Gavarnie, Maison du Parc National des Pyrénées d’Edmond Lay : le patrimoine du XXe siècle n’est pas un jeu du cirque !

À l’heure où nous savons que l’architecture la plus durable est celle qui est préservée, entretenue, soigneusement restaurée ou réhabilitée à bon escient, on peut légitimement s’interroger sur les destructions intempestives de bâtiments en pleine santé dont on signe brutalement l’arrêt de mort alors qu’ils étaient faits pour durer...longtemps.

La Maison du Parc National des Pyrénées côté nord
L’édifice adopte les caractéristiques du bâti vernaculaire local avec son grand toit couvert d’ardoises, terminé en croupette. Protégeant des fortes chutes de neige en hiver comme du soleil brûlant de l’été, il est en parfait état. (Photo S. Descat 2022)

Pour l’architecture de la seconde moitié du XXe siècle, cette tendance est particulièrement dévastatrice. Un vrai paradoxe alors qu’en parallèle de nombreux efforts sont faits pour sensibiliser le public envers ce patrimoine récent : on pense aux travaux des associations, comme Docomomo, à la tête d’un réseau international. On pense aux actions pilotées par le Ministère de la Culture et à la mise en place du label « Patrimoine du XXe siècle », devenu « Architecture contemporaine remarquable », qui a permis partout en France d’identifier un très riche corpus d’édifices à préserver et mettre en valeur.

Vous avez dit écoresponsable ?

Le 25 mai 2022, le Parc National des Pyrénées a lancé un concours financé par les crédits France Relance à hauteur de 3,5 millions d’euros pour rénover la Maison d’accueil de Gavarnie, édifice-signature de l’architecte Edmond Lay, figure internationalement reconnue de l’architecture organique française : une nouvelle réjouissante si elle ne cachait pas en réalité une... démolition de l’édifice existant ! La confusion règne jusque dans les détails : comme nous le précise La Dépêche du Midi du 19 août, si nouvel édifice il y a, il doit « garder un peu l’esprit d’Edmond Lay » : détruire ou conserver... in memoriam.

Qu’en est-il exactement ? Inaugurée en 1981, la Maison du Parc National est destinée à informer le public sur les patrimoines des vallées pyrénéennes. L’édifice a aujourd’hui besoin d’une muséographie actualisée pour le rendre plus attractif : personne ne dit le contraire. Il nécessite des améliorations énergétiques et une évolution de certains espaces amenés à changer de fonction : tout à fait d’accord. Mais quels peuvent être les arguments en faveur de sa démolition ? Aucun. Au regard des politiques patrimoniales et écologiques actuelles, considérer que ce soit même une possibilité reste incompréhensible. Fortes de ce constat, les associations « Sites & Monuments », « Parcours d’architecture », « Patrimoine, Environnement et Solidarité des Pyrénées » et « Architecture 65 » ont constitué un collectif pour mener une série d’actions afin d’alerter le public et les autorités compétentes.

La pétition en ligne, qui a dépassé en quelques semaines 3500 signataires, compte de nombreux citoyens attachés à leur « Maison », à l’architecture d’Edmond Lay comme aux souvenirs des événements marquants qui ont scandé la vie de l’édifice lors des expositions et conférences commémorant les figures emblématiques du pyrénéisme, dont l’incontournable Henry Russell ou plus récemment les frères Ravier. On note par ailleurs un nombre significatif de personnalités du monde de la culture : les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Henri Ciriani, Paul Chemetov et Rudy Ricciotti, le directeur de l’Ecole de Chaillot Benoît Melon ou le critique Emmanuel Caille, rédacteur en chef d’Architectures, pour ne citer qu’eux. Les médias ont relayé le mouvement par plusieurs articles dans la presse locale ainsi qu’un reportage télévisé sur France 3. La revue de référence AMC a également titré sans complaisance sur la controverse en cours, évoquant l’absurdité d’un édifice « sacrifié » sans raison au profit d’un starchitecte du moment.

