Nous sommes ici dans le Gers, pays de cocagne, des noms qui font rêver : Fleurance, Lectoure, Condom et son abbatiale, la Collégiale de La Romieu site classé à l’UNESCO… un pays où passent chaque année 12000 pèlerins sur le principal Chemin de Saint Jacques de Compostelle : la via Podensis venant du Puy-en-Velay, qui est un Bien UNESCO.
Dans ce pays aux sensibilités paysagères et patrimoniales fortes, à Marsolan une décharge sauvage en bordure immédiate du Chemin de Saint Jacques s’est insidieusement créée au fil des ans.
Dans cette décharge qui s’est ainsi étendue au fil des ans avec l’accord implicite des autorités municipales, l’on trouve un peu de tout : des gravats, des ordures industrielles et agricoles de toutes natures (paille dégradée, un peu compostée d’où s’échappent des jus malodorants), anciennes conduites de béton, barriques de fer ou de plastique, vieux baraquements, bennes, tôles, tuiles, pylônes, matériaux récupérés sur des bâtiments ayant brûlé, un bric-à-brac … des remorques et parfois des camions à benne y stationnent.
Ce « un peu de tout » appartient à une entreprise de travaux agricoles. Le va-et-vient d’engins lourds et de camions semi-remorques est à lui seul une menace pour les pèlerins qui, avant d’emprunter le chemin lui-même, sont obligés de passer sur la voie publique étroite, un chemin communal, par lequel transitent ces engins le long du GR65, sur près de 200 mètres.
Les courriers envoyés aux autorités afin de porter à leur connaissance ces nuisances sont restés lettre morte.
L’exploitant de cette décharge sauvage veut désormais construire en lisière du chemin de Saint Jacques de Compostelle deux hangars couverts de panneaux photovoltaïques, son objectif étant de masquer la décharge sauvage et l’entreposage de bennes par douzaine dans un volume gigantesque de 1300 m2 d’emprise au sol sur près de 9 m de hauteur et de centraliser ses activités commerciales d’entreprise de travaux et de négoce de paille près de son domicile, tout en bénéficiant des avantages procurés par cette installation photovoltaïque.
Tout cela serait rendu possible par l’opérateur éolien-photovoltaïque Arkolia, celui qui en 2019 voulait implanter 400 ha de photovoltaïque au sol et une usine de méthanation en plein Larzac et en plein Grand Site de France Cirque de Navacelles.
Cet opérateur est cependant de mauvais conseil, pour les raisons suivantes :
- d’abord s’agissant du choix du site : le terrain a été classé en zone naturelle dans un souci de sauvegarde et afin de la préserver de constructions portant atteinte aux sols agricoles et forestiers ainsi qu’à la sauvegarde des sites, des milieux naturels et des paysages ;
- ensuite, le permis de construire délivré en zone naturelle est illégal car l’exploitant de la décharge n’est pas agriculteur.
C’est pourquoi Sites & Monuments déposera un recours auprès du Maire de Marsolan afin que soit retiré le permis de construire.
Sites & Monuments proposera en outre aux pouvoirs publics que, après remise en état du terrain aux frais de l’entreprise, celle-ci soit encouragée à :
- installer son activité commerciale dans une zone permettant la circulation de poids lourds, par exemple dans le bas de Lectoure sur la route de Fleurance ou encore, dans la zone industrielle de la commune de Condom, dans le respect de la loi, de l’environnement, de l’urbanisme, de la sécurité ainsi que des règles de la concurrence ;
- ou réhabiliter un des nombreux corps de ferme et bâtiments existants (rappelons l’objectif gouvernemental de "zéro artificialisation nette" !) dont l’accès serait suffisamment sécurisé pour permettre la circulation des poids lourds à distance du chemin de Saint Jacques de Compostelle.
En effet, c’est dans cette section du Chemin de St Jacques, également appelée ancien chemin rural dit de Condom, que se trouve un patrimoine bâti remarquable, incluant des monuments historiques inscrits ou classés.
Ainsi, de l’église romane des Templiers et des vestiges de la Commanderie d’Abrin (monument historique classé), située à 790 m :
Voir sur la base Mérimée le patrimoine de la région
Ainsi, également, de deux moulins à vent des 17ème et 18ème siècles, de plusieurs pigeonniers gascons, d’une hune (au dôme de pierre) qui figure dans un ouvrage sur les pigeonniers gascons (Pigeonniers et hunes du Gers, 2018, Michel Lucien, Ed Empreinte), des cabanes de vignerons au milieu des champs voisins ainsi que du clocher de Blaziert, sans oublier le château de Liet, château gascon transformé en ferme fortifiée (inscrit sur la base Mérimée) et dont le origines remontent au 13ème siècle, avec une vue directe sur le projet.
Au regard de ce patrimoine cohérent et paisible, propice au recueillement de l’âme, ce projet situé sur l’arrête d’une colline en aval d’une motte boisée et en amont d’une vallée au sud serait omniprésent où que l’on porte son regard, masquant les perspectives en totalité depuis le chemin, et dénaturant le principe même du pèlerinage de St Jacques.
Sites & Monuments constate enfin, à nouveau, que les Biens UNESCO en France sont insuffisamment protégés contre les entreprises dénaturant leur mission culturelle, et en particulier les entreprises de l’énergie, comme le démontre une fois de plus l’atteinte autorisée, par ce projet de construction de deux hangars photovoltaïques de 1 300 m2, aux « Chemins de Saint Jacques de Compostelle en France » (Bien culturel n°868 et 868 bis) inscrit sur la Liste du patrimoine mondial par l’UNESCO.
En l’espèce, l’agence reconnue par l’Etat français comme tête de réseau de ce Bien UNESCO, en charge de la qualification culturelle des itinéraires de pèlerinage et de la mise en valeur de leurs patrimoines, n’a pas su s’opposer à un projet dont la vocation réelle est de régulariser une infraction par l’insertion dans le paysage d’un objet photovoltaïque privatisé par l’auteur de cette infraction. Sites & Monuments saisira les ministres concernés de cette anomalie.
Sites & Monuments demande au maire de bien vouloir retirer le permis de construire accordé et de veiller plutôt, avec l’appui de l’Etat à travers la Préfecture et la Sous-Préfecture, à valoriser le chemin de Saint Jacques et son environnement patrimonial.
Bruno Ladsous