (préau de l’école massacrant totalement la vue des remparts et périscolaire d’une banalité affligeante), l’ensemble du bâti local, simple mais de qualité, est harmonieux.
La municipalité, avec l’aval de l’architecte des Bâtiments de France, a entériné le projet de bibliothèque d’un architecte local (voir ci-dessous) qui va massacrer une rue ancienne située en plein cœur du village. Un long bâtiment asymétrique à toit en terrasse va s’y construire. Pour donner le change, l’ABF préconise de réutiliser les pierres de démolition pour garnir les futures façades (sic) afin, comme le dit l’architecte, « de faire écho aux murs de la cité ». Il est prévu de réaligner la pittoresque et sinueuse rue des Fossés (comme aux pires heures des années 60-70), de détruire deux escaliers anciens et leurs murets en pierre ceinturant la place attenante, qui ne sera pas épargnée : environ 20 % de ses arbres disparaîtront au passage. Mais, plus grave, il est envisagé de raser deux constructions anciennes (un appentis et une maison du XVIe siècle avec sa grange attenante du XIXe siècle).
Certes, les bâtiments voués à la pelle des Attila locaux sont modestes, mais ils s’insèrent parfaitement dans le parcellaire et dans leur environnement et ne sont absolument pas en ruine. Légèrement courbes, leurs façades à un étage carré suivent le tracé de la rue et leur volumétrie s’impose au regard. De nombreux éléments anciens y sont encore conservés, ce qui est de plus en plus rare : cheminées en marbre, croisées, portes (avec leur serrurerie), planchers et lambris du XVIIIe siècle, fenêtre à meneau et cheminée Renaissance, four à pain, tomettes, charpente en chêne et superbe cave voûtée. Raser ces constructions particulièrement bien préservées reviendrait à dire que le reste du bâti pesmois peut sans inconvénient subir le même sort ! Chose cocasse, lors du séminaire 2017 d’Avenir radieux (association conseillant les habitants et la municipalité, créée et pilotée par l’architecte local), il a été souligné que : « Par sa situation particulière, au droit de l’ancien fossé qui séparait le bourg castral du bourg neuf, ce bâtiment joue un rôle très important dans la composition du site. »
Par ce projet, la commune, sous prétexte d’avoir le droit de déroger à certaines règles d’urbanisme, bafoue totalement le règlement AVAP (Aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine) (d’ailleurs corédigé par l’architecte local) qu’elle a mis en place[1], se permettant de faire ce qu’elle refuse aux autres, ouvrant ainsi la porte à de graves dérives. En effet, dans cette AVAP, il est nulle question de toiture en terrasse ; les toits devant être à deux pans ou éventuellement à quatre pour les bâtiments publics. La municipalité de Pesmes s’apprête donc à dénaturer sans raison l’un des endroits les plus sensibles du bourg : l’emplacement de la basse-cour du château médiéval et des parterres du XVIIIe siècle.
Notons que le panorama du village depuis la rivière sera encore un peu plus altéré par la présence bien visible, en arrière-plan, de la toiture en terrasse.
Il est surprenant que la solution de construire une extension semi-enterrée n’ait pas été retenue, afin d’obtenir la surface souhaitée. Réutiliser ces maisons en conservant les éléments intéressants, tout en les agrandissant, permettrait de faire de l’écologie appliquée et de faire preuve d’une réelle et indispensable sobriété financière et paysagère. L’autre possibilité serait de réfléchir à un autre bâtiment plus adapté, les biens immobiliers à vendre n’étant pas rare à Pesmes.
Ce village comtois a su garder son authenticité et son caractère rural. C’est pourquoi il apparaît absurde d’imposer un bâtiment en rupture avec son environnement, déstructurant le tissu urbain et détruisant le patrimoine. Si ce nouveau projet voit le jour, il faudra s’interroger sur sa compatibilité avec le label « Plus beaux villages de France » dont bénéficie aujourd’hui Pesmes (voir ici).
Marguerite Décard pour Sites & Monuments
[1] Le futur règlement SPR (Site patrimonial remarquable) a été coécrit par l’architecte local et un architecte du patrimoine. Il se substituera à l’AVAP, dans les mois à venir.