• Contexte de l’annulation des autorisations des publicités de l’EURO 2016
Les autorisations données par la mairie de Paris à l’implantation des publicités de l’EURO 2016 ont été récemment annulées à la demande de Sites & Monuments - SPPEF. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les dispositions relatives à la publicité du projet de loi olympique.
Le tribunal administratif de Paris, par un jugement rendu le 15 juin 2017 - soit un an après la fin de la compétition - a en effet accueilli nos demandes en annulant symboliquement les autorisations délivrées par la ville pour la quasi-totalité des publicités implantées à l’époque dans Paris, que ce soit sur des « installations d’éclairage public » (bannières publicitaires), sur des monuments historiques (Hôtel de Ville, pont d’Iéna), dans des sites classés (Champ de Mars et Champs-Élysées) ou dans des zones interdites à la publicité en application du règlement local de publicité (RLP) de Paris (quais de Seine) ou lorsque ces publicités ne respectaient pas les règles de densité publicitaire (lire l’article du Figaro).
Le Parisien, tirant les conséquences logiques de ce jugement, lui consacrait, le 29 juin 2017, un article intitulé « Des JO sans pub dans les sites classés ? » (lire l’article du Parisien). C’est l’objet du projet de loi olympique que d’autoriser - fait sans précédent - la publicité en ces lieux.
Il faut souligner que l’essentiel des sites proposés par le comité de candidature sont des sites classés ou des monuments historiques où la publicité - définie comme « toute inscription, forme ou image, destinée à informer le public ou à attirer son attention » (article L. 581-3 du code de l’environnement) - est totalement prohibée depuis une loi du 20 avril 1910 (texte porté par le premier président de la SPPEF et aujourd’hui codifié à l’article L. 581-4 du code de l’environnement).
Ainsi, le Champ de Mars (volley), l’esplanade des Invalides (tir à l’arc), le stade de Roland-Garros (tennis), les Champs-Élysées (cyclisme), les jardins du Trocadéro (triathlon) sont classés au titre des sites, tandis que le parc de Versailles (équitation, natation, course et tir), le Grand Palais (escrime, taekwondo) et la plupart des ponts sur la Seine (natation, aviron) sont classés au titre des monuments historiques. Les abords du fleuve, classés au Patrimoine mondial, sont en outre interdits de publicité par le règlement local de publicité (RLP) de Paris…
Il s’agira, pour le comité de candidature, d’utiliser les plus beaux sites de Paris sans en respecter le statut protecteur et sans susciter la mobilisation en amont de la décision du CIO.
• Présentation tronquée du dossier parisien par le comité de candidature
La synthèse, destinée au public, du dossier de candidature porté par la mairie de Paris n’était pas de nature à inquiéter. Celle-ci, dans les développements consacrés à la « loi olympique », n’évoque à aucun moment la question de la publicité, se prévalant au contraire d’« Une législation déjà adaptée » :
« Une Loi Olympique et Paralympique Paris 2024 sera ainsi mise en œuvre pour faciliter la préparation et l’organisation des Jeux à Paris en 2024. Elle prévoit certains aménagements juridiques pour accélérer et/ou simplifier les procédures administratives existantes, notamment relatives : aux conditions de douanes et de visas pour la Famille olympique et paralympique ; à l’obtention d’autorisation de travail de long terme ; au renforcement de la protection de la propriété intellectuelle ; à la possibilité pour le Gouvernement de statuer par voie d’ordonnance sur les modifications législatives rendues indispensables par l’accueil des Jeux ; à une utilisation élargie du domaine public pour permettre un accès libre à certains lieux pour les Jeux. » (p. 16).
La présentation du dossier de candidature consacre également un chapitre à la question du « Contrôle de la publicité et [aux] mesures contre le marketing sauvage », situé hors des développements consacrés à la loi olympique.
Il y est expliqué que « Le COJO et les autorités compétentes œuvreront activement et en étroite collaboration pour assurer la protection des droits marketing autour des sites pendant les Jeux. Paris 2024 a obtenu des accords assurant au COJO le contrôle des espaces publicitaires conformément aux exigences du CIO. Les tarifs 2024 des espaces publicitaires ont été calculés sur la base de tarifs 2016 corrigés par un taux d’inflation de 1,40% par an entre 2016 et 2024. Les collectivités et opérateurs de transport, qui autorisent l’exploitation de ces espaces et l’affichage événementiel, ont fourni les garanties correspondantes. » (p. 18).
