Tribune :
La proposition de la maire de Paris Anne Hidalgo de conserver les anneaux olympiques sur la tour Eiffel jusqu’en 2028 suscite une vive polémique. Pour Julien Lacaze, président de l’association Sites et Monuments, cette idée casserait l’harmonie du monument et romprait avec sa vocation d’accueillir temporairement les « peines et les joies » du pays.
« En tant que maire de Paris, la décision me revient et j’ai l’accord du CIO. Donc oui, les anneaux olympiques vont rester sur la tour Eiffel. » Cette déclaration à l’emporte-pièce d’Anne Hidalgo pose plusieurs questions… toutes tranchées depuis bien longtemps.
Une commune propriétaire d’un monument historique – la tour Eiffel a intégré ce club en 1964 – peut-elle en disposer à sa guise ? Dès les années 1830, les collectivités, soumises à la tutelle générale de l’État, ont été contraintes de respecter leurs monuments, au premier rang desquels se trouvaient les églises. Les préfets veillaient alors à l’application de circulaires ministérielles imposant aux communes le point de vue d’une commission des monuments historiques. La tutelle préfectorale, oubliée par la maire de Paris, existe ainsi depuis le règne du roi Louis-Philippe !
Plusieurs obstacles sur la route d’Anne Hidalgo
Administrativement, la modification de l’aspect extérieur d’un monument historique simplement « inscrit », comme la tour Eiffel (qui n’est curieusement pas « classée »), nécessite toujours un permis de construire. Celui-ci doit, en outre, faire l’objet de « l’accord » préalable des services déconcentrés du ministère de la culture, qui ont par conséquent le dernier mot. Il faudra ainsi surveiller la décision du préfet de la région Île-de-France, éclairé dans cette tâche par sa conservation régionale des monuments historiques. Cette décision peut être expresse, ou tacite, par un silence gardé pendant cinq mois.
Autre difficulté pour la maire de Paris, la publicité est interdite sur les monuments historiques depuis une loi du 20 avril 1910 votée à l’instigation de notre association, Sites et Monuments, fondée en 1901. Or, les anneaux olympiques, dont l’utilisation est jalousement protégée et monnayée par le Comité international olympique, constituent bien « une forme destinée à informer le public ou à attirer son attention », définition légale de la publicité.
Si la loi olympique de mars 2018 a créé une exception à cette règle, autorisant la publicité sur les monuments historiques associés aux Jeux, celle-ci prend fin quinze jours après la clôture des Jeux paralympiques. Les anneaux devraient ainsi avoir bientôt disparu, sauf nouvelle exception introduite dans la loi…
La maire de Paris devra également composer avec le droit moral des héritiers de Gustave Eiffel. Le juge assure ici un subtil équilibre entre les prérogatives du droit d’auteur et celles du droit de propriété, apprécié à l’aune d’impératifs techniques et fonctionnels de transformation. Or, on voit mal en quoi la pose – purement gratuite – d’anneaux olympiques sur l’œuvre d’Eiffel pourrait répondre à de tels impératifs.
Promotion des Jeux de Paris ou d’un mandat politique ?
Du point de vue symbolique, l’idée d’Anne Hidalgo, on l’aura compris, est de s’approprier une compétition internationale, fort bien maîtrisée, grâce notamment à l’investissement sans limite de l’État. D’accaparer, selon ses mots, « un moment historique à l’image de (…) la Libération de Paris en 1944 ». Les Jeux ne seraient pas une manifestation planétaire de quinze jours parfaitement accomplie, mais l’illustration du succès de deux mandats municipaux. D’où l’idée d’incorporer les anneaux olympiques au monument identifiant notre capitale à travers le monde.
Au-delà du conflit larvé entre Paris et l’État, l’arrimage permanent du symbole d’une organisation internationale, devenue une marque, sur la tour Eiffel pose des problèmes de principe bien compris par les héritiers de Gustave Eiffel : « Il ne nous paraît pas opportun que la tour Eiffel, devenue le symbole de Paris et par extension de la France, se voit adjoindre le symbole d’une organisation extérieure, de façon pérenne, quel qu’en soit le prestige. »
Du point de vue esthétique ou patrimonial, la pose définitive d’anneaux sur la tour Eiffel est tout aussi gênante. Si la dame de fer a toujours été associée aux peines et aux joies de la nation – peut-être aujourd’hui un peu systématiquement –, c’est par un habillage temporaire et réversible, notamment lumineux ou pyrotechnique. On abandonne ici cette tradition. Les anneaux olympiques, scorie dépourvue de toute justification technique ou esthétique, viendraient perturber définitivement la puissance du dessin des ingénieurs de Gustave Eiffel.
Un monument parasité
Si l’on souhaite absolument changer l’aspect de la tour, les projets de restitutions patrimoniales ne manquent pas : rétablir la suite de baies géminées couronnant son premier étage, voire son dôme sommital ou sa polychromie rouge de Venise (ocre rouge), disparue sous un badigeon marronnasse. Bref, rendre son caractère Belle Époque à la tour Eiffel, appauvrie notamment à l’occasion de l’Exposition universelle de 1937.
Surtout, plutôt que de parasiter un monument existant, ne fallait-il pas avoir plus d’ambition architecturale pour le village des athlètes de Saint-Denis, vaste de 52 hectares, dont beaucoup critiquent la banalité, voire le côté stalinien, ou la modeste « Adidas Arena », seule infrastructure des Jeux de Paris intra-muros, immédiatement victime de la pratique du « naming » ? L’art statuaire a, il est vrai, été encore moins bien servi, avec les effigies dorées de femmes célèbres de la cérémonie d’ouverture, créations de circonstance devant prendre définitivement pied dans la capitale par oukase municipal.
Plutôt que de rejouer éternellement la querelle des anciens et des modernes – mais qui est ici moderne, Gustave Eiffel ou Anne Hidalgo –, ne fallait-il pas aider la création de notre temps à s’exprimer par des œuvres plus marquantes ? Où sont les Gustave Eiffel du XXIe siècle ?
Une chose est certaine, la maire de Paris nous entraîne avec un certain succès dans une polémique dont elle a le secret, occultant les vraies catastrophes patrimoniales parisiennes, car la « trêve olympique » ne concerne pas les démolisseurs, encouragés dans leurs œuvres par un plan local d’urbanisme étonnamment permissif.
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