Des éoliennes de 180 mètres de haut (très proches de la hauteur de la Tour Montparnasse) dominant la vallée de l’Evel ? Elus, riverains et associations ont considéré que c’était inacceptable !
Sollicité par plusieurs sociétés éoliennes, le 6 avril 2018, le conseil municipal de Moréac s’était prononcé contre tout nouveau projet éolien sur la commune (voir ici). La plupart des élus des communes environnantes ont considéré que ce Non définitif ne devait pas être contredit par le passage en force d’un porteur de projet.
S’il y a eu des hésitants, ils ont été convaincus par la forte présence des riverains, pacifiques mais déterminés. Ils ont afflué en masse le 17 janvier 2020, avant l’ouverture de l’enquête, dans la salle du conseil municipal de la commune d’Evellys dont plusieurs hameaux dominent la vallée de l’Evel. A bulletin secret, les élus ont rejeté le projet (voir ici). Le 3 février 2020, les élus de Crédin restèrent également interloqués : malgré un crachin très dense, l’entrée de la salle du conseil était noire de monde. Ils se sont prononcés contre le projet éolien à l’unanimité (voir ici). Averti de la forte mobilisation, le conseil de Radenac a délibéré prestement avant la date prévue, se prononçant contre le projet. A Plumelin, le 5 février, puis à Réguiny, le 27 février, sous les yeux des riverains toujours aussi nombreux, les élus ont également émis un avis défavorable à l’unanimité (voir ici et ici).
Lors de l’enquête publique, tenue du 20 janvier au 20 février 2020, l’assiduité des riverains et des associations n’a pas faibli. Et, quand le commissaire enquêteur s’est éloigné emportant nos 174 observations défavorables - et seulement 5 favorables - nous étions relativement confiants (voir ici).
Son rapport, mis en ligne le 3 avril 2020 (voir ici), a en effet largement répondu à nos attentes. Il a écarté d’emblée les commentaires trop généraux sur l’éolien, précisant que l’enquête « n’a pas pour objet d’ouvrir un débat d’ordre général sur les avantages et inconvénients de l’énergie éolienne mais s’inscrit dans un cadre précis, en relation avec un projet spécifique. »
En réponse à nos observations, il a reconnu :
- L’absence d’acceptabilité sociale
Le commissaire relève la « non prise en compte de l’avis du conseil municipal de la commune, perçue comme un déni de démocratie » ainsi que « le sentiment largement partagé par les habitants concernés d’une absence de considération à l’égard de leurs conditions de vie. »
- La dénaturation du paysage et la dégradation du cadre de vie
« Le principal motif d’insatisfaction de l’impact visuel du projet est de s’ajouter encore au grand nombre de parcs éoliens déjà visibles dans le même secteur, dont la plupart sont à moins de 10 kilomètres. Cette accumulation entraîne la perception d’une dégradation du paysage et de sa dénaturation. »
- La valeur de l’Atlas des paysages du Morbihan (voir ici)
Le commissaire a pris en compte ce document, élaboré par l’Etat, le Conseil général, l’Association des maires, les présidents des EPCI du Morbihan et le Conseil régional de Bretagne. L’Atlas souligne en effet le risque d’accumulation et de saturation visuelle des éoliennes sur le plateau de Pontivy-Loudéac. Pour en atténuer l’effet, il propose une carte des perspectives de paysages sans éoliennes.Elle s’inspire des conceptions de l’architecte paysagiste Edouard André et notamment d’un projet de parc daté de 1868 : « Le Parc de style "paysager" s’organise par les lignes dégagées des perspectives, épaulées par les bosquets d’arbres et les bâtiments. L’œil y trouve les dégagements visuels qui donnent le sentiment d’espace. »
Après l’annulation du SRE (schéma régional éolien), ce document de cadrage nous paraît incontournable. La commune de Moréac figure dans l’un des couloirs de dégagement visuel à préserver. Notons que le tribunal administratif de Rennes l’avait déjà pris en considération dans son jugement sur les éoliennes en forêt de Lanouée.
« L’approche se base sur une organisation de l’espace par un système de grandes perspectives dessinées entre les dispositions d’éoliennes. Le territoire abordé de la même manière qu’un jardin mène à désigner ces perspectives qui constituent de grandes respirations et garantissent des horizons dégagés. Dans la mesure du possible les dégagements passent au droit des secteurs les plus habités. »
Le commissaire observe que, « Sur cet atlas, la zone d’implantation du projet se distingue aussi par son positionnement au milieu de l’un des couloirs de respiration paysagère tracés sur la carte des continuités paysagères sans éolienne du plateau de Pontivy Loudéac, à la différence de la totalité des parcs éoliens répertoriés sur la carte, soit un peu plus de 130 éoliennes. » Et il conclut : « Il résulte de ces éléments que le projet constitue un risque significatif d’atteinte au paysage. Sa réalisation contribuerait à accélérer la dénaturation de ce paysage rural et champêtre, entraînant ainsi la dégradation du cadre de vie de la population. »
- La distance insuffisante entre les machines et les habitations
Pour la première fois, nous voyons apparaître une critique de la réglementation des 500 mètres : « L’obligation réglementaire d’une distance minimale de 500 mètres ne signifie pas que cette distance soit suffisante dans tous les cas. En l’espèce, il me semble pertinent de combiner ce critère de distance avec la hauteur des éoliennes. Les machines prévues dans le projet ont une hauteur de 180 mètres en bout de pale, nettement plus élevée que toutes celles déjà présentes dans le secteur du projet (146 mètres pour les plus hautes). Pour préserver la qualité de vie des riverains, il me semblerait préférable de maintenir une certaine proportionnalité entre cette hauteur et la distance aux habitations, sans s’en tenir au seul critère règlementaire de 500 mètres. »
- Enfin, le commissaire enquêteur s’est référé aux récentes déclarations de l’exécutif
« Le président de la République a estimé le 14 janvier 2020, lors d‘une table ronde, que « le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays ». Une proposition de loi, déposée le même jour auprès de l’Assemblée Nationale, envisage « un moratoire sur le lancement de nouveaux projets d’installations d’éoliennes ... pour une durée ne pouvant être inférieure à trois ans ». Enfin, la ministre de la transition énergétique a considéré le 17 janvier 2020 que « le développement de l’éolien est très mal réparti en France », en évoquant « des territoires dans lesquels il y a une saturation, y compris visuelle ».
Un fléchissement semblerait s’amorcer dans la ligne pro-éolienne des commissaires enquêteurs. Nous l’avons vu encore récemment à Plumieux (projet de Quillien), en limite nord-ouest de la forêt de Lanouée (voir ici). A confirmer par le préfet du Morbihan, bien évidemment ! Avec l’association locale, Vent de panique 56, nous restons confiants.
Anne Marie Robic, déléguée de Sites & Monuments pour le Morbihan
Observations déposées par Sites & Monuments lors de l’enquête publique