Le Boischaut méridional est un petit territoire du sud de l’Indre, aux confins du Berry et de la Marche, marqué par une très forte identité bocagère. C’est l’un des cinq plus beaux bocages de France. C’est aussi le pays qu’aimait George Sand, mais également Monet, les Impressionnistes, et plus récemment Axel Kahn, qui en parlait en ces termes : « C’est même pour moi un des plus beaux lieux de France, et par conséquent du monde. » Alors, faisons en sorte qu’il le reste...
La première source d’émerveillement qui touche le visiteur de passage, ou toute personne qui s’installe ici, c’est l’abondance des paysages bucoliques. Autre source d’étonnement, le ciel nocturne. Vous sortez dans votre jardin et en levant les yeux, vous contemplez des milliers d’étoiles. L’absence de pollution lumineuse permet cette vue, qui ne résisterait pas aux feux de balisage de l’éolien industriel. Il suffit de transférer mentalement ici ce que l’on peut déjà voir dans certaines régions de France ou d’Allemagne, des séries de flashes sur l’horizon, à différentes hauteurs selon la distance et la taille des aérogénérateurs –dont certains en projets, à Cluis et Maillet, dépassent déjà les 200 m en bouts de pales. C’est aussi l’âme d’un paysage qui nous fait vivre.
Mais certains industriels n’ont pas d’autre choix que de détruire cette âme, le produit qu’ils vendent étant trop souvent incompatible avec sa préservation. C’est donc une lutte sans merci à laquelle nous assistons, et où un paysage, un cadre de vie, une identité locale, une appropriation sociale d’un lieu, peuvent disparaître. Lorsque nous combattons un projet éolien ici, c’est parce que nous savons qu’il y en a dix autres derrière, parce que chaque nouveau projet est pire que le précédent en hauteur, et qu’ils se cumuleront tous en un mitage final désastreux. L’intérêt général n’est pourtant pas la propriété exclusive des promoteurs éoliens.
Un pays ne saurait davantage se résumer à trois pales fournissant un peu d’électricité intermittente, sans même un enjeu pour le climat dans le cas de la France. L’intermittence, on le sait maintenant, ne permet pas de diminuer la somme globale des moyens pilotables installés d’un mix électrique, en raison de sa capacité garantie trop proche de zéro. Les moyens intermittents sont donc voués à n’être que des surcapacités installées, un éternel doublon du mix électrique pilotable. En plus de ce doublon, certains envisagent de changer l’équilibre des moyens pilotables en supprimant du pilotable décarboné. Nous aurions donc recours au gaz naturel.
Ce manque de pertinence et de résultat CO2, ces efforts financiers disproportionnés dirigés vers un enjeu climat anecdotique pour la France, sont de plus en plus mal acceptés par les populations impactées. On obtient peu en bénéfices CO2, voire on va dégrader ceux de notre mix électrique et, en échange, on prend sans mesure, sans vergogne et partout, à ces mêmes populations : leurs paysages seront dégradés, tout comme leur qualité de vie, le jour et la nuit. Sans même parler des projets de vie, qui s’écroulent partout, dans des cadres devenus bien trop mouvants au regard des nuisances. Le déséquilibre est immense, l’écoute inexistante, la législation est dictée par les entreprises de l’éolien, c’est un mélange délétère. On ne pourra continuer indéfiniment ainsi.
Aujourd’hui, le territoire défendu par notre association est confronté à plusieurs projets éoliens industriels, dont certains sont en phase de recours, à Lourdoueix Saint Michel, à Montchevrier, et pour le plus ancien d’entre eux, à Orsennes. Nous les aborderons ici successivement.
Lourdoueix-Saint-Michel, projet éolien « Les Bouiges », VALECO
Le projet éolien « Les Bouiges », porté par VALECO, est situé sur un point haut de l’Indre. L’autorité environnementale souligne que les effets d’écrasement n’ont pas été suffisamment évalués. Le cercle de visibilité, avec plus de 40 km de diamètre, est très étendu.
