Si chaque été, beaucoup d’entre nous attendent avec impatience de déguster des moules, c’est aussi le retour des rejets de milliers de tonnes de déchets de moules sous taille au cœur de la baie du Mont Saint-Michel, classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Ce dernier été 2022, le décor magnifique a viré au cauchemar : des tas de moules en putréfaction, un estran recouvert de petites moules au gré des marées, des centaines de goélands frappés par la grippe aviaire gisant dans la laisse de mer !
Malgré le coup de semonce qu’ils avaient reçu le 17 décembre 2021 avec la décision du juge des référés suspendant les rejets au motif d’absence d’étude d’impact (obligatoire en zone Natura 2000), les mytiliculteurs ont repris dès le 8 juillet le triste balai des épandeurs agricoles remplis de moules sous taille non commercialisables sous l’Appellation d’Origine Protégée (AOP), en état de putréfaction, déversant chaque jour leur contenu sur l’estran de la baie [1].
En 2022, ils ont fait preuve de beaucoup d’ingéniosité et de discrétion pour s’octroyer le droit d’épandre leurs déchets dans la Nature. En effet, trois arrêtés préfectoraux ont été publiés en deux mois. Le premier, publié très discrètement sur le site de la DREAL Bretagne, dispose que ces rejets relèvent d’une évaluation environnementale. Le deuxième, publié le 5 juillet, définit les conditions de hersage des anciens tas de petites moules, hersage exigé par l’Agence régionale de santé (ARS) eu égard à la dangerosité des émanations de gaz toxiques, avec un protocole identique à celui pour le ramassage des tristement célèbres algues vertes. Et enfin, le troisième, signé et publié au registre des actes administratifs le 8 juillet, autorise, non pas l’épandage, mais « l’application au sol » de moules sous taille non commercialisables AOP.
Ces photos montrent que les rejets de petites moules sous taille non commercialisables sous certains labels ont été effectués sur une largeur de 7 mètres environ avec des tas d’une épaisseur de plus de 10 cm donc largement supérieure à l’épaisseur de 5 cm inscrite dans l’étude d’impact décrivant le projet et un amoncellement continu de petites moules formant une sorte de talus entre les piquets 5 et 10. De plus, les deux attelages (tracteurs et épandeurs, l’un sur le port, l’autre chargé en attente sur le chemin) n’avaient aucun « panneau » portant les informations indiquant qu’ils disposaient d’une autorisation pour se déplacer sur le domaine public maritime.
Ce « cru » 2022 de l’autorisation des rejets sur l’estran est assorti de nouveautés par rapport à celui de 2021.
C’est la Direction de la Protection des Populations qui en a la responsabilité et non plus la DDTM /Délégation Mer Littoral. Aussi, l’administration nous a affirmé, avec assurance, qu’il n’y avait pas obligation de consulter la population, ni des instances telle la CDNPS 35, ni les élus, bien qu’une étude d’impact ait été adressée au préfet par le Comité Régional de la Conchyliculture (CRC) Bretagne Nord… Pourtant, la réglementation est très claire : le public, via une consultation ou une enquête publique, doit pouvoir en prendre connaissance et donner son avis.
Aucun document (carte) n’y est annexé permettant au public de connaître les lieux exacts des rejets. Par contre, l’arrêté est très précis quant aux surfaces de près de 10 hectares le long de trois chemins conchylicoles déterminées chacune au m² près. Une performance qu’il convient de saluer car les surfaces sont matérialisées par un seul piquet sur chaque chemin fixant la limite d’épandage par rapport au rivage !
Cette année 2022, une « étude d’impact » a été réalisée, une étude non seulement très lacunaire et incomplète et de plus complaisamment orientée. Ces quelques exemples permettent d’en juger :
- un référentiel climatique et météorologique antérieur à… 2010 ;
- des mytiliculteurs affirmant qu’il est « inconcevable » de revenir à des pratiques d’élevage antérieurs à la mécanisation ;
- alléguant qu’il faut nourrir les goélands avec ces petites moules afin de les empêcher d’aller se nourrir sur leurs bouchots...