Il est manifeste, à la lecture de ce paragraphe, que les espaces réservés aux partenaires du COJO le sont dans le cadre des installations publicitaires existantes et du droit commun de la publicité. Deux tableaux, situés en vis-à-vis, intitulés « Contrôle des espaces publicitaires » et « Contrôle des espaces publicitaires dans les transports publics », le confirment. Ils concernent ainsi les « Affiche / Mobilier urbain / Kiosque », les affiches sur les bus « 4 faces par bus », les « Affiche / Écran digital » dans le métro, le RER et les gares ou, dans les aéroports, les « Affiche / Écran digital / Mobilier ».
On précise en outre que la « période sous le contrôle du COJO » s’étend du « 19/07/2024 [au] 21/08/2024 », soit pendant seulement un mois (p. 19).
• Présentation lénifiante et incomplète du projet de loi olympique à l’issue du Conseil des ministres
Le compte rendu du projet de loi fait à l’issue du conseil des ministres du 15 novembre 2017 était également rassurant. Celui-ci explique ainsi que la venue des JO à Paris est une « opportunité majeure pour toute la France, qui pourra une nouvelle fois valoriser son patrimoine » et que le « projet de loi démontre le volontarisme de la France à promouvoir un nouveau modèle d’organisation responsable et durable des Jeux ».
Le compte rendu précise que « Le titre Ier [du projet de loi] vise à respecter les dispositions du contrat de ville-hôte conclu entre la Ville de Paris, le comité national olympique et sportif français (CNOSF) et le CIO : meilleure protection des éléments relevant de la propriété olympique et paralympique, autorisation du pavoisement de symboles olympiques et paralympiques dans l’espace urbain, ou encore reconnaissance au CIO, au CIP et au comité d’organisation des jeux Olympiques (COJO) de la qualité d’organisateur des Jeux. »
Seules des dispositions facilitant le « pavoisement des symboles olympiques » sont ainsi avouées (voir ici).
Le projet de loi olympique - difficilement lisible pour un profane car émaillé de renvois - se révèle en réalité d’une tout autre portée.
• Dispositions du projet de loi olympique étendant la propriété intellectuelle du COJO
Le projet de loi propose tout d’abord (article 2) d’étendre le champ des éléments relevant de la propriété du « Comité national olympique et sportif français ». Les termes du langage courant « olympique », « olympien » et « olympienne » ou encore le logo, le slogan, la mascotte et les affiches des jeux Olympiques relèveront notamment du champ de cette protection. Il s’agit, ni plus ni moins, de faire des JO et de tous les termes qui leurs sont associés, des marques commerciales. Le COJO désire ainsi renforcer la protection des très nombreux produits dérivés sous licence créés pour les jeux - n’ayant pour la plus part rien à voir avec le sport - et reproduisant les logos et inscriptions popularisés par un « pavoisement » intensif (celui-ci n’a évidemment pas pour objectif de faire connaître l’organisation des jeux par la France...)
Selon l’étude d’impact du projet de loi, cette mesure serait justifiée car « Une protection insuffisante des droits des partenaires privés du COJO pourrait conduire à leur démobilisation et donc à une minoration, éventuellement dans des proportions importantes, de ses recettes. Tout différentiel entre ressources escomptées en provenance des partenaires imposerait à l’État de mettre en jeu sa garantie sur la couverture du déficit du COJO pour un montant équivalent et pourrait s’avérer coûteux pour les finances publiques » ! (p. 22-23)
Consulter l’étude d’impact du projet de loi olympique
Le projet de loi de finance rectificative pour 2017, déposé le 15 novembre 2017, en même temps que le projet de loi olympique, prévoit en effet cette garantie (voir ici, article 33).
Il s’agit de conditions aussi léonines que celles imposées à la France par l’UEFA à l’occasion de l’EURO 2016, justement critiquées, malheureusement a posteriori, par la Cour des comptes (voir ici).