Le projet sera visible depuis et en même temps que l’église Saint-Michel, construite au XVe siècle et partiellement classée au titre des monuments historiques le 29 janvier 1912, située sur la commune de Lourdoueix-Saint-Michel. Il y aura également une covisibilité avec le site inscrit de la vallée des Deux Creuse, avec la Boucle du Pin, avec la boucle de la Creuse et ses abords, le village d’Eguzon et les rives de Chambon, situées sur les communes de Cuzion, Eguzon Chantôme et Saint-Plantaire.
Le point de vue remarquable entre Fresselines et la Charpagne, justement nommé « Beauregard », mettant en valeur le château du Puy Guillon, offre un panorama exceptionnel que le projet éolien dénaturera, alors même que la fréquentation touristique liée à l’héritage de Claude Monet est un élément incontournable de la région. Le projet éolien nuira aux investissements mettant en valeur cet héritage dans un but touristique, comme la rénovation de l’hôtel Lépinat à Crozant, qui accueillait les peintres venus de Paris.
Le projet « Les bouiges », joint aux autres projets éoliens alentour, qui se multiplient depuis, entraînera également un effet de mitage du bocage, particulièrement dense et beau dans cette zone. D’autant que les machines concernées sont toujours plus hautes, jusqu’à 210 mètres en bout de pale et avec des feux de balisage sur deux niveaux.
Montchevrier, SAS « Parc éolien de Montchevrier », EDF Renouvelables
Également situé sur un point haut départemental, le parc éolien de Montchevrier pourra être visible de presque partout dans un cercle de 32 km de diamètre. La vallée des peintres et le pays de George Sand seront impactés. La liste des risques d’intervisibilités et des covisibilités énumérées par l’étude d’impact est impressionnante. Lorsqu’on connaît la tendance de ces études payées par les promoteurs à minimiser l’impact des éoliennes sur les paysages, le pire est à craindre. La Basilique de Neuvy-Saint-Sépulchre, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, n’en sortira pas indemne.
Le promoteur avance que les éoliennes ne seront pas visibles aux abords immédiats de ce monument historique classé et dans la commune. Pourtant, celui-ci est bien visible dans le paysage environnant, et le son de ses cloches perdra de sa signification au milieu d’objets industriels captant toute l’attention des pèlerins. Le cercle de visibilité de l’étude d’impact (en vert) le suggère : les éoliennes pourront être visibles des environs de la Basilique Saint-Étienne.
Le château féodal de Cluis, les châteaux du Châtelier et du Breuil-Yvain, de la Prune-aux-pots, les restes du château de Crozant, seront également impactés. Le dolmen de la pierre à la Marthe, classé au titre des monuments historiques, le sera également. L’ABF estime d’ailleurs que l’appropriation sociale du lieu est mise en péril par le projet.
La commune de Montchevrier est un balcon, on y voit toute la région à des dizaines de kilomètres à la ronde ; le projet porté par EDF Renouvelables serait visible de la même manière. La Commission d’Enquête Publique de Montchevrier avait observé que, depuis la salle des fêtes du village, on pouvait distinguer les feux de balisage du parc éolien de Saint-Genou... distants de plus de cinquante kilomètres. D’autres parcs éoliens déjà en place, situés à plus de quarante kilomètres, ne laissent planer aucun doute sur le mitage de ce territoire. Il aura lieu et il sera agressif, si les différents projets sont réalisés.
Orsennes, projet éolien « Ferme éolienne des Besses », ABO WIND
C’est le premier projet en date intervenu sur le territoire protégé par l’association « Vivre en Boischaut ». Il impactera un ensemble paysager remarquable et densément patrimonial, qui totalisait 450 000 visiteurs en 2010 comme le signalait l’avis de l’ABF en détaillant la liste des atteintes au patrimoine occasionnées par le projet de la société ABO WIND. Le projet éolien sera en co-visibilité du Châtelier, monument classé situé à 3,3 km du futur parc. Sera également impacté, à 4,4 km, le château inscrit au titre des monuments historiques du Breuil-Yvain. Il existera également une co-visibilité depuis l’allée menant au châtelet d’entrée et le projet éolien, à l’arrière-plan. Le haut des mâts, les nacelles et les pales, seront nettement visibles.
