Des archives au cœur de la cité
Les Archives départementales des Hautes-Pyrénées occupent actuellement trois sites dont le principal, 5 rue des Ursulines à Tarbes, à quelques pas de la cathédrale, abrite un édifice majeur de l’architecte départemental Raoul Fourcaud, inauguré en 1937.
Manifeste d’un art de bâtir nourri aux principes rationnels du mouvement moderne, le bâtiment respecte dans un même élan les codes d’une architecture officielle qui emprunte volontiers à la tradition classique, comme en façade les hautes travées verticales disposées symétriquement de part et d’autre d’un avant-corps central, ou le porche à colonnes de l’entrée sud. Les lignes strictes et rigoureuses de l’ensemble sont adoucies par des détails typiquement « art déco », qui ne permettent pas à l’édifice de cacher son âge.
L’édifice se distingue également par la présence de rayonnages autoporteurs en tôle d’acier laquée, qui participent à sa structure globale et autorisent des planchers de faible épaisseur tout en optimisant l’espace des magasins. Il fait ainsi partie des exemples pionniers de bâtiments d’archives à employer ce procédé innovant produit par les Forges de Strasbourg (Strafor), qui se développera massivement après la Seconde Guerre Mondiale.
A ces titres, et malgré les transformations ultérieures nécessitées par les besoins d’un meilleur fonctionnement et accueil du public, l’édifice mérite certainement une reconnaissance patrimoniale, à l’instar d’autres œuvres — comme le Centre culturel et sportif Léo Lagrange de Séméac — de Raoul Fourcaud, important architecte tarbais du XXe siècle.
Aujourd’hui saturés, ces espaces nécessitent la construction d’un nouvel édifice respectant les normes actuelles de conservation des documents. A contre-courant de nombreux exemples récents d’édification de bâtiments d’archives, le Conseil départemental des Hautes-Pyrénées a fait le choix de les disposer au cœur de la cité : une décision séduisante, qui peut s’interpréter comme une volonté de créer un lien plus étroit entre une institution et les habitants d’un département qu’elle représente. Pour certains, une question reste en suspens : le site élu, celui de l’ancienne Ecole normale de Filles, 6 rue Eugène Ténot à Tarbes, est-il apte à remplir cette mission ?
L’Ecole Normale de Filles : un édifice protégé du patrimoine tarbais… jusqu’à nouvel ordre ?
Elément remarquable dans la rue Eugène Ténot et le quartier alentour, l’édifice de l’ancienne Ecole Normale de Filles a été dessiné par l’architecte départemental Félicien Larrieu en 1881. Il occupe une vaste parcelle bordée de hauts murs en limites est et ouest, à 200 m au sud du jardin Massey. Son originalité vient de son plan non compact, constitué d’une série de corps de bâtiments de hauteurs différentes, couverts d’ardoise, qui se déploient en forme de H et dialoguent avec autant de cours-jardins. Les détails de la modénature — accentuée par les encadrements des baies élégamment travaillées et les chaînes d’angle en pierre grise locale — renforcent l’aspect monumental de l’ensemble.
L’appareil, en très bon état, se distingue par une taille soignée : les parties de la pierre qui apparaissent plus claires sont bouchardées. Sur la photographie de droite on voit que les chambranles des encadrements sont partiellement chanfreinés : un détail à la fois décoratif et utilitaire, permettant d’optimiser l’entrée de lumière naturelle à l’intérieur de l’édifice.
Pour les besoins des administrations qu’elle abrite aujourd’hui (dont une partie des Archives départementales) l’intérieur de l’école normale a été modifié. Certains éléments d’origine sont toutefois toujours en place, comme les deux principaux escaliers d’accès aux étages ainsi que des éléments de menuiserie de second œuvre, portes et volets intérieurs.
Témoin majeur de l’histoire de l’éducation dans les Hautes-Pyrénées, l’Ecole normale de Filles fait ainsi partie des équipements abritant des institutions à caractère national qui ont été édifiés tout au long du XIXe siècle sous la conduite des architectes départementaux, responsables de la mise en place d’un art monumental officiel et garants de ses qualités constructive et stylistique. Les écoles normales, maillons essentiels à l’instruction publique, en faisaient pleinement partie. Elles connaissent à l’heure actuelle des « secondes vies » qui permettent des reconversions pertinentes, à partir de programmes très divers.
