Le projet de réaménagement du haut de la rue Nationale rebaptisé « Portes de Loire » nécessitait une modification du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Secteur Sauvegardé validée en 2012 puis sa révision-extension en 2014 (1). Il prévoyait la construction de deux tours-hôtels de part et d’autre du haut de la rue Nationale ainsi que les aménagements intérieurs des îlots est et ouest, privilégiant la perspective longitudinale est-ouest de l’église Saint-Julien vers le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré achevé en 2017. La réflexion portait sur le périmètre très délimité des deux îlots. L’aménagement de la place Anatole France n’était pas à l’ordre du jour.
Les hôtels symétriques étaient composés chacun d’une tour de huit niveaux regardant la Loire et prolongée d’un bâtiment de cinq niveaux sur la rue Nationale. Des boutiques agrémentaient le rez-de-chaussée.
En mars 2018, la nouvelle équipe municipale décidait de remettre à plat l’ancien projet et de repartir sur des bases nouvelles :
– un nouveau périmètre de réflexion ;
– une requalification des bords de Loire en partenariat avec le lauréat du concours « Envies de Loire » ;
– une intégration du plan Patout.
L’esprit du Plan de Pierre PATOUT
La reconstruction d’après guerre a été confiée à Jean et Charles Dorian, puis à Pierre Patout choisi par la ville en juillet 1947 pour le secteur Nord. Celui-ci abandonne l’idée d’une reconstruction à l’identique de l’ancienne rue Royale du XVIIIe siècle dénommée actuellement rue Nationale. Il oppose une mise en scène plus aérée qui se retourne sur une place Anatole France élargie ; deux ensembles d’immeubles symétriques se déploient sur le fleuve (fig 1 et 2). Pour signaler et ponctuer cette composition, deux édifices publics devaient se répondre en vis-à-vis : la Bibliothèque Municipale à l’est (réalisée en 1954-1957) et un centre de congrès à l’ouest (non réalisé) (2).
La maquette (1952) de la partie nord de la Reconstruction permet de visualiser l’ensemble de la composition où figure à l’ouest (sur la droite de l’image) le bâtiment symétrique de la Bibliothèque qui n’a jamais été construit. Elle rend plus lisible la volonté de l’architecte de créer une véritable entrée de ville monumentale en lui donnant un aspect de ville-jardin. La composition très aérée laisse place à des espaces dévolus en grande partie au végétal (3).
La Reconstruction des immeubles en bordure de Loire débute en 1951 sur les bases du plan Patout.
La nouvelle équipe municipale prévoit de « s’inspirer du plan Patout » nous a déclaré le Maire, Christophe Bouchet, à la conférence de presse du 29 mars dernier, au lendemain de la déclaration de la reprise du dossier « à la racine » devant le conseil municipal. Celui-ci veut « un projet plus abouti dans sa relation avec la Loire ».
Les enjeux
En 2013, la ville avait organisé un concours international pour choisir l’aménageur des deux îlots et la transformation de l’Ecole des Beaux-Arts en Centre de Création Contemporaine Olivier Debré. Celui-ci fut construit par les architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus, lauréats du concours. Mais il n’y a pas eu de concours organisé pour la réalisation des hôtels. Leur construction était confiée au groupe privé Eiffage qui avait son propre architecte, Andrew Hobson, de l’agence Arte Charpentier.
Dès 2012, Sites & Monuments réclamait un concours international d’architecture pour les hôtels estimant que l’enjeu était très important et méritait une démarche à la hauteur des ambitions d’une ville à la fréquentation internationale au sein du Val de Loire Patrimoine mondial de l’UNESCO. Très vite, une coordination de plusieurs associations de défense du patrimoine, tant nationales que locales, en particulier l’AQUAVIT, ont manifesté leur souhait de révision du projet, suivie de nombreux tourangeaux qui ont pu s’exprimer lors des sept enquêtes publiques (de 2011 à 2016).
Le site bénéficie de nombreuses protections notamment celle du Patrimoine mondial dont la charte d’engagement au classement du Val de Loire exige le respect de la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE).
Comment est-on arrivé à ce revirement ?
Depuis la fin 2016 et le début de 2017, le début des travaux est périodiquement annoncé au cours de réunions en mairie. On avance une première échéance en avril 2017, puis on apprend quelques mois plus tard que le retard résulte de problèmes juridiques et administratifs.
A l’automne, le changement de maire a accéléré le processus. Tours Métropole et la ville de Tours propose un concours international d’idées pour l’aménagement de la Loire : "Envies de Loire". Les tourangeaux sont nombreux à y participer (4).
Dans le prolongement de cette démarche, un concours d’architectes est lancé, 44 agences ont déposé des projets de réaménagement des rives et six d’entre elles ont été sélectionnées pour travailler sur le terrain à Tours. L’équipe italienne de Franscisco Nigro, en présentant « couleurs de Loire », a remporté le concours (4). Le lauréat insiste sur la qualité paysagère du site en imaginant d’immenses gradins vers la Loire, des lieux de promenades arborés sur les quais et une passerelle en décalé reliant l’île Simon aux deux rives. Ce concours d’idées a apporté une nouvelle vision aux tourangeaux sur leur rapport au fleuve. Cette réappropriation est une réflexion stratégique.
