Ce fut la stupeur à Belle-Ile-en-mer. « Une décision dramatique » ont dit les Gardiens du large. Imaginez, à l’ouest de l’île, le sort réservé aux aiguilles de Port Coton immortalisées par Claude Monet et à l’espace muséographique Sarah Bernardt.
Sur l’île, la mobilisation est forte. Les élus communautaires réunis le 22 novembre demandent alors l’éloignement du projet. « Nous associant pleinement et complétant la motion prise par le conseil départemental du Morbihan sur ce même sujet, et dans le prolongement de la position fermement défendue par notre député, Jimmy Pahun, la présidente de la communauté de communes et les quatre maires de Belle-Ile-en-Mer demandent aujourd’hui avec insistance au Gouvernement de revoir sa décision et de travailler en dialogue à une localisation significativement plus éloignée de l’île » (lire sur letelegrame.fr).
Mais à Quiberon, Carnac, Plouharnel, Erdeven, qu’en est-il ? Même si le projet est plus éloigné, le dommage visuel sera indéniable. De plus, le classement Unesco près d’aboutir pour les mégalithes de Carnac et de 27 communes proches apparaît incompatible avec cette installation industrielle en mer. À l’impact visuel s’ajoutent l’atterrage et le raccordement au poste de Pluvigner à plus de 20 km et qui traverserait des zones de mégalithes et de nombreuses zones archéologiques.
Le 29 novembre 2022, je me suis rendue à Saint-Pierre Quiberon.
Sur le littoral morbihannais, le ciel était magnifiquement bleu et la mer étincelante. J’ai pris le sentier en direction de Beg-en-Aud, éperon rocheux au nord-ouest de la côte sauvage. Les Monuments historiques l’avaient classé en 1927 sous la dénomination de « tumulus » et daté du néolithique.
Mais je m’interrogeais. La signalisation indiquait « éperon barré ». Mes recherches m’en apprendraient plus. L’occupation du site était en fait défensive et datait de l’âge du fer.
Je savais que je me trouvais au centre de hauts lieux de la préhistoire.
À 2,5 km sur ma droite j’apercevais l’île Téviec, une « nécropole préhistorique exceptionnelle ». « À la fois cimetière et habitat, Téviec apparaît comme le plus célèbre des sites mésolithiques de France atlantique (5400 avant notre ère). Il témoigne des modes de vie des derniers chasseurs-cueilleurs maritimes juste avant le Néolithique ».
À 800 mètres à ma gauche se trouvait le site mégalithique de Port blanc classé par les Monuments historiques dès 1889. Les deux dolmens partiellement ensablés dominent la plage du même nom. « Si l’on base le calcul, certes simplifié, sur les seuls ossements les plus cités, c’est-à-dire les crânes, il y aurait au total 37 individus, ce qui ferait déjà de ce lot de loin le plus important ensemble exhumé d’un monument mégalithique sur le Massif armoricain. » écrivent Jean-Noël Guyodo et Audrey Blanchard dans Histoires de mégalithes : enquête à Port Blanc.
Ce qui me saisit au moment de ma promenade fut étrange. Sur les sentiers, les promeneurs semblaient imprégnés de la majesté du lieu : ils s’arrêtaient, scrutaient l’horizon, cherchaient à nommer les terres qui se profilaient dans le lointain. Sur la côte sauvage, on marche certes, mais ce n’est pas pour le sport. C’est pour l’expérience du paysage. Et quel paysage ! Sur la côte nord-est de l’éperon rocheux, au début du sentier, on sent encore derrière soi la présence rassurante de la route au milieu de la presqu’île et celle des maisons. Mais plus on avance, plus on l’entend… On tente encore de se retenir à la beauté du ciel, aux spectaculaires amas de rochers, au miroitement du soleil sur les vagues. Mais il rugit de l’autre côté, de plus en plus fort. Une fois passé la pointe de Beg-en-Aud, c’est trop tard. On est pris par la sauvagerie de l’océan. C’est inoubliable.
À la pointe de l’éperon rocheux de Beg-en-Aud, sur la ligne d’horizon, on aperçoit la masse grise de Belle-île-en-mer à notre gauche. À droite, celle de l’île de Groix. Entre les deux, construit sur le plateau rocheux de l’île mésolithique d’Aïse aujourd’hui engloutie, le phare des Birvideaux (Berbidao en langue bretonne) haut de 30 mètres. La légende a conservé le souvenir de cette terre immergée et d’une peuplade disparue.
J’ai guetté le cortège des revenants qui survivent avec les crabes dans les grottes sous-marines où ils se nourrissent de moules bleues et de patelles grises. Ne dit-on pas que tous les 23 novembre, ils vont au pardon de Saint-Colomban (ou de Saint Clément) à Carnac, vêtus de manteaux rouges tissés de feu pur qu’ils abandonnent sur terre avant de plonger à nouveau vers leur île bien-aimée ? Mais j’arrivais trop tard, nous étions le 29 novembre…
C’est là qu’il nous faut nous représenter l’innommable :
De chaque côté du phare des Birvideaux, en arrière de celui-ci, mais près de quatre fois plus hautes, les 62 machines de 260 m de haut de l’éolien flottant de Bretagne sud que les politiques, l’État et la Région ont projeté d’installer s’imposeront à notre regard.