Résultat, une explosion de la colonie de goélands (au moins 15 000) concentrés sur moins de deux hectares, au détriment des populations de limicoles et favorisant la propagation de la grippe aviaire (près de 500 cadavres gisant dans la laisse de mer).
Ainsi, dès le 8 juillet, les rotations des épandeurs ont repris de plus belle. Les photos ci-dessus sont, hélas, édifiantes. Grâce aux recours et référé environnement de Sites & Monuments et de l’APEME, ces rotations ont été stoppées net le 21 septembre 2022 par la décision du juge des référés de suspendre l’exécution de l’arrêté « en application des dispositions de l’article L. 123-16 du code de l’environnement », en particulier du fait de l’absence d’enquête publique ou de participation du public.
La réaction des mytiliculteurs a été particulièrement vive : dans un premier temps, quatre épandeurs remplis de moules non commercialisées ont stationné pendant une semaine auprès des habitations, en zone Natura 2000, dans l’emprise du bien classé à l’UNESCO. Les moules en putréfaction empestaient l’air et souillaient le site et les milieux aquatiques des effluents de leur décomposition sans que les élus et l’administration usent de leur pouvoir de police.
Forts de cette inaction, les mytiliculteurs ont créé, à l’entrée de leur site portuaire, une décharge sauvage de plusieurs centaines de tonnes de leurs moules non commercialisées pendant près de trois semaines ! Avec pour seule réaction des élus et de l’administration de fustiger l’action de nos deux associations.
Et, dans un deuxième temps, grâce à l’efficacité de leur lobbying, le ministère de la Transition écologique a mis à la consultation publique en quelques semaines (le 26 novembre), un projet d’arrêté ministériel modificatif qui vise à exclure l’activité de dépôt de moules sur estran des prescriptions de la rubrique 2731 de la nomenclature des installations classées pour l’environnement (ICPE). Chacun peut prendre la mesure de la performance dans un pays où la lenteur administrative est fustigée et de l’exemple donné par le ministère de la Transition écologique, en charge de la protection de l’Environnement, qui commet, avec ce projet d’arrêté, un acte de régression du droit de l’environnement (voir avis déposés par APEME et Sites & Monuments).
La Baie du Mont Saint-Michel serait-elle une zone de non-droit ? Les mytiliculteurs seraient-ils exemptés de l’application du droit de l’environnement à leurs activités, en particulier de la mise en œuvre de la Doctrine éviter-réduire la production de déchets qui s’applique à tous : particuliers, entreprises…
Il est inacceptable que l’État procède à une régression sur mesure du droit de l’environnement qui, par le projet de l’arrêté ministériel précité, affectera l’ensemble des littoraux qui accueillent des activités mytilicoles.
Ces pratiques d’élevage de moules sur bouchots s’exercent dans tous les bassins mytilicoles du littoral français : les petites moules non commercialisées sont rejetées sur l’estran où elles pourrissent, générant les mêmes nuisances que celles subies par le site et les populations de la baie du Mont Saint-Michel.
Mais c’est en Baie du Mont Saint-Michel que ces rejets ont le plus d’ampleur :
- d’une part, parce que ce seul site produit et vend plus de 11 000 tonnes de moules par an ;
- d’autre part, il est le seul bassin mytilicole à bénéficier d’une Appellation d’Origine Protégée (AOP).
Au moyen de cette appellation, les mytiliculteurs ont poussé à l’extrême leur stratégie commerciale en commercialisant, à meilleur prix, leurs moules AOP et rejetant celles en dessous de 4 cm alors qu’une bonne partie pourraient être vendues sous d’autres appellations. Ils participent d’autre part à la dégradation des paysages et aux bouleversements écologique, sanitaire et climatique. Ces pratiques conduisent à un scandale alimentaire qui doit cesser.
Pour sauver la baie du Mont Saint-Michel et les autres sites littoraux qui subissent ces pratiques d’élevage mytilicoles, signez la pétition et soutenez notre action en faisant un don.
Marie Feuvrier, présidente de l’APEME et déléguée de Sites & Monuments pour l’Ille-et-Vilaine
Consulter l’ordonnance de référé du 21 septembre 2022
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