L’une des principales raisons de ce revirement est le problème posé par l’emprise des hôtels car le groupe Eiffage avait déjà prorogé 4 fois de suite les délais relatifs au compromis de vente des terrains susvisés pour les travaux. Le maire a posé un ultimatum au constructeur et le compromis a été annulé au début de l’année 2018, permettant une refonte du projet
En accord avec Philippe Briand, Président de la métropole, Christophe Bouchet souhaite reprendre le projet dans sa globalité et concilier plusieurs impératifs :
– agrandir le périmètre de l’opération actuelle qui comprend le pont Wilson, la place Choiseul avec ses quatre pavillons d’octroi, les rives nord jusqu’aux ponts Napoléon et Mirabeau, les rives sud et les deux îlots du haut de la rue Nationale ;
– traiter la circulation de ce point stratégique de l’entrée de la ville ;
– requalifier les bords de Loire ;
– mettre en valeur le plan Patout pour souligner les marqueurs urbains en bordure du fleuve.
L’ancien projet ne couvre que la façade sur la Loire. Il est tourné vers la rue Nationale et la ville, tandis que le nouveau projet, plus étendu, est ouvert sur la Loire.
Conforté par l’adhésion des tourangeaux au plan Patout, le Maire lance l’idée de construire un bâtiment symétrique à la Bibliothèque, prévu dans les Orientations d’Aménagement et de Programmation de 2013. Pourquoi pas un hôtel qui attirerait une clientèle internationale et participerait à l’attractivité touristique d la ville ? Ainsi l’œuvre de Patout serait parachevée.
Il ne s’agit pas de construire une bibliothèque bis (1954-1957), mais un bâtiment d’aujourd’hui par un architecte issu d’un concours. Pour cette réalisation, Sites & Monuments demande un concours d’architecture, national ou international.
Les deux bâtiments des Portes de Loire sont toujours d’actualité (la discussion avec Eiffage n’est pas interrompue) ainsi que la relation de ceux-ci avec la Loire, le pont et la place Choiseul qui appartiennent au tracé de l’ancienne route d’Espagne décidée par Louis XV. La reconquête de la Loire est au cœur de la réflexion.
Un vrai travail de recomposition urbaine est souhaité en respectant la perspective transversale de la ville, déjà amorcée par la ligne du tramway, de la Tranchée, la rue Nationale, l’avenue de Grammont et la traversée du Cher.
Dans ce but, au lendemain de sa décision, le maire a créé un comité de pilotage lançant un appel d’offres pour une « mission de maîtrise d’œuvre pour le réaménagement de l’entrée de ville historique de la ville de Tours ». Le conseil municipal du 4 juin nous apprend que dix équipes sont candidates et que le lauréat sera connu à la fin de l’année.
En conclusion, il est urgent de revitaliser cette zone de la ville délaissée depuis longtemps. Les bords de Loire deviendront ainsi attractifs avec des retombées touristiques et financières. Comme l’a martelé le Président de la Métropole lors de sa conférence de presse du 29 mars : « Cette recomposition urbaine et son contenu participeront incontestablement au rayonnement de Tours Métropole. Pour le moment il y a juxtaposition d’attractivités sans cohérence ».
Nos associations ne manqueront pas d’émettre des suggestions pour ce nouveau projet, en espérant qu’elles seront entendues : pour le haut de la rue Nationale, nous souhaitons des bâtiments moins volumineux et plus en harmonie avec le bâti existant, dans un environnement plus végétal. Il faut rendre à la place Anatole France son équilibre premier.
NOTES
1) Le 2 février 2015 : l’arrêt préfectoral de modification du PSMV de la ville de Tours, secteur du Haut de la rue Nationale, est annulé par la CCA de Nantes au motif que cette modification relevait d’un décret en Conseil d’Etat et non d’un arrêté Préfectoral, compte tenu de l’ampleur des aménagements prévus dans un secteur sauvegardé.
2 ) M. Bonnin, Vie des secteurs sauvegardés en Indre et Loire, Sites & Monuments, 4e trimestre 2012, n° 219, p. 63 à 66.
3 ) Bloc diagramme illustrant l’adoption définitive du plan de Reconstruction de Patout.
4) Les cinq thématiques retenues pour le concours étaient les suivantes : la Loire nature, Loire urbaine, Parcours de Loire, Loire sportive et ludique et Loire active et animée. La consultation sur internet aboutit à 650 idées proposées et 7800 votes. Sites & Monuments a participé à ce concours d’idées et assisté à la présentation et la sélection de six candidats au concours d’architecture.
Martine Bonnin, déléguée de Sites & Monuments pour l’Indre-et-Loire