La Maison du Parc National des Pyrénées côté sud
La silhouette de l’édifice fait écho au relief accidenté du Soum des Canaus qui domine à l’arrière-plan. On remarque l’escalier-sentier
sur le côté droit, donnant accès à la grande terrasse. (Photo Ph. Poitou 2015)
Depuis la terrasse principale : vue panoramique sur le célèbre cirque de Gavarnie, Site classé depuis 1921 et Patrimoine Mondial de l’Unesco.
(Photo S. Descat 2023)

Le non-sens de la décision redouble en effet si l’on observe le projet lauréat de l’agence Kengo Kuma & associates : un parallélépipède de verre au toit plat, particulièrement incongru dans le contexte physique et climatique du lieu, à 1380 m d’altitude. Peut-on imaginer un scénario moins durable financé par...le Ministère de la transition écologique ? Le futur bâtiment est présenté comme écoresponsable par le Parc National : a-t-on sérieusement calculé l’empreinte carbone générée par une telle destruction/reconstruction, sans même penser aux coûts de chauffage, de climatisation et d’entretien qui suivront ? Par ailleurs, a-t-on réfléchi à l’impact négatif des grandes surfaces vitrées, particulièrement dangereuses pour les oiseaux dans ce type de contexte, comme le souligne l’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) dans un dossier spécifique à ce sujet ?

Le projet « hors sol » de l’agence Kengo Kuma en image 3D
On note la disparition du parking public, qui rend le contexte plus séduisant. Une idée intéressante mais qui reste à ce jour illusoire, la parcelle n’étant pas incluse dans l’unité foncière délimitée pour le concours. (Source : https://kkaa.co.jp)

L’architecture de montagne d’Edmond Lay : prière de ne pas démolir...et de valoriser !

Bigourdan de naissance et de cœur, installé près de Tarbes, Grand Prix national de l’architecture en 1984, Edmond Lay est l’un des maîtres à penser de l’architecture organique française, revendiquant l’héritage de Frank Lloyd Wright qu’il a personnellement rencontré. Redécouvert par le grand public lors de l’exposition monographique qui lui a été consacrée en 2015 dans... la Maison du Parc National des Pyrénées de Tarbes, son œuvre a fait l’objet de plusieurs études, dont une première monographie publiée par les commissaires de l’exposition Jocelyn Lermé et Didier Sabarros dans la collection des Archives d’architectes en Occitanie. L’acquisition du fonds de l’agence par les Archives départementales des Hautes-Pyrénées constitue également un élément fondamental dans la connaissance d’une œuvre foisonnante, complexe et exigeante, qui compte aujourd’hui plusieurs édifices classés Monuments Historiques, dont la fameuse Caisse d’Épargne de Bordeaux.

L’exposition « Edmond Lay, une autre modernité » à Tarbes
Un succès public qui a permis de découvrir ou redécouvrir la carrière exceptionnelle de l’architecte. (Photo J. Lermé 2015)
La conservation d’une série de dessins concernant la Maison du Parc aux Archives départementales des Hautes-Pyrénées est un atout précieux pour une rénovation. On perçoit sur ces coupes l’habileté de l’adaptation à la pente comme aux garages existants, ainsi que la diversité
de traitement des différents espaces. (Photo ADHP, 123 J 202 /6)

Fidèle aux principes de l’architecture organique, dont l’intelligence climatique n’est pas feinte, Edmond Lay a eu une approche spécifique lorsqu’il a bâti en montagne. À Payolle, à Saint-Lary-Soulan, à La Séoube, à Gavarnie, dans ces espaces où la nature domine, il a toujours choisi une insertion au site sans heurt et sans dissonance, à l’appui de volumétries proches du bâti vernaculaire existant, employant des matériaux locaux et dans des agencements qui respectent les traditions bigourdanes, comme la disposition parallèle à la pente. C’est justement pour ces raisons que la Maison du Parc de Gavarnie a pu être inscrite au sein de la ZPPAUP-Site Patrimonial Remarquable, dont elle respecte pleinement la règlementation, qui ne prévoit pas d’échappatoire spécifique pour les édifices publics.

Cette partie de la carrière d’Edmond Lay, certainement l’une des plus personnelles et les plus en accord avec les principes actuels de sobriété écologique, semble aujourd’hui moins reconnue que son œuvre plus urbaine. N’est-ce pas dès lors au Parc National des Pyrénées de montrer le bon exemple dans la voie de la préservation et de la valorisation au lieu de promouvoir son effacement ? N’est-ce-pas d’ailleurs l’une des missions clés édictées dans la Charte du Parc National de protéger conjointement les patrimoines naturel, culturel et paysager, tous complémentaires et étroitement liés ? L’architecture remarquable du XXe siècle ne peut en être exclue, a fortiori lorsqu’elle est intégrée dans un cadre règlementaire la protégeant.

