Avant-propos :
Un projet de décret (voir ici) entend expérimenter en Bretagne et dans les Hauts-de-France la substitution à enquête publique en matière éolienne d’une participation par voie électronique. Ce projet de texte, qui découle de l’article 56 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (voir ici), ne s’inscrit pas dans un schéma créateur de confiance, ni dans celui des obligations souscrites par la France sur la participation du public aux décisions environnementale (convention d’Aarhus ratifiée en 2002, voir ici), à laquelle il prétend se rattacher. En effet :
– il comporte les apparences d’un progrès, par rapport au processus actuel comportant une enquête publique, en raison du processus de concertation préalable qu’il met en oeuvre en amont (I), mais ce processus n’est ni juste ni réaliste ;
– la participation du public par voie électronique (II) est un processus qui étouffe la participation, la réduisant à un processus formel et parcellaire dont les conclusions ne comportent aucune garantie d’analyse impartiale et de prise en compte effective ;
– l’ensemble de ce processus, qui se veut expérimental, n’est pas un processus de qualité (III).
I – concernant la concertation préalable :
La concertation préalable n’est pas une procédure juste ni réaliste. Prenons à titre d’exemple un projet de centrale éolienne :
– quels contenus précis et contextualisés le citoyen ayant eu accès à ladite concertation peut-il donner à son avis alors que la consistance de cette centrale éolienne n’est pas connue et que, en particulier, l’étude d’impact et l’évaluation environnementale n’auront pas encore eu lieu ?
Ces études constituent en effet des données d’entrée essentielles dans l’étude par le citoyen d’un tel projet : impacts sur les riverains et leur santé, impacts sur les paysages et le cadre de vie, impacts sur l’attractivité et sur le tourisme, impacts sur la biodiversité (sols, flore, eaux, faune, avifaune)…
Le texte ne respecte donc pas l’article 6. 2 de la convention d’Aarhus ratifiée par la France (participation du public aux décisions en matière environnementale) qui exige une information du public concerné "en temps voulu ».
– la durée, comprise entre 15 jours et 3 mois, est insuffisante :
Sachant que le préfet peut décider de retenir la tranche basse de la fourchette (15 jours), comment peut-on espérer qu’en 15 jours que des observations ou propositions suffisantes puissent être émises en nombre et en qualité afin que le garant en établisse une synthèse représentative des problèmes éventuels soulevés par le projet ? Or la convention d’Aarhus prévoit dans son article 6.3 que "Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public ». Pour les projets d’importance il conviendrait donc d’établir une durée minimale de 2 mois.
– la synthèse des avis émis ne sera pas créatrice d’égalité devant le service public :
Comment le garant pourra-t-il établir une synthèse objective des observations émises ? Quelle pondération pourra-t-il leur donner ? Les garants auront-ils tous la même grille de critères ? A l’évidence non, et la grille personnelle de valeurs du garant, selon qu’il est confusément plutôt pour le projet ou plutôt contre celui-ci, aura nécessairement une incidence sur le bilan qu’il établira. A fortiori se créera-t-il des inégalités de traitement s’agissant de projets dans des régions différentes.
– le public n’aura pas accès à une réponse à ses observations ou propositions :
Il est annoncé que le bilan réalisé par le garant sera publié : pour autant le citoyen ne recevra pas de réponse individuelle à ses observations ou à ses propositions. Et pas davantage n’aura-t-il la possibilité d’émettre des observations sur le bilan publié, ni la garantie que ses observations seront communiquées - au même titre que le bilan lui-même - au préfet et à ses services.
– subsidiairement, il ne semble pas que le projet puisse réellement évoluer en fonction des avis exprimés par le public dans cette première phase.
En effet, il est annoncé que le garant a la possibilité, en fonction des avis exprimés, d’obtenir des évolutions du projet présenté : mais même pour de petits projets, c’est irréaliste dans le délai annoncé de 30 jours (délai de rédaction de son bilan).