• Dispositions dérogatoires du projet de loi olympique relatives à la publicité pour les marques des JO
Le texte, comportant de nombreux renvois à décrypter, prévoit (article 3) que les dispositifs publicitaires « qui reçoivent exclusivement les affiches des jeux Olympiques et des jeux Paralympiques de 2024, leurs emblèmes, drapeaux, devises, symboles, logos, mascottes, slogans », etc ne sont pas soumis :
– aux interdictions de la publicité sur les monuments classés ou inscrits au titre des monuments historiques, dans les sites classés (interdictions en principe absolues), dans les cœurs des parcs nationaux et les réserves naturelles ou sur les arbres (article L. 581-4 I du code de l’environnement) !
– à l’interdiction, pourtant fondamentale, de la publicité en dehors des d’agglomération (article L. 581-7 du code de l’environnement) ;
– dans les agglomérations, à l’interdiction de la publicité aux abords des monuments historiques et dans les périmètres des sites patrimoniaux remarquables (si un RLP n’y déroge pas) (article L. 581-8 du code de l’environnement) ;
– dans les agglomérations, aux « prescriptions réglementaires, notamment en matière de densité, de surface et de hauteur » (article L. 581-9 al. 1 du code de l’environnement). Il deviendra ainsi notamment possible de placer des bannières sur les « installations d’éclairage public », ce qui est en principe totalement prohibé (article R. 581-22 du code de l’environnement). Le projet de loi précise simplement qu’il sera nécessaire de « prévenir les éventuelles incidences sur la sécurité routière » (article 3) ;
– à la réglementation plus restrictive (ce qui est très fréquent) édictée par les règlements locaux de publicité (interdiction par exemple de la publicité sur les quais de Seine, aux abords de l’Arc de Triomphe…) (voir notamment le RLP de Paris) ;
– à l’interdiction ou à la réglementation de la publicité sur les véhicules terrestres ou les bateaux (article L. 581-15 du code de l’environnement).
Ces dérogations sont consenties à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi olympique - soit dès 2018 comme le précise l’étude d’impact - et jusqu’au quinzième jour suivant la date de la cérémonie de clôture des jeux Paralympiques, soit le 30 septembre 2024, donc pendant 7 ans.
La condition que cette publicité ait lieu à « l’occasion d’opérations ou d’événements liés à la promotion, la préparation, l’organisation ou le déroulement des jeux » ne semble pas très opérationnelle. Seront déjà, a minima, concernées, outre Paris, sa banlieue, et Versailles, toutes les villes accueillant une épreuve des JO : Nice, Bordeaux, Lyon, Saint-Etienne, Marseille, Toulouse, Lille, Nantes. Et tout autre lieu où une « promotion » quelconque des JO sera réalisée, ce qui est finalement assez tautologique…
La possibilité, toute théorique, pour « l’autorité compétente en matière de police » de « s’y opposer » n’est pas plus satisfaisante. Cette autorité est en effet, presque toujours, la ville hôte, liée par un contrat avec le COJO…
Les villes sont en effet autorité de publicité dès lors qu’elles sont dotées d’un Règlement local de publicité (RLP). C’est ce que précise l’étude d’impact du projet de loi (point 4.2, p. 26 et point 4.4, p. 27) : « Dans tous les cas, l’installation des dispositifs et matériels est subordonnée au dépôt d’une déclaration auprès de l’autorité compétente (le maire ou le président de l’EPCI s’il existe un RLP ou les services de l’État sinon) ». « Dans le cadre des pouvoirs de police qui leur sont conférés du fait de l’adoption d’un RLP, les collectivités territoriales devront veiller au respect de la bonne mise en œuvre des autorisations accordées. Il s’agit a priori de Paris, Saint-Denis et Paris Terre d’envol. A ce jour, les communes du Bourget, et de Dugny ne disposent pas d’un RLP. »
Consulter l’étude d’impact du projet de loi olympique
Or, l’article 23 du contrat type de « ville hôte » - démontrant l’inefficacité du contrôle prévu - prévoit que « la Ville hôte, le CNO hôte et le COJO s’assureront que les dispositions de la Charte olympique et du chapitre Protection des droits des Conditions opérationnelles du HCC [Host City Contract] relatives à la propagande et à la publicité sur les Principaux sites olympiques et plus généralement aux Jeux sont respectées. » Le contrôle de la publicité par les municipalités est donc celui que le COJO voudra bien autoriser.
Consulter le contrat type de ville hôte
L’étude d’impact (point 4.4, p. 27) considère que, « pour les particuliers, ces dispositions viendront temporairement modifier leur cadre de vie environnant par des nuisances visuelles, lorsqu’une opération ou un événement liés à la promotion, la préparation, l’organisation ou le déroulement des jeux Olympiques ou Paralympiques le justifiera. Le pavoisement pourra s’impose dès l’année 2018 (à la promulgation de la loi) et jusqu’à quinze jours après la fin des jeux paralympiques. »
Le Conseil d’État, consulté pour avis, souligne « l’ampleur et la durée » des dérogations relatives aux publicités du COJO, qu’il juge même « faiblement étayées dans l’étude d’impact ».
Consulter l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi olympique
• Dispositions dérogatoires du projet de loi olympique relatives aux marques "partenaires" des JO
Par ailleurs, de la publicité pure et simple « des partenaires de marketing olympique » (jouissant d’un monopole temporaire) peut être autorisée « dans un périmètre de 500 mètres de distance de celui de chaque site lié à l’organisation et au déroulement des jeux », ce qui représente au minimum 78 hectares autour de chaque site... Il s’agit là d’une illustration du modèle passablement schizophrénique adopté par le CIO, qui considère la publicité dans l’enceinte même des stades comme incompatible avec l’esprit olympique, mais matraque cette même publicité à 500 m à la ronde !
Seront ainsi concernées les villes accueillant des « sites de compétition » : Paris, Saint-Denis, Versailles, Nice, Bordeaux, Lyon, Saint-Etienne, Marseille, Toulouse, Lille, Nantes ; mais aussi les « zones de célébration » (Étude d’impact, point 2, p. 29), qui peuvent être en tout lieu…
Cette publicité dérogatoire et monopolistique sera subie « pendant une période comprise entre le trentième jour précédant celui de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques 2024 [fixée au 2 août] et le quinzième jour suivant la cérémonie de clôture des jeux Paralympiques [fixée au 15 septembre 2024] » (article 4) soit pendant 3 mois (de juillet à septembre 2024), alors que le comité de candidature n’en avouait qu’un !
Cette publicité des « partenaires » peut déroger aux interdictions d’affichage :
– sur les monuments naturels et dans les sites classés (interdiction en principe absolue), sans aucune condition (article L. 581-4 du code de l’environnement) ;
– sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques (autre interdiction en principe absolue) accueillant des compétitions, même lorsque ceux-ci ne sont pas en travaux. L’installation des publicités se fera avec l’accord de la DRAC (article L. 621-29-8 du code du patrimoine), juge de la compatibilité du message avec le monument (article R. 621-90 du code du patrimoine)…
– dans les agglomérations, à l’interdiction de la publicité aux abords des monuments historiques et dans les périmètres des sites patrimoniaux remarquables (si toutefois un RLP n’y déroge pas) (article L. 581-8 du code de l’environnement) ;
– à la réglementation plus restrictive, très fréquente, édictée par les règlements locaux de publicité.
L’étude d’impact considère que, « pour les particuliers, les publicités installées par les partenaires de marketing olymique pourront générer des nuisances visuelles, et éventuellement sonores, pour la période des jeux, un mois avant le début des jeux olympiques et jusqu’à quinze jours après la fin des jeux paralympiques » (point 4.5, p. 31), mais que ces nuisances seraient justifiées puisque « les recettes de publicité alimenteront le budget du COJO (budget du COJO : 3,8 milliards d’euros, recettes publicitaires : 1,26 milliards d’euros) » (point 4.3, p. 30), sans préciser la part de la publicité audiovisuelle dans ce chiffre, que l’on imagine pourtant prépondérante.
Le projet de loi olympique, bafouant les dispositions les mieux établies du code de l’environnement, est d’autant moins acceptable que la question des contreparties demandées (déplacement du mur pour la Paix du Champ de Mars et démolition du moulin de Saint-Cyr de Versailles) ne font, à ce jour, l’objet d’aucun engagement de la part du COJO (lire l’article du Journal des Arts).
Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments
Pour consulter nos propositions d’amendements (Sénat, commission)
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