La salle principale sous charpente apparente
La volumétrie extérieure discrète ménage des effets de surprise au visiteur lorsqu’il accède aux intérieurs, riches et complexes. On note ici la présence d’un balcon lambrissé, qui offre une vue en surplomb sur l’espace central. En lui-même l’édifice d’Edmond Lay contient ainsi un potentiel scénographique très opérationnel, alors qu’il est inexistant dans l’espace-halle du nouveau projet. (Photo S. Descat 2022)
Les menuiseries bois des baies vitrées de la façade nord : on note le soin apporté par l’architecte au dessin du second œuvre,
une caractéristique de son travail. (Photo S. Descat 2022)
Salle à l’étage dévolue à la mairie : la charpente lambrissée dilate et monumentalise l’espace tout en apportant une atmosphère chaleureuse.
Cette pièce est tout à fait propice à servir de nouvel espace d’exposition. (Photo S. Descat 2022)

Et si on redescendait sur terre ?

Face au spectaculaire cirque de Gavarnie ne cédons pas à la folie des grandeurs. Pour toutes les raisons évoquées, la logique est d’opter pour une rénovation respectueuse de l’existant à partir d’une gestion économe des ressources disponibles. Soigneusement intégrée au site dans lequel elle s’insère, conçue comme intemporelle pour se développer et s’adapter au fil du temps, quelle architecture mieux que l’architecture organique peut justement prouver son aptitude à durer ? Les riches commentaires des signataires de la pétition vont également dans ce sens : Edmond Lay a réalisé une « architecture expressive en résonnance avec les ressources naturelles locales [...] nous avons la chance, nous Pyrénéens, d’accueillir plusieurs de ses réalisations. Une des plus emblématiques est la Maison du Parc » (E.A.) ; « sa modernité n’enlève rien à l’esprit de nos montagnes pyrénéennes » (D.S.) ; « [le bâtiment est] porteur d’une identité locale à laquelle nous sommes attachés » (F.B.) ; « le travail d’Edmond Lay est à la fois savant, magnifique et parfaitement intégré dans son territoire. Cette réalisation est un patrimoine architectural de très grande qualité, témoin de l’audace de son architecte et de son maître d’ouvrage » (B.D.) ; « On n’efface pas d’un trait de plume l’œuvre d’un architecte qui a marqué toute une époque » (P.F.), etc...

On ne peut être plus clair : la Maison du Parc National fait intimement partie du site d’exception de Gavarnie, comme de la mémoire artistique, culturelle et sportive des Hautes-Pyrénées et, à plus grande échelle, de l’histoire de l’architecture organique. Dans le respect d’un monde plus durable, faisons en sorte qu’elle retrouve toute l’attention qu’elle mérite.

Sophie Descat, déléguée Sites & Monuments des Hautes-Pyrénées

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Références bibliographiques

 Michèle François et Valérie Gaudard, « Labelliser le patrimoine du XXe siècle : stratégies et méthodes à travers l’exemple des Drac Ile-de-France et Occitanie », Patrimoines du sud, n°9, 2019.
 Sophie Masse, « Du patrimoine du XXe siècle à l’architecture contemporaine remarquable », In Situ, n°47, 2022.
 Jocelyn Lermé, Didier Sabarros, Edmond Lay, une autre modernité 1930-2019, Collection Archives d’architectes en Occitanie, Éd. du service de la Connaissance et de l’Inventaire des patrimoines de la Région Occitanie, Toulouse, 2021.

Presse et médias

 Thierry Jouve, « Gavarnie : quid de l’œuvre d’Edmond Lay ? » La Dépêche du midi, 20 décembre 2022,
 Andy Barréjot, « Hautes-Pyrénées : une pétition pour sauver la Maison du Parc national à Gavarnie, dessinée par Edmond Lay » La Nouvelle République des Pyrénées, 6 avril 2023,
 Régis Cothias et Emmanuel Fillon, reportage diffusé dans le JT du samedi 8 avril 2023, de 10’47" à 13’07",
 Fabien Hisbacq, « Occitanie : ils veulent sauver cette « maison’ emblématique au cœur des Pyrénées » Actu.fr, 14 avril 2023,
 « Une œuvre d’Edmond Lay sacrifiée pour Kengo Kuma » AMC, 9 mai 2023.