Depuis les abords immédiats de l’église inscrite de Saint-Pierre de Dampierre, il y aura une co-visibilité avec le projet éolien situé à 4,9 km. L’église Saint-Martin d’Orsennes, également inscrite, située à 5,1 km, sera en co-visibilité avec la Zone d’implantation potentielle (ZIP). L’église Saint-Paxent de Cluis, inscrite au titre des monuments historiques, sera aussi concernée par la ZIP depuis au moins deux points de vue importants : depuis le viaduc de l’Auzon, sur le parcours de grande randonnée 654 et le chemin de Saint-Jacques de Compostelle allant de Vézelay à Ronceveaux. Un ample panorama lie ainsi le clocher de Saint-Paxent au site d’implantation des éoliennes.
L’effet de surplomb des éoliennes sur le val créera un effet d’écrasement intense et perturbant. Depuis le hameau de La Folie, situé à 6,4 km du projet, un ample panorama liera encore le clocher de Saint-Paxent au projet éolien avec la même discordance d’échelles. Le village de Gargilesse, labellisé "plus beau village de France" et comprenant 3 monuments historiques classés, se situe à 6,9 km du projet. S’il est en lui-même préservé, son approche, notamment du fait des routes panoramiques qui y mènent, serait associée aux éoliennes. L’église Saint-André de Chavin, monument historique inscrit, se positionnerait dans l’axe d’implantation des mâts. L’effet de chevauchement avec les pales serait d’un effet particulièrement agressif.
Malgré un bocage dense constitué de petites parcelles, que les promoteurs éoliens évoquent souvent comme un "écran" protecteur efficace, la réalité sera plutôt celle-ci : une succession remarquable de panoramas, avec les plus belles vues du boischaut méridional, sera abîmée. Notons que, pour le projet éolien de la « Ferme des Besses », l’étude d’impact a été conduite par le bureau d’étude Biotope, qui réalise une grande partie de son chiffre d’affaire avec l’éolien. Ça va mieux en le disant.
La première mouture du Schéma régional éolien (SRE), planifiant le développement de l’énergie éolienne, avait exclu sa présence dans les zones à enjeux majeurs régionaux comme dans le pays de George Sand, d’une valeur culturelle internationale. La filière éolienne s’est alors plainte de la Région Centre, où ses objectifs ambitieux se heurtaient à des zones trop petites ou trop morcelées. Mais, après concertation - ou plus exactement lobbying -, le pays de George Sand pourra finalement accueillir des projets éoliens : « Par la suite, la concertation et le souci de cohérence aux « frontières » régionales et départementales ont conduit à revoir, au cas par cas, le zonage de certains secteurs a priori exclus (sud de l’Indre et du Cher notamment) ». Si « La structure géomorphologique du Boischaut méridional induit une forte sensibilité vis-à-vis de l’éolien, le souci de la cohérence avec les régions limitrophes au Sud (Poitou-Charentes, Limousin), où des ZDE ont été créées, conduit à y envisager des projets éoliens, à condition qu’ils soient conçus avec une très grande attention pour l’environnement » (SRCAE du Centre, juin 2012). Avec une telle prescription, on pourra évidemment installer des éoliennes n’importe où...
Ces trois projets éoliens, et d’autres encore, s’inscrivent dans un triangle d’or entre Saint-Gaultier, Montlevicq, et Crozant/Fresselines. Celui-ci présente une unité paysagère marquée et bénéficie d’un patrimoine culturel et historique important. Il doit par conséquent être protégé, au nom de l’intérêt général.
RF, @Fragren36
Muriel Toulant-Carrouget, @ToulanM
Pierre Dumont, Président de Vivre en Boischaut, association adhérente de Sites & Monuments