II – concernant la participation du public par voie électronique :
L’instauration de délais aussi courts aurait pour conséquence de limiter les droits des citoyens à s’exprimer. Il résulterait en effet de ce mode électronique :
– une rupture de l’égalité devant le service public, notamment au détriment des personnes âgées ainsi que du monde rural (souvent les mêmes citoyens) qui a peu d’accès à internet (zone blanche) ou qui n’a pas été éduqué à l’internet et ne saura ni ouvrir les fichiers volumineux ni lire par ce mode le contenu des dossiers. L’article 4. 1b de la convention d’Aarhus garantit d’ailleurs la communication au public d’information sur l’environnement "sous la forme demandée », tandis que son article 5.2 prévoit que ces informations soient "réellement accessibles ».
– une mise sur le même plan, exorbitante, des personnes effectivement concernées par les projets (en particulier les riverains) et des citoyens plus éloignés des projets (exemple en matière éolienne : les habitants du bourg ou de la grande ville voisine) qui n’en auront pas les nuisances. Nous sommes ici typiquement sur des situations qui mériteraient plutôt une discrimination positive.
– une participation du public ni pleine ni entière :
La présence d’un tiers indépendant est essentielle pour s’informer et exprimer un avis argumenté, a fortiori pour des projets complexes, notamment pour les personnes qui ne maîtrisent mal la communication écrite. Retirer toute possibilité de s’exprimer et de dialoguer avec le commissaire-enquêteur est une erreur. C’est d’ailleurs contraire à l’article 3. 2 de la convention d’Aarhus prévoyant que "Chaque partie tâche de faire en sorte que les fonctionnaires et les autorités aident le public et lui donnent des conseils pour lui permettre d’avoir accès à l’information, de participer plus facilement au processus décisionnel [...] ».
L’absence de cette composante matérielle et humaine ne correspond pas à un processus de qualité. En effet, on mesure déjà souvent par les pratiques actuelles que les avis exprimés sur un registre numérique ne s’apparentent pas toujours à de véritables avis argumentés. La rapidité de leur expression et le caractère peu institutionnel de ce moyen de transmission favorise les réactions émotionnelle et l’absence d’argumentation. Remises dans un cadre institutionnel, il sera ainsi par la suite aisé de ne pas tenir compte de ces contributions.
– une participation électronique du public faite sans garantie d’analyse impartiale
Le texte ne prévoit pas à qui sera confié l’élaboration de la synthèse des observations électroniques émises (au maître d’ouvrage, au décisionnaire ?), alors qu’un commissaire-enquêteur indépendant des parties en était auparavant chargé. Pourtant l’article 6.8 de la convention d’Aarhus prévoit que "Chaque partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération ».
– l’absence d’accès aux conclusions, ne permet pas de garantir le caractère impartial de l’analyse des contributions
Ainsi, la publication d’une décision finale par l’autorité décisionnaire ne saurait valoir information suffisante sur les résultats de cette « participation ».
III – concernant le processus propre au projet de décret :
– pourquoi le choix de ces deux régions ?
– qui est le garant de cette consultation ?
– aucune prévision relative à l’évaluation de cette expérimentation : ce n’est pas un processus de qualité.
En particulier, quid à la fin des 3 ans d’expérimentation : comment et par qui la pertinence du processus sera-elle évaluée, selon quels critères ?
CONCLUSION GÉNÉRALE :
En raison des arguments ci-dessus, de l’importance de la protection de l’environnement, à l’heure où la biodiversité a été déclarée grande cause nationale, ainsi que des dispositions de la convention d’Aarhus, Sites & Monuments émet un avis défavorable à l’adoption du projet de décret.
Pour participer à la consultation publique sur le décret (ouverte du 20 novembre au 11 décembre 2018)
Bruno Ladsous, membre du groupe éolien de Sites & Monuments
Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments