« Aucun siècle n’a jamais produit autant d’éléments déterminants pour notre histoire, et aucun siècle ne les a aussi rapidement détruits » (communiqué de presse du ministère de la Culture du 26 juin 1985).
En juillet 2015, l’Ecole Nationale Supérieure Maritime, qui forme les officiers de la marine marchande sur le site du Havre a quitté ses locaux situés 66 route du cap à Sainte-Adresse, une commune voisine, qui l’ont abrité plus de cinquante ans. L’école est désormais implantée dans un bâtiment à l’architecture contemporaine qui trouve sa place sur les docks dans un quartier en pleine réhabilitation sur le port du Havre. Les bâtiments de l’ancienne école avaient été construits spécifiquement pour les besoins de formation des élèves et incluaient, outre des salles de cours, une passerelle avec des instruments d’observation pour la navigation et une salle des machines comprenant un ensemble de machines à vapeur en fonctionnement réel spécifiquement installés pour l’enseignement des élèves officiers.
Victime collatérale du développement du numérique qui a bouleversé les méthodes d’enseignement, les bâtiments et les machines qu’ils abritent sont abandonnés au profit des simulateurs plus modernes de la nouvelle école, répondant aux besoins pédagogiques actuels. Pourtant, cet ensemble unique est encore en parfait état de fonctionnement, entretenu par l’utilisation régulière depuis sa construction et depuis le départ de l’école par la Société TwT qui propose des sessions de formation à destination des industries utilisatrices d’installations à vapeur de forte puissance (pétrochimie, cogénérations, incinération de déchets…). Car les machines peuvent encore servir de support d’enseignement comme le démontre le calendrier bien rempli de l’association.
Néanmoins, les bâtiments de l’école sont situés face à la mer, sur des terrains à forte valeur immobilière du cap de la Hève, si bien que la municipalité de Sainte-Adresse a décidé qu’ils feraient l’objet d’une reconversion en immeubles d’habitation. Dans ce contexte, l’urgence est à l’inventaire des éléments de nature patrimoniale aussi bien sur le plan de l’architecture que sur celui de l’histoire technique et de l’enseignement et à leur protection. Car, dans le projet tel qu’il est actuellement constitué, les machines disparaissent totalement et les autres bâtiments sont profondément transformés par leur réaffectation en résidence de standing. Or, il n’existe pas d’autre témoignage de cet équipement d’enseignement en France.
Histoire de l’Ecole
La position clef du Havre et de son port à l’embouchure de l’estuaire de la Seine explique qu’il s’agisse d’une des premières villes à posséder une école d’hydrographie, dès 1665. Contemporaine des écoles de Dieppe, Saint-Malo et Rochefort, créées à la même période, cette école fonctionna sans interruption jusqu’en 1940, lorsque l’occupation allemande, puis le terrible bombardement de la ville, entraînèrent sa fermeture momentanée. Toutefois, dès 1949, une école d’hydrographie provisoire reprenait son fonctionnement dans un bâtiment quai Casimir Delavigne. Les installations y étaient toutefois insuffisantes et c’est ce qui décida la construction d’une nouvelle école par les pouvoirs publics.
En 1954, le plan de rénovation de la Marine marchande, initié par la IVe République, acte la création de l’école, qui ne trouve toutefois pas place sur le territoire de la ville du Havre car les élus municipaux sont alors opposés à ce projet. L’école est donc bâtie dans une commune à proximité, située à la pointe du cap de la Hève, marquant l’extrême limite de l’estuaire de la Seine. Les directeurs qui supervisent le projet sont à l’époque M. Pouchat et M. Bretonnel. Les architectes qui vont dessiner les bâtiments sont Roger Hummel, (voir sa fiche) architecte en chef au Ministère de la Marine marchande et Abraham Weinstein, son collaborateur.
Lorsque l’école est achevée en 1961 et reçoit ses premiers élèves en octobre, son sous-directeur, M. Pontoizeau, la décrit ainsi : "L’école se compose de cinq blocs de bâtiments dans lesquels rien n’a été ménagé, tant pour l’efficacité de l’instruction qui y est dispensée, que pour le confort et l’agrément des élèves qui y vivent. De plus l’esthétique de cet ensemble architectural est telle que, en respectant le caractère moderne de la cité rebâtie, elle possède ce cachet maritime que se doit d’avoir une véritable école de navigation : qui donc ne pense, en la voyant de jour, ou mieux le soir lorsque toutes les fenêtres du bâtiment principal sont éclairées, à un immense paquebot qu’un caprice du Dieu Neptune aurait hissé sur la falaise ?"
Jacques Lalanne, Professeur de l’enseignement maritime
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