On voudrait leur crier que c’est interdit, qu’ils n’ont pas le droit ! C’est une faute, une offense à la nature, à l’univers, au cadeau inouï de la vie sur terre… Mais ils n’entendront pas nos lamentations pas plus que celles des Birvideaux.
Hier, la submersion contraignait les habitants d’Aïs à rejoindre les abysses. Aujourd’hui sont venus des hommes ivres de la toute-puissance de leurs machines qui vont planter leurs ancres géantes dans les fonds sous-marins et tout ravager.
On n’a connu le poids gigantesque de ce type d’installations qu’à la publication de l’arrêté du préfet du 17 décembre 2019 autorisant le projet de la ferme pilote de trois machines au large de Groix et de Belle-Ile-en-mer, aujourd’hui abandonné. Flotteur et turbine devaient peser 4800 tonnes. Chaque flotteur était relié par cinq lignes à des ancres pesant jusqu’à 300 tonnes chacune. L’enfouissement des ancres se faisait entre 8 et 12 mètres de profondeur.
Qui a œuvré au développement de l’éolien en mer ? - C’est un Breton de Lorient, en même temps ministre et président de la région Bretagne.
En 2010, il a signé le pacte électrique breton pour 3600 MW d’énergies renouvelables en 2020.
En octobre 2016, il est venu sur l’île de Groix pour soutenir le projet de quatre éoliennes flottantes au large de Groix et de Belle-Île-en-mer – projet aujourd’hui abandonné. (Lire sur letelegramme.fr).
En juin 2018, il était en baie de Saint-Brieuc avec le président, là où les six premiers projets de parcs éoliens en mer ont été confirmés. Et au moment où la candidature UNESCO des mégalithes de Carnac et des rives du Morbihan rassemblant 27 communes est près d’aboutir, c’est ce même Breton qui vient d’être nommé président d’honneur de l’association « Paysage de mégalithes » : l’ancien ministre et président du conseil régional, ardent défenseur de l’éolien en mer.
Comment pourra-t-il défendre en même temps les paysages de notre littoral archéologique et mégalithique et l’éolien coûte que coûte ?
Si l’on se place au centre de ce site emblématique, sur le tumulus Saint-Michel à Carnac, la vue s’étend à notre gauche sur le golfe du Morbihan, au centre sur la presqu’île de Quiberon et au-delà sur l’océan et notamment, tout à droite du panorama, sur l’île de Groix située pourtant à 26 km. Il est clair que les 62 éoliennes flottantes de Bretagne Sud promues par le président d’honneur de l’association « Paysages de mégalithes » seront visibles du tumulus Saint-Michel et en covisibilité avec de nombreux mégalithes.
Mais une autre question grave se pose pour le raccordement des éoliennes au poste source de Pluvigner. La directrice de l’association « Paysages de mégalithes », Victoire Dorisse, s’est émue du raccordement éolien qui pourrait entailler des zones archéologiques à Carnac même. Des élus ont juré leurs grands dieux qu’on allait les contourner. (Lire sur letelegramme.fr).
De qui se moque-t-on ? Avez-vous déjà vu creuser des tranchées en zigzag pour un raccordement électrique ? Les zones archéologiques et mégalithiques sont présentes partout sur le tracé des onze communes du raccordement. Comment contourner notamment les trois dolmens à galerie de Mané-Braz à Erdeven, le dolmen de Crucuno et les alignements de Sainte-Barbe à Plouharnel ?
La zone d’atterrage impactera des sites NATURA 2000, ZNIEFF(s), ZICO et des arrêtés de protection Biotope au niveau des îlots de Roëlan et Le Tiriec.
Pour le raccordement terrestre, ce sont des Zones NATURA 2000 et des ZNIEFF(s), des ruisseaux, des sources et zones humides très nombreuses qui seront impactées sur les onze communes concernées : Erdeven, Belz, Ploemel, Brech, Saint-Pierre-Quiberon, Pluvigner, Landaul, Locoal-Mendon, Plouharnel, Landevant et Carnac.
Toutes ces protections vont-elles arrêter le désastre ? On en arrive à penser le contraire. Il semble qu’on protège pour mieux déroger. Des outils sont mis en place ainsi que des partenaires prêts à un dialogue « constructif » et aux « mesures compensatoires »
Ainsi, le label Grand site de France a été attribué au site dunaire de Gâvres à Quiberon en juin 2019, un mois après la signature des autorisations pour l’éolien flottant de Groix/Belle-Ile (aujourd’hui abandonné) qui devait entailler les dunes d’Erdeven.
Souvenons-nous enfin des mots de François Goulard, ancien président du Conseil Départemental du Morbihan, à la fin du débat public : « ce projet serait un crime contre une nature d’une beauté insurpassable. Transformer la mer côtière en zone industrielle est tout bonnement insensé ».
Anne-Marie Robic, déléguée Sites & Monuments du Morbihan