La Picardie, qui a été l’une des régions les plus meurtries par la Première Guerre mondiale, a connu une période de reconstruction particulièrement intense dans le domaine de l’art sacré. Saint-Quentin, au même titre que Reims, est une des villes les plus importantes pour l’Art déco : toutes deux ont en grande partie été reconstruites dans ce style après la Grande Guerre. La chapelle Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus de Neuville à Saint-Quentin, plantée au cœur d’un quartier ouvrier a remplacé une chapelle de 1898 détruite durant la guerre. Située sur un petit promontoire dans le faubourg d’Isle, elle constitue un des chefs-d’oeuvre qui illustre cette période de renouveau de l’après-guerre.
Le curé de la paroisse, l’abbé Cotteret a utilisé les dommages de guerre et mobilisé la générosité des paroissiens pour financer cette reconstruction. La chapelle a été édifiée entre 1934 et 1937 par l’architecte saint-quentinois Narcisse Laurent, auteur également de cités ouvrières et d’usines, de l’hospice Cordier (récemment détruit) et de la Caisse d’épargne dans la même ville de Saint-Quentin. Laurent fait largement appel au béton – rapide à mettre en œuvre - qu’il conjugue ici à la brique de pays, avec lequel il produit des effets de bichromie et au ciment-pierre, d’un emploi économique, selon la tradition architectonique régionale du brique et pierre. Ce béton permet d’asseoir la vaste coupole qui coiffe cet édifice à plan centré, l’une des originalités du bâtiment. À l’extérieur, l’ossature nervurée du dôme en béton armé est apparente. À l’intérieur, le tambour ajouré de la coupole est décoré de vitraux qui apportent une lumière zénithale colorée au centre de la chapelle.
Cette construction, marquée par la simplification du style Art Déco, marque le point final de l’entreprise de reconstruction de Saint-Quentin, dont les cérémonies se tinrent à la fin de l’année 1934 (Frédéric Pillet de la direction du Patrimoine de la ville de Saint-Quentin a publié une étude détaillée du bâtiment vers laquelle nous renvoyons au bas de ce document).
Les chapelles latérales sont éclairées par les vitraux du maître-verrier lillois F. Schutze (1936-1937) et représentent saint Quentin, le Sacré Cœur de l’Enfant-Jésus d’un côté et de l’autre saint Éloi, saint Louis, Notre-Dame de France et sainte Jeanne d’Arc.
La vente aux enchères de ces vitraux par le diocèse, qui devait avoir lieu le 30 novembre 2021, a été suspendue grâce à l’intervention de la mairie et avec l’aide de notre association, alertée par un article de La Tribune de l’Art.
Quelques éléments remarquables de mobilier comme l’autel ou la chaire sont heureusement restés en place, mais les autres ont disparu.
Au-delà de cette vente de vitraux, le projet final de l’évêché, propriétaire de la chapelle Sainte-Thérèse, construite après la loi de 1905 reste la vente. Désacralisée et désaffectée depuis 2010, cette vente est programmée depuis 2012. Depuis lors, le diocèse de Soissons aurait tenté de trouver des repreneurs mais sans succès. Tous proposaient de conserver l’église, mais le coût de la restauration les en aurait dissuadés. Depuis février 2022, Sainte-Thérèse serait vouée à la démolition. Le projet du diocèse est, en effet, de céder le lot qui comprend outre l’édifice religieux, un terrain constructible aux abords de près de 5000 m2, via Édouard Denis Immobilier, à l’Office Public de l’Habitat de l’Aisne, organisme public prévoit une démolition pour construire des HLM.
Les habitants de Saint-Quentin, sa municipalité, La Tribune de l’art et Sites & Monuments s’en sont émus. Cet édifice ne bénéficiant d’aucune protection au titre des monuments historiques, notre association a saisi la DRAC des Hauts-de-France, particulièrement réactive et attentive qui devrait statuer sur notre demande de protection avant fin décembre 2021 afin d’en empêcher la destruction. Voir ci-dessous :
Parallèlement , vu l’urgence de la situation, nous avons envoyé un courrier au ministère de la Culture pour solliciter une instance de classement.
Enfin, nous avons également demandé à l’évêché d’intervenir :
Les menaces immédiates ayant été repoussées, la question d’une sauvegarde pérenne de l’église reste entière. Une concertation sur la destination de l’édifice, autre que cultuelle est nécessaire. Par ailleurs, la ville de Saint-Quentin envisage de solliciter le mécénat pour abonder les financements publics nécessaires à la restauration. À terme, il serait souhaitable que le mobilier dispersé dans d’autres églises et qui pourrait avoir un fort lien historique avec Sainte-Thérèse, revienne à son lieu d’origine.
Dès les années 1990, la DRAC des Hauts-de-France a été pionnière dans la protection au titre des Monuments historiques de ce type d’édifice religieux de la Première Reconstruction. Il s’agit aujourd’hui de poursuivre cette politique avec tous les acteurs concernés, élus et habitants, associations et partenaires, pour déboucher sur un projet de réutilisation respectueux de ce chef-d’œuvre abandonné.
Anne de Cherisey, déléguée régionale de Sites & Monuments pour les Hauts-de-France
Pièce jointe
Étude détaillée du bâtiment par Frédéric Pillet de la direction du Patrimoine de la ville de Saint-Quentin