La commune de Doullens, dans la Somme, est célèbre pour sa citadelle construite sous François 1er en 1526 dont les fortifications sont inscrites au titre des Monuments historiques depuis juillet 1978 et également pour son beffroi classé au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Elle abrite également un autre site moins connu et qui pourtant mériterait de l’être. À cinq minutes à pied de la citadelle se trouve le plus ancien site de tir à l’arc de France, suivant les recherches effectuées à ce jour. Daté de 1643, il est encore debout mais son actuel propriétaire, la mairie de Doullens, semble avoir d’autres vues.
Une histoire bien vivante
Crécy, Poitiers, Azincourt, ces noms rappellent pour les Français ces batailles où les archers - Anglais en l’occurrence - firent pencher le sort du combat. Ce n’est pourtant qu’à la fin de la Guerre de Cent ans que Charles VII opère des réformes militaires, créant notamment en 1448 la milice des franc-archers, forme d’armée semi-permanente levée par le roi à l’échelle de la province.
En tant qu’arme, l’arc perdra cependant assez vite sa valeur au profit du mousquet et autres armes à feu. En parallèle, se développe toutefois, en France et dans le reste de l’Europe, le tir à l’arc sous forme de jeu d’adresse, jusqu’à devenir une discipline olympique en 1900. On retrouve les jeux d’arc dans différentes villes de France au sortir du Moyen-Âge. En France, les compagnies d’archers prendront le statut d’association loi 1901.
Le Tir Beursault "se pratique dans un « Jeu d’arc » ou jardin d’arc dans une compagnie. Celui-ci se compose de deux buttes (cibles) opposées et distantes de cinquante mètres. Ces buttes s’appellent butte d’attaque et butte maîtresse. La surface entre les deux buttes est une allée centrale dénommée « l’allée du Roy ». De part et d’autre de l’allée centrale se situent deux allées de dégagements aussi appelées « allées des chevaliers ». La sécurité est assurée par des panneaux de bois d’environ 4 m de hauts appelés « gardes » placés de part et d’autre et tout au long de l’allée du Roy. Les centres des blasons sont placés à un mètre du sol, ce qui correspondait à la faille dans l’armure des chevaliers. Cette discipline est surtout pratiquée dans le nord de la France, de l’est de la région parisienne et en Picardie. Chaque année, un grand évènement rassemble tous les pratiquants de tir Beursault."
Tel est, résumé à grands traits, le contexte de ce site des Archers de Doullens dans le département de la Somme, pour lequel une requête de protection a été faite.
Le jeu d’arc de Doullens fait partie des tous derniers sites en France dans leur état quasi d’origine, toutes les compagnies anciennes ayant perdu ou vendu leur terrain d’implantation. Il est situé à proximité immédiate de la citadelle de Doullens pour des raisons militaires. L’histoire de la défense de la ville, de la citadelle et des archers sont d’ailleurs intimement liés.
Les premiers éléments officiels des archives départementales remontent à 1408 (comptes de la ville, récompenses offertes aux archers valeureux), d’où la décision de l’association de rebaptiser celle-ci en « Compagnie Privilégiée des Grands Archers de Saint Sébastien de Doullens-1408 ». La présence des archers sur le même site est attestée depuis 1643.
Un site menacé par l’inaction des services municipaux
Pensant assurer la pérennité de la pratique et celle de son patrimoine historique, la Compagnie d’arc avait choisi de transférer à la Mairie de Doullens, par acte notarié de 1981, la propriété intégrale du site de tir à l’arc.
Cet acte, conclu pour un franc symbolique, inclut en contrepartie des clauses particulières comprenant, pour ladite association, une jouissance exclusive et sans entrave dudit site, l’absence de redevance à quelque titre que ce soit et, pour la Commune, l’entière prise en charge de toutes redevances et d’entretien (toutes réparations y compris) de la parcelle n° 584a (2182 m² avec deux logis d’environ 40 m² et d’un jeu d’arc de trois aires de tir).
Mais la préservation du site nécessite d’urgence des travaux pour éviter à terme des dégâts irréversibles, dommageables pour l’association des archers et pour le patrimoine picard.
L’association est exempte de toute intervention d’entretien comme de travaux et n’a plus, depuis le milieu des années 2000, l’autorisation d’y participer, sachant que l’entretien s’est limité à une intervention urgente.
La demande de protection initiée en 2018 est aujourd’hui en attente, notamment d’une réunion sur site entre la mairie et les différents interlocuteurs de la DRAC. Sites & Monuments a été appelé en 2022 sur ce dossier.
Marguerite Décard et Hugues d’Hautefeuille, délégué adjoint de la Somme