Le patrimoine architectural tarbais, plus raréfié que dans d’autres villes de taille équivalente malgré une très riche et ancienne histoire urbaine remontant à l’Antiquité, est précieux : à cet égard, comme dans le cas d’autres édifices récemment réhabilités avec soin — citons l’Arsenal ou le Haras — l’Ecole normale de la rue Eugène Ténot mérite une attention particulière.
Une révision contestée du Plan Local d’Urbanisme
Protégé au sein d’une parcelle identifiée comme EPP n°10 (Elément du Paysage à Préserver) au sein du PLU de Tarbes, l’édifice de l’Ecole normale ne peut en principe pas être détruit. En principe, car la révision en cours, soumise à enquête publique, tend à autoriser une conservation a minima — le seul corps central de l’édifice— qui ne permet pas d’en respecter l’intégrité. Les riverains, très directement concernés par les modifications à venir, ont été les premiers à réagir en pointant la rudesse de la proposition, les destructions inopportunes et les risques de densification excessive de la parcelle.
Le commissaire enquêteur sera nommé après les deux réunions publiques des 2 octobre et 25 novembre prochains (Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville, à 18h) mais les questions, remarques et réflexions s’accumulent dans les registres dédiés — voir ici la contribution de Sites & Monuments. Nombreux sont ceux qui mentionnent leur fort attachement à l’édifice et soulignent la présence bénéfique de ses jardins et des beaux arbres qu’ils contiennent. La parcelle occupée par l’Ecole normale, très arborée, fait en effet partie de la trame verte de la ville de Tarbes et permet des cheminements piétons aussi agréables qu’efficaces, dont le maintien, renforçant l’urbanité du lieu, est fortement souhaité.
En tenant compte des besoins induits par le programme, ne peut-on pas imaginer d’autres solutions que celle à laquelle incite la révision du PLU (voir ici l’exposé des motifs) ? Si l’on veut permettre une réhabilitation pertinente de l’édifice existant, n’en conserver qu’un fragment a peu de sens : c’est dans son ensemble que l’édifice possède une valeur patrimoniale, en adéquation avec le site et le quartier dans lequel il s’inscrit.
Tarbes, comme Lourdes pour le département des Hautes-Pyrénées, bénéficie du programme « Action cœur de ville » du Ministère de la cohésion des Territoires, dont l’un des cinq axes concerne « la mise en valeur des formes urbaines, de l’espace public et du patrimoine ». Au moment où débute ainsi une série d’actions qui y répondent, il semble opportun que le projet des Archives départementales se distingue par son exemplarité, à l’appui d’une proposition cohérente et conciliatrice.
« Faire le plus possible avec, le moins possible contre »
Devise fameuse du paysagiste Gilles Clément définissant sa philosophie jardinière, elle pourrait avantageusement s’appliquer à la réhabilitation architecturale, dans une perspective qui serait à la fois patrimoniale et environnementale, en respectant les qualités de l’existant comme le sens et l’agrément que cela apporte à notre quotidien.
Les bâtiments d’archives voient aujourd’hui leur fonction évoluer en donnant une part plus importante à la médiation des documents conservés, vers un public plus diversifié. Ils tendent à devenir de véritables édifices d’équipement culturel qui participent ouvertement à façonner l’image d’un département. Dans le cas qui nous occupe, le défi est donc double : contenant et contenu appartiennent à la mémoire collective des Tarbais comme des Haut-Pyrénéens et l’exercice du projet va être intimement lié, en plus de la prise en compte urbaine, spatiale et matérielle d’un bâti remarquable, en plus du respect d’un programme, à la compréhension la plus fine possible de ce contexte où s’imbriquent plusieurs formes de patrimoine.
Un exercice particulièrement exigeant et... délicat ? Sans aucun doute, et dans l’intérêt de tous il importe qu’il soit réussi.
Sophie Descat, Déléguée de Sites & Monuments pour les Hautes-Pyrénées
Références :
– Geneviève Lizotte-Celhay, « La création et développement de l’Ecole normale de Jeunes Filles de Tarbes (1883-fin XXe siècle) », Bulletin de la Société Académique des Hautes-Pyrénées, 2008-2009, p.98-142.
– Nathalie Simonnot et Rosine Lheureux (dir.), Architectures et espaces de la conservation 1959-2015, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2018.
– http://www.architecture65.net/
– http://www.archivesenligne65.fr/
Lire l’exposé des motifs de la révision allégée du PLU de Tarbes
Lire la contribution de Sites & Monuments à l’enquête publique