Le "Grand Pont sur la Loire" de La Charité-sur-Loire qui relie le centre ville au quartier du Faubourg a été édifié en bois à partir de 1525. Il fût reconstruit en pierre au XVIIe siècle par les architectes Berthe et Poictevin. De cette période de construction subsistent quatre des dix arches qui structurent ce pont long de deux cent dix mètres. En effet, au XVIIIe siècle puis à l’issue du second conflit mondial au cours duquel le pont fut bombardé par les troupes allemandes, l’ouvrage fût repris puis reconstitué à l’identique pour les trois premières arches. Inscrit au titre des Monuments Historiques depuis 2003, ce pont bénéficie également par sa place dans la commune de la Charité-sur-Loire d’un classement au patrimoine de l’Humanité de l’UNESCO au titre des chemins de Compostelle. Il se situe également à proximité de la Réserve Naturelle Nationale du Val-de-Loire.
Monument emblématique de la région, resté en activité, ce pont nécessite cependant une restauration importante. Les études techniques menées depuis plusieurs années (la dernière datant de 2011) ont en effet conclu à un état de vétusté préoccupant (éclatement des pierres, dégradation de la chaussée, décollement de bandeaux). L’usage fait de ce pont est un facteur non négligeable de sa dégradation : en effet, il supporte le trafic de la RN151 ce qui implique le passage de près de 10 000 véhicules par jour dont environ 1200 poids lourds. La municipalité de la Charité-sur-Loire (représentée par l’ancien maire Monsieur G. Gorce, sénateur de la Nièvre) en accord avec l’état et les services des Monuments Historiques ont proposé un projet impliquant la construction d’une passerelle attenante au pont dans le but de "sécuriser les personnes" et de se conformer aux exigences relatives à l’accessibilité des personnes à mobilité réduite mais surtout afin de faciliter la circulation de ces poids lourds sur le pont leur permettant ainsi de "se croiser".
Ce projet, théoriquement soumis à concertation publique ne recueille cependant absolument pas la faveur des Charitois : cette solution est la plus coûteuse des différentes alternatives proposées et sa capacité à résoudre les problèmes de sécurité des personnes est plus que discutable. Et la passerelle, bien que (soi disant) démontable viendra en tout état de cause modifier l’aspect de ce pont, la perspective sur la Loire et n’est en aucun cas respectueuse de "l’esprit du lieu". Car l’esprit de ce lieu, c’est avant tout celui d’un lieu de passage historique et spirituel, celui des chemins de Compostelle traversant Vézelay, la Charité-sur-Loire et Bourges, inscrits au patrimoine mondial de l’Humanité.
L’association du Faubourg en Loire (ADFEL) s’est mobilisée en rédigeant une pétition contre la construction de cette passerelle, pétition qui a, en trois semaines, recueilli 825 signatures. Par ailleurs, 3700 signatures ont approuvé l’idée de la création d’un deuxième pont sur la Loire et d’une déviation de La Charité. Elles ont été déposées en sous-préfecture de Cosne/Loire. Nous avons en outre informé les Préfets, l’Etat, la DIR Centre-Est, la DREAL, la SPPEF et l’UNESCO de notre opposition à l’édification cette passerelle dont le coût s’élève à 1 million d’euros. Enfin, un recours doit être déposé devant le Tribunal Administratif afin d’empêcher ce projet, avilissant pour ce monument historique, de voir le jour. L’idée de la déviation de la RN 151 hors de la Charité sur Loire n’est pas neuve : voilà trente cinq ans qu’elle fait l’objet d’études menées par les services de l’état qui ont abouti à une proposition de fuseau de 6 kilomètres de long, idée qui n’a pas reçu un accueil favorable dans le milieu associatif. L’ADFEL a pour sa part proposé la construction d’un pont de ville de 800 mètres de long (compatible avec les exigences des accords du Grenelle de l’environnement) afin de n’exécuter sur le Grand Pont que des opérations de restauration et de réparation visant à sa réhabilitation dans le dernier état historique connu. Plusieurs élus ont appuyé cette proposition, sans doute plus propre à satisfaire l’ensemble du bassin de vie de la Charité.
Les interventions proposées par l’état sur ce pont, en revanche sont porteuses de contraintes : en plus de défigurer le point de vue qu’il offre via une passerelle fort peu discrète, elles impliqueraient une interdiction du passage des piétons sur sa surface. Une telle mesure nous semble parfaitement inacceptable : 158 ponts traversent la Loire de sa source jusqu’à Nantes et aucun ne s’est vu adjoindre une passerelle contemporaine. Six d’entre eux sont également protégés au titre des Monuments Historiques. Il convient également de mentionner les risques encourus par la commune dans le cas de la mise en oeuvre d’un tel projet : celle-ci bénéficie de fonds nationaux et européens importants pour la restauration du prieuré Notre-Dame de la Charité-sur-Loire, chef d’oeuvre de l’art roman, inscrit sur la première liste des Monuments Historiques établie par Prosper Mérimée en 1840. Un tel projet pourrait remettre en cause le classement à l’UNESCO et l’image d’une commune qui défend et valorise son patrimoine médiéval depuis de nombreuses décennies. On ne peut que s’interroger sur l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France concernant ce projet qui s’inscrit, qui plus est, dans une ZPPAUP. Sans doute faudrait-il lui présenter d’autres alternatives, comme celle, proposée par l’ADFEL du contournement de la RN 151 permettant une réhabilitation plus humble et sans doute plus pieuse de ce monument historique ?
